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LES AMOVRS DEGVISEZ, BALLET.
ARGVMENT.
Le Theatre s’ouure par vn combat de deux differentes
Harmonies ; La plus forte est composée des Arts & des Vertus qui suiuent
Pallas ; & la plus douce, des Graces & des Plaisirs, qui accompagnent Venus.
Cependant, ces deux Déesses prenant le party l’vne du Plaisir & l’autre p. 4de la Vertu,
entrent elles-mesmes en contestation. Mercure qui tasche de les
accorder leur propose de prendre le Roy pour arbitre
de leur different ; toutes deux l’acceptent auec vne égale satisfaction : mais Pallas qui
connoist l’auantage qu’elle a dans le chois d’vn tel Iuge insulte à sa riuale, & apres
luy auoir fait remarquer combien sa Majesté par toutes ses actions se declare ouuertement
pour le party de la Vertu, la laisse dans la confusion.
Venus, reuenuë de son premier estonement, veut faire effort pour
dompter l’orgueil de Pallas en gagnant le coeur du Roy, & pour vnir toutes ses forces dans ce grand dessein,
elle prie Mercure de voler dans tous les coins du Monde, afin
de rassembler tous les Amours qui s’y trouuent dispersez. Mais lors qu’il est prest de
partir, elle a peur qu’il n’en sçache pas connoistre la plus grande partie, qui pour faire
réüssir des entreprises p. 5 importantes, se déguise & se cache sous des formes empruntées, & pour luy
donner moyen de ne s’y pas tromper, elle luy fait voir plusieurs de leurs déguisemens,
qui seront expliquez l’vn apres l’autre dans chacune des Entrées du Ballet.
Mercure representé, par le Sieur Floridor.
Pallas, par Madlle. des Oeillets.
Venus, par Madlle. de Montfleury.
Concertans des Arts & des Vertus,
qui suiuent Pallas.
Les Sieurs Descousteaux, Alais, Charlot, la Pierre,
le Peintre, Huguenet, le Roux l’aisné, Besson,
Martin Opterre, Roullé, la Riuiere, Heugé, Iean Opterre,
& Magny.
Concertans des Graces & des Plaisirs, qui
accompagnent Venus.
Les Sieurs Piesche, Marchand, Laquaisse, Guerin,
Destouches, Nicolas Opterre, la Fontaine,
& Brouard.
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DIALOGVE
PALLAS, VENVS,
MERCVRE.
MERCVRE.
Surquoy contestez-vous ? peut-on vous accorder ?
VENVS.
La sçauante Pallas nous veut persuader
Que son visage austere & le bruit de ses armes,
Doiuent pour les mortels auoir de plus doux charmes
Que les Ieux, les Plaisirs, les Graces & l’Amour
Qui marchent à ma suite & composent ma Cour.
PALLAS.
Et la belle Venus pretend nous faire croire
Que les Arts, les Vertus, la Puissance & la Gloire
Ne versent pas dans l’ame vn plus parfait bonheur
Que de ses vains apas la trompeuse douceur.
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VENVS.
Est-il rien si charmant que cét heureux martyre
Que l’on ayme à souffrir alors qu’on en soûpire ?
PALLAS.
Est-il rien de si noble & de si glorieux
Que de voir vn mortel se rendre égal aux Dieux ?
Et de ses longs trauaux auoir pour recompense
Le repos, la vertu, l’honneur & la puissance.
VENVS.
Qui d’vn aymable objet adore les beaux yeux
Trouue ses fers plus doux que l’empire des Cieux,
Et ne voit rien d’égal à la gloire immortelle
De regner sur vn coeur amoureux & fidele.
PALLAS.
Tout cede à la valeur.
VENVS.
L'Amour peut tout charmer.
PALLAS.
Ah ! qu’il est beau de vaincre.
VENVS.
Ah ! qu’il est doux d’aymer.
PALLAS.
On voit mes conquerans plus crains que le tonnerre.
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VENVS.
Ils tremblent à mes pieds, ces maistres de la terre.
PALLAS.
Par vos vaines douceurs vn amant arresté
Languit dans la molesse & dans l’oisiueté.
VENVS.
On a veû par l’effort des amoureuses flames
Naistre cent beaux desirs dans les plus belles ames ;
Mille explois qu’on admire & dont vous vous parez
Furent à vos Heros par l’amour inspirez.
PALLAS.
Si (grace à mes vertus) quelque ame genereuse
A sçeu se bien seruir de l’ardeur amoureuse ;
A quels dérèglemens, a quelles cruautez
Tous vos autres amans se sont-ils emportez ?
D'vn soupçon qu’on se fait, d’vn refus qu’on merite
La vengeance qu’on cherche est toûjours sans limite :
L'imposture, le fer, la flamme & le poison
Semblent encor trop doux pour en tirer raison,
Et de tant de forfaits, recompense legere,
On trouue vn coeur changeant, vne foy mensongere,
On poursuit vn objet, qui foible & delicat
Chaque moment s’efface & perd de son éclat :
Mais le prix des vertus, d’immortelle nature,
Ny du temps, ny du sort, ne reçoit point d’injure.
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VENVS.
Cette immortalité qu’on estale à nos yeux
Fait porter le carnage & la mort en tous lieux,
Et parmy vos guerriers cette vertu cruelle,
Cette noble fureur qui vous paroist si belle,
Cette aspre auidité du sang des malheureux,
C'est par où l’on acquiert le nom de valeureux,
Où par qui, pour mieux dire, on fait autant de crimes
Qu'à vos sanglans autels on offre de victimes ;
Mais tous ces conquerans, si folement vantez,
Pour de si longs trauaux, pour tant d’impiétez,
Pour tant de sang versé sur la terre opprimée,
Qu'ont-ils ? qu’vn peu de vent, qu’on nomme Renommée ?
MERCVRE.
Tant d’aigreur conuient mal à des Diuinitez.
PALLAS.
Vous-vous eschaufez trop.
VENVS.
Et vous-vous emportez.
PALLAS.
Quoy que le souuenir de la fatale Pomme
Me deust faire éuiter le jugement d’vn Homme,
Ie veux bien m’y soûmettre encore cette fois ;
Mais il en faut choisir.
VENVS.
Ie vous donne le chois.
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MERCVRE
Quel Arbitre peut mieux appaiser vostre guerre
Que celuy qui déja l’est de toute la Terre ;
LOVYS dont les decrets, des peuples écoutez,
Résolus par luy seul, sont de tous respectez ;
LOVYS de qui déja la sagesse profonde
Du Thrône des François preside à tout le monde,
Qui voit de tous costez les plus grands Potentats
Briguer en suplians le secours de son bras,
Ou, pour viure à l’abry de sa juste puissance,
Rechercher à l’enuy son auguste alliance ;
Qui voit la Renommée auec toutes ses voix
Preparer l’Vniuers à receuoir ses Loix ;
Qui se trouue en tous lieux suiuy de la victoire,
Et qui presque trahy par l’exces de sa gloire
Voit par tout son grand nom, par vn heureux malheur,
Dérober la matiere à sa rare valeur :
Sur luy de toutes parts la terre interessée
Arreste fixement ses yeux & sa pensée,
Et son moindre appareil, son moindre mouuement,
Chez cent peuples diuers porte l’estonnement.
PALLAS.
Si LOVYS doit juger, que vous estes à plaindre.
VENVS.
Si LOVYS doit juger, que vous auez à craindre.
p. 11
MERCVRE.
La brillante clarté de son discernement
Des trompeuses couleurs hait le déguisement.
VENVS.
Ses yeux, qui semblent faits pour charmer tous les nostres,
Voyent bien plus auant & plus clair que les autres,
Et d’vn mesme regard l’esclat & la douceur
Captiuent à la fois & penetrent vn coeur :
C'est d’où vient ce respect qu’on luy rend sans contrainte ;
C'est d’où vient ce pouuoir qu’on voit croistre sans crainte ;
C'est d’où se forme, en luy, l’heureux & sage chois
Qu'il fait pour les plus grands & les moindres emplois,
Et, dans ceux qu’il choisit, cette ardeur si fidele
Qui de tant de succes accompagne leur zele ;
Nostre accord par tout autre eust esté concerté
Auec moins de lumiere auec moins de bonté.
PALLAS.
Vous y consentez donc ?
VENVS.
Ie le veux.
PALLAS.
Sa conduite
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Flate peu, toutefois, vostre vaine poursuite,
Et vous pourriez juger, à voir ses actions,
Ce qu’il doit prononcer sur nos pretentions.
La Paix dont il jouït, sa grandeur, sa richesse,
Son humeur, son esprit, son port, & sa jeunesse
Pouuoient, sans le flater, l’asseurer d’estre heureux
S'il vouloit s’asseruir à l’empire amoureux :
Mais quand ces qualitez portant par tout la flame
Sembloient aussi deuoir amolir sa belle ame ;
Son coeur, qui les neglige, & s’esleue au dessus,
Iusqu’à tout mespriser, s’attache à mes vertus.
Ce trauail assidu, qui jamais ne l’estonne,
Allarme son Estat qui craint pour sa personne,
Et qui déja tout prest d’en recueillir les fruits
Sent troubler son espoir de craintes & d’ennuis :
Son peuple plein d’ardeur demande au Ciel sans cesse
Que ce ROY, qui des Dieux imite la sagesse,
Qui comme eux est puissant, bon, juste, & genereux,
Pour le bonheur public soit immortel comme eux.
De ses premiers sujets la foule pretieuse
De le suiure en tous lieux se montre ambitieuse :
Tous briguent ses regards & leur plus doux espoir
Est l’heur de le seruir, le plaisir de le voir.
MERCVRE.
Si des François, pour luy, la tendresse est extresme,
Ce Heros genereux les cherit tout de mesme,
p. 13
Et cherche sa grandeur & ses plus doux plaisirs
A contenter des siens tous les justes desirs :
Il n’attend pas toûjours qu’vn important seruice
Demande ses faueurs à tiltre de justice ;
Il sçait qu’vn mauuais sort, faute d’occasion,
Souuent du plus zelé trompe la passion :
Il se plaist à payer d’vn solide salaire
Le desir impuissant que l’on a de luy plaire,
Et ne paroist jamais le coeur si satisfait
Que lorsqu’ il s’applaudit de quelque grand bienfait :
Cét air de Majesté qui brille en sa personne,
Releue de beaucoup l’esclat de sa couronne :
Les mortels n’ont besoin que de le regarder
Pour sçauoir que c’est luy qui leur doit commander,
Et quoy, qu’en son accueil, vne grace attrayante
Paroisse encourager celuy qui se presente ;
Vn timide respect, par ses yeux imprimé,
De qui l’ose abborder tient le coeur allarmé.
Voila du grand LOVYS la fidele peinture,
En faueur de vos droits tirez en quelque augure :
Et (vous qui soustenez l’oisif & vain plaisir)
Pensez qui de nous deux aura sçeu mieux choisir
S'il est vray que celuy que nous en deuons croire
N'ayme que le trauail, les vertus, & la gloire.
Vous ne repondez rien ? mais vous nous confondrez
Par les fortes raisons dont vous vous deffendrez ;
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Ie vous laisse y resuer, adieu.
VENVS.
Quelle arrogance !
Elle croit donc déja que je sois sans deffence :
Son orgueil est trop grand ; mais il luy faut oster
Ce glorieux appuy dont il s’ose vanter.
Pour mieux executer cette noble entreprise
Employons à la fois la force & la surprise,
Faisons en vn moment venir de toutes pars
Tous nos Amours armez de flambeaux, & de dars.
Toy, qu’en mes interests j’ay toûjours veû fidele ;
Mercure, en ce besoin tesmoigne-moy ton zele,
Va les chercher par tout.
MERCVRE.
Déesse, auec plaisir,
Mon coeur, en ce projet, seconde ton desir.
VENVS.
Va viste.
MERCVRE.
I'obeïs.
VENVS.
Mais reuiens, je te prie,
Tu n’en connoistrois pas la plus grande partie
Si je ne t’instruisois de cent déguisements
Qu'ils prennent pour ayder aux grands éuenements :
Il sçauent tous les jours, sous des formes nouuelles,
p. 15
Cacher, quand il leur plaist, leurs beautez naturelles.
Vois-tu ces gens si noirs, qui semblent s’eschaufer,
Dans le dessein de battre & de polir le fer ?
La forge de Vulcain s’ouvre
MERCVRE.
Ce sont des Forgerons.
VENVS.
Ie sçauois bien, Mercure,
Que tu n’en sçaurois pas découurir l’imposture,
Et que sous ses habits, finement supposez,
Tu ne connoistrois pas ces AMOVRS DEGVISEZ :
Les vns amis de Mars volans à tire d’ailes,
Luy sçauent tour à tour porter de mes nouuelles ;
Les autres, apostez par mon mary jaloux,
Pour seruir d’espions demeurent prés de nous.
MERCVRE.
Qui les eust reconnus ?
VENVS.
Viens, auant que tu sortes
Ie t’en veux faire voir de beaucoup d’autres sortes.
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PREMIERE ENTREE.
De la grote de Vulcain sortent huit Amours si bien déguisez en Forgerons, qu’on ne les sçauroit reconnoistre, que par
l’application qu’ils ont à forger des dars plustost que d’autres armes, & par leurs
bandeaux, qu’ils ont retenus, pour garentir leurs testes du bruit des enclumes.
Amours déguisez en Forgerons.
Monsieur Cabou, Messieurs Molliere, & Laleu,
Les Sieurs Doliuet, le Chantre, Des-brosses,
Desonets, & de Gan.
Pour des Amours déguisez en Forgerons.
Auoir le coeur de glace est vn tres-grand defaut,
Mais pour peu qu’il s’échauffe on le réduit en cendres,
Et lors de cent raisons amoureuses & tendres
Il faut battre le coeur cependant qu’il est chaud.
p. 17
II. ENTREE.
Le Theatre represente vne Mer, auec vn combat naual en
esloignement, & Venus fait voir Marc-Antoine, qui, pour suiure Cleopatre, quitte l’espoir de la victoire qu’il alloit remporter ; & elle
fait remarquer à Mercure que les Rameurs qui emportent ce
Romain auec tant de vitesse, ne sont pas des Rameurs ordinaires, mais des Amours déguisez. En attendant qu’ils descendent de leur
vaisseau, le Gouuerneur d’Egypte, auec toute la
jeunesse du Pays, attirée sur le port par l’arriuée de leur
Reyne, dansent la deuxiesme Entrée.
Le Gouuerneur d’Egypte.
Le Duc de Saint-Aignan.
La Gouuernante, Mademoiselle de Verpré.
Hommes. Messieurs Verpré, Bruneau, Raynal, Des-Airs.
Femmes. Monsieur de Souuille, les sieurs de Lorges,
Balthasar, & Des-Airs le jeune.
Pour le Duc de Saint Aignan,
representant,
le Gouuerneur
d’Egypte.
Par la bonté de deux differens Rois
Dont l’vn peut tout en quoy qu’il entreprenne,
Quel est mon poste, estant tout à la fois
Le Gouuerneur d’Egypte & de Touraine ?
p. 18
Pour la derniere elle est d’vn moindre prix,
Elle n’a pas ces hautes Pyramides,
Mais en reuanche, à ce que j’ay compris,
Ses reuenus sont vn peu plus liquides,
Et n’en déplaise au grand Roy Pharaon,
Viue LOVYS quatorziesme du
Nom
Qui pourroit bien vn jour à son Domaine
Joindre l’Egypte ainsi que la Touraine.
Marc-Antoine & Cleopatre
descendus les premiers, viennent faire vn recit en Dialogue accompagné d’vne harmonie composée de leurs esclaues.
Marc-Antoine. Monsieur Blondel.
Cleopatre. Mademoiselle Hylaire.
Esclaues. Laquaisse, Marchand,
la Fontaine.
DIALOGVE DE MARC-ANTOINE, ET DE CLEOPATRE.
MARC-ANTOINE.
Doutez-vous de mon feu, vous pour qui je soûpire ?
CLEOPATRE.
Ha ! qu’il vous coûte cher de me l’auoir prouué.
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MARC-ANTOINE.
I'en ay perdu la Victoire & l’Empire,
Et ne m’en suis point mal-trouué.
CLEOPATRE.
Vous auez tout quité pour me suiure sur l’onde,
Sans moy vous demeuriez vainqueur,
Et vous estiez Maistre du Monde
Comme vous l’estes de mon coeur
Dont la tendresse est pour vous sans seconde.
Helas qu’auez-vous fait,
Amant fidelle, Amant parfait !
MARC-ANTOINE.
A mon amour j’ay fait ceder ma gloire,
Iamais Amant ne fût si transporté,
I'ay fait plus, je vous l’ay fait croire,
Et par là me suis raquité
De l’Empire & de la Victoire.
CLEOPATRE, ET MARC-ANTOINE.
Non non pour viure heureux
Il faut estre amoureux,
De veritables feux
Bien prouuez entre deux personnes
Qui sçauent s’aymer tous deux,
Valent mieux que des Couronnes.
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MARC-ANTOINE.
Ie n’ay pû soûtenir vostre fuite impreueuë.
CLEOPATRE.
Que ne demeuriez-vous sans vous en émouuoir.
MARC-ANTOINE.
Pour quelque temps je vous perdois de veuë,
Puis-je estre vn moment sans vous voir ?
CLEOPATRE.
Vous alliez remporter tout l’honneur de la guerre,
Sa fin couronnoit vos explois,
Et bien plus craint que le Tonnerre,
Vostre coeur estant sous mes loix
Vous y mettiez le reste de la Terre.
Helas qu’auez-vous fait,
Amant fidelle, Amant parfait !
MARC-ANTOINE.
A mon amour j’ay fait ceder ma gloire
Si c’est vn mal il vous doit estre doux,
C'est vn trait digne de memoire,
Et qu’auois-je affaire sans vous
De l’Empire, & de la Victoire ?
MARC-ANTOINE, ET CLEOPATRE.
Non non pour viure heureux
Il faut estre, &c.
p. 21
III. ENTREE.
Les Amours déguisez en Rameurs, rauis d’auoir triomphé
de l’ambition d’vn des plus grands guerriers du monde, témoignent leur joye par leur
danse.
Amours déguisez en Rameurs.
Les Sieurs S. André, Le Chantre, Des-brosses,
& Magny.
Pour des Amours déguisez en Rameurs.
C'est veritablement vne Mer dangereuse
Que la Mer amoureuse,
Mais quels sensibles biens les gens ont-ils receus
Qui n’ont jamais esté dessus ?
Concert d’Instrumens.
Les Sieurs le Grais,
Le Roux le Cadet, le Peintre,
Besson, Magny, Charlot, Allais, &
Heugé.
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IV. ENTREE.
Venus fait paroistre aux yeux de Mercure les jardins de Cerés, & luy fait voir vne troupe d’Amours, qui pour
liurer plus aisément Proserpine à la passion de Pluton, ont pris le visage & l’habit de ses compagnes, &
sous pretexte d’vne promenade, l’ont fait sortir de ce Chasteau, si soigneusement fermé
par sa mere.
Proserpine. LA REYNE.
Ses Compagnes. Madame la Comtesse, Mademoiselle de Nemours,
la Duchesse de Sully, la Duchesse de Crequy,
la Duchesse de Luynes,
Madame de
Foix,
Mademoiselle de Montausier,
& Mademoiselle
d’Arquien.
Pour la REYNE, representant
PROSERPINE.
Vne si grande Reyne est digne du grand Roy
Qui de tant de Demons fait des suiets fidelles,
Et ses charmans regards ont pleinement dequoy
Fournir à l’entretien des flames eternelles.
Brillante comme elle est non sans raison je doute
Que sa blancheur extresme, & sa viuacité
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Dans le profond Abisme ou chacun ne voit goûte
Puis estre compatible auec l’obscurité.
Mais à son jeune éclat digne de mille Autels
De ce lieu tenebreux les ombres se bannissent,
Elle y vient augmenter les tourmens immortels,
Et les grands desespoirs qui jamais ne finissent.
Des Enfers qu’elle change en Terres fortunées
Sa presence suspend les cris, & les clameurs,
Et l’on n’auoit point veu chez les Ames damnées
Vne si bonne vie, & de si douces Moeurs.
Pour les Amours deguisez en Compagnes de Proserpines [sic].
Pour la Comtesse de
Soissons, Amour
déguisé.
Sous ces beaux cheueux noirs & longs
Jusqu’aux talons,
Et dans ces yeux Romains peut-estre
L'Amour n’est pas si bien caché
Qu'il ne soit facile à cognestre,
Et qu’on n’en puisse estre touché.
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Pour Mademoiselle de
Nemours, Amour
déguisé.
Vous n’y sçauez pas grand finesse
Amour, de vous estre auisé
Pour paroistre mieux déguisé,
De prendre l’air & la jeunesse
De cette charmante Princesse,
Allez chacun vous cognest,
Et vous ressent, qui pis est.
Pour la Duchesse de Sully,
Amour déguisé.
Amour veut qu’on se persuade
Qu'aux champs il estoit fort malade,
Mais tres-humble seruiteur
A ses finesses grossieres,
Il affecte ces manieres
De foiblesse & de langueur
Pour aller plus droit au coeur.
Pour la Duchesse de Crequy,
Amour déguisé.
Qvoy ? c’est donc vous, Amour, à qui dans le tumulte
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L'on fit vn si cruel, & si barbare insulte,
Et qui fustes naguere attaqué sur vn char
Dans la superbe Ville ou commandoit Cesar ?
Pour estre encor plus beau vous pristes l’apparence
D'vne Femme la Gloire, & l’Honneur de la France,
Les delices des yeux, mais vne Femme enfin,
Ne valoit-il pas mieux sans faire tant le fin
D'vn air plus ingenu conduire cette affaire
En jeune Adolescent vostre forme ordinaire ?
Vous ne cachiez pas tant vostre Diuinité,
Et vray-semblablement Rome en eut moins douté.
Pour la Duchesse de
Luynes, Amour
déguisé.
Amour, cherchez ailleurs que dans cette Beauté
Pour vous mettre à couuert vn lieu de seureté,
Car toute sa personne est plus propre qu’vne autre
A découurir toute la vostre,
Si vous pouuez mettez-vous dans son coeur
Dont vous n’auez jamais esté vainqueur,
C'est vn sejour agreable, mais rude
A qui craindroit la solitude.
p. 26
Pour Madame de
Foix, Amour déguisé.
Sa jeunesse est bien tendre encore,
Et presque ne fait que d’éclore
Et frape neantmoins quiconque l’aperçoit,
Tantost c’est vne Fille & tantost vne Femme
Dont les traits delicats vont jusqu’au fond de l’ame,
Et c’est l’Amour tout pur en quelque estat qu’il soit.
Pour Mademoiselle de Montausier, Amour déguisé.
Que dans cette personne on vous vienne chercher,
Que l’on vous y rencontre, Amour, cela peut estre,
Elle a des qualitez à vous faire cognestre,
Mais elle a de l’esprit aussi pour vous cacher.
Pour Mademoiselle
d’Arquien, Amour déguisé.
Vous qui vous découurez par vne simple oeillade,
Amour, considerez cét air doux & ce port,
Pouuez-vous là dessous vous mettre en embuscade
Sans estre connû d’abord ?
p. 27
V. ENTREE.
D'autres Amours, qui dans le mesme dessein ont pris la figure des Iardiniers de Cerés, cachent adroitement leurs
fleches sous des fleurs, & presentent à Proserpine des
Bouquets, dont la vertu secrette l’endort sur vn lit de
Gasons.
Amours déguisez en Iardiniers de Cerés.
Monsieur le Duc, le Duc de Sully, les
Marquis
de Villequier, & de Villeroy, Messieurs
du Pille, & de la Lanne.
Pour Monsieur le Duc,
Iardinier.
Voicy venir le bon Temps,
Et j’espere à ce Printemps
Ou les jours seront moins calmes
Cueillir & Lauriers & Palmes,
Ces plantes ont le fruit doux,
Elles sont nobles & bonnes,
Et l’on sçait assez chez nous
L'Art d’en faire des Couronnes.
Pour le Duc de
Sully, Iardinier.
Vn jeune Iardinier n’est pas si curieux
De son propre jardin que de celuy d’vn autre,
Mais vous ne sçauriez faire mieux
Que de bien trauailler au vostre.
p. 28
Pour le Marquis de Villequier,
Iardinier.
Nous aymons bien les fleurs qui ne sont pas les nostres
Quoy que nous prisions fort celles qui sont à nous,
Et je trouue qu’il est quelquefois assez doux
De faire des Bouquets dans le jardin des autres.
Pour le Marquis de
Villeroy, Iardinier.
N'imitez pas ces gens qui par vn grand abus
Pour vn Terroir de bibus
Abandonnent vn champ fertille, gras, & riche :
Car la pluspart aujourd’huy
Laissent leur jardin en friche
Et trauaillent chez autruy.
VI. ENTREE.
Pluton, se seruant d’vne occasion si fauorable sort des Enfers, & vient enleuer la Nymphe endormie. Mais Venus fait remarquer à Mercure, que ce Dieu sousterrain craignant que les Demons, qui l’accompagnent d’ordinaire, ne sçeussent pas garder, en cette
occasion, tout le respect deû aux beautez de Proserpine,
auoit emprunté le secours de six p. 29 Amours qu’il auoit fait
vestir de sa liurée, pour le suiure en cette expedition.
Le Comte d’Armagnac. Pluton.
Demons. Le Comte
du Lude, le Marquis de
Genlis,
Messieurs Mollier, d’Heureux, Beauchamp,
& le Sieur de Lorge.
Pour le Comte
d’Armagnac, Pluton.
Pourquoy faut-il qu’on nous dépeigne
L'Enfer & son Monarque aussi noirs que charbon
Si ce n’est afin qu’on les craigne ?
Si par le Roy l’on peut juger du Regne,
Qu'il y fait beau, qu’il y fait bon.
Pour le Comte du Lude,
Demon.
Il n’est Demon dans les Enfers
Bruslé de plus de feux, chargé de plus de fers,
O qu’il sçait bien icy se passer de lumiere !
Qu'il bat de pays par tout,
Allant de chaudiere en chaudiere
Prendre garde si l’huile bout :
Dans vne rage forcenée
Il se porte aux derniers efforts
Mais je ne la croy pas tellement acharnée
p. 30
Contre vne pauure Ame damnée
Qu'il en aille oublier le corps.
Pour le Marquis de
Saucour, qui deuoit represent[e]r vn Demon.
Non ce n’est point icy le Demon de Brutus,
Ny de Socrate,
Par d’autres qualitez & par d’autres Vertus
Sa gloire éclate.
Sous la forme d’vn Homme il prouue ce qu’il est
Doux, sociable,
Sous la forme d’vn Homme aussi l’on recognest
Que c’est le Diable.
Le bruit de ses explois confond les plus hardis
Et les plus masles,
Les Meres sont au guet, les Amans interdis,
Les Maris pasles.
Contre ce fort Demon voyez-vous aujourd’huy
Femme qui tienne ?
Et toutes cependant sont contentes de luy
Iusqu’à la sienne.
Sa reputation deuant qu’il soit connu
Faisant qu’on l’ayme,
Telle cede à son Nom qui peut-estre eut tenu
Contre luy-mesme.
p. 31
Pour le Marquis de
Genlis, Demon.
Ha voicy la Beauté qui meritoit la pomme !
Est-ce vn Homme tout de bon
Qui represente vn Demon,
Ou si c’est vn Demon qui represente vn Homme ?
Concert de Bergers.
Les Sieurs Piesche, Descousteaux, les trois
Hotterres,
Destouches, Besson, le
Peintre, le Roux
l’aisné,
Charlot, Heugé, la
Riuiere, Roullé,
Huguenet, le Grais, Marchand,
Laquaisse, & la Fontaine.
RECIT CHAMPESTRE.
Guerriers, il ne faut pas faire vn mauuais vsage
Des plus beaux jours de vostre âge,
Vous en rendrez quelque jour
Conte à l’Amour.
Passez dans les plaisirs la fleur de vos années,
Et vos plus belles journées,
Vous en rendrez quelque jour
Conte à l’Amour.
p. 32
VII. ENTREE.
Dans l’auenuë du Palais enchanté d’Armide, des Amours déguisez en
Bergers tachent par leur chant, & le son de leurs
instruments, à retenir Regnaut auprés de la beauté dont
il est aymé. Mais ce Guerrier detrompé, n’escoute que la Gloire
qui l’appelle, & suit constamment les deux bons
Cheualiers, qui le sont venus deliurer de cette agreable prison.
LE ROY. Representant Regnaut.
Cheualiers. Le Marquis
de Rassan, & le Sieur
Raynal.
Pour LE ROY, representant Regnaut.
Sage & vaillant
Rien ne peut égaler ses trauaux & ses peines,
Le sang de Charlemagne heroïque & boüillant
A pris vn nouueau feu dans ses Royales vaines,
Son coeur est genereux, est noble, est fier, est grand,
De tous les autres coeurs c’est le plus magnanime,
Vn coeur de vray Monarque, vn coeur de Conquerant,
Qui court apres l’honneur & qui cherche l’estime,
C'est là précisément tout ce que j’en diray,
p. 33
Et quelque autre talent qui luy tombe en partage,
Sur le fait de ce coeur je ne m’expliqueray
Pas dauantage.
Les plus grands Rois
Ne laissent pas pourtant d’estre ce que nous sommes,
Au moins s’ils ne le sont, par de certains endrois
Ils ont beaucoup de l’air de tous les autres hommes :
Quand il est question de former vn Héros,
A le rendre parfait trois choses contribuënt,
Et sans se relascher il est tres à propos
Que ces trois choses là sur ce point s’éuertuënt,
Par chacune des trois il est si haut placé,
Chacune y met la main, le polit, & l’éleue,
La Nature & la Gloire ont-elles commencé ?
L'Amour acheue.
Quelques momens
Ou de Dance, ou de Chasse, ou d’autres exercices
Du plus grand des Humains sont les amusemens,
Mais de son seul deuoir composer ses delices,
Et pour executer tout ce qu’ont resolu
L'honneur & la Vertu, ses deux principaux guides,
Rompre l’enchantement d’vn Pouuoir absolu,
De beaucoup de jeunesse, & de quelques Armides,
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Faire de temps en temps des coups si renommez,
Aux grandes actions s’appliquer sans relasche,
Et sur tout secourir ceux qui sont opprimez,
Voila sa Tasche.
La Gloire, & la Renommée.
Le Duc de Saint Aignan,
& M. Beauchamp.
Pour le Duc de Saint Aignan,
representant la Gloire.
Estant tout enuironné,
Et plein de Gloire immortelle
Ie ne suis pas estonné
Que l’on vous prenne pour elle.
VIII. ENTREE.
Vne autre bande d’Amours sous l’habit de Nymphes de Flore se
presentent, dans la mesme intention, & n’ont pas vn meilleur succes, quoy qu’elles
estalent à l’enuy, les beautez de leur visage, & l’agrément de leur danse.
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Flore & ses Nymphes, Amours déguisez.
Flore. Mademoiselle d’Aumalle,
Nymphes. Madame de Villequier, Mesdemoiselles de
Brancas, de Grancé, de
Castelnau, de la Mothe,
Dardennes, de Cologeon, & de
Pons.
Pour Mademoiselle
d’Aumalle. Flore.
A cét air noble & doux c’est Flore qui respire,
Ainsi que vous on la dépeint,
Et les plus viues fleurs sont dessus vostre Teint
Comme au siege de leur Empire.
Pour Madame de
Villequier.
Il faut bien se donner garde
De ces ris, de ces douceurs,
Malheureux qui s’y hazarde,
Le serpent est sous les fleurs.
Pour Mademoiselle de
Brancas.
Voyez cette Beauté si jeune & si mignonne
Vous verrez en mesme temps
Dans vne seule personne
Toutes les fleurs du Printemps.
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Mademoiselle de Grancé.
Ie fay la sourde oreille à quoy que l’on me die,
Et de ces Papillons la jeunesse étourdie
Vole autour de mes fleurs qu’elle suceroit bien,
Mais ils ne tiennent rien.
Pour Mademoiselle de Castelnau.
Vous voila de bonne heure entre les belles choses,
Ainsi croissent les fleurs & viennent tout à coup,
Et de vostre hauteur, il n’en est pas beaucoup
Qui soient plus fraichement écloses.
Pour Mademoiselle de la
Mothe
Tres-difficile en fleurs & d’vn goust délicat
Celles que vous aymez ont le plus grand éclat,
Mais qu’elles durent peu ! quand elles sont passées
Il ne reste que des Pensées.
Pour Mademoiselle
Dardennes.
Vous n’en dormez pas moins quoy qu’on tasche à vous plaire,
Et que des gens pour vous fassent les radoucis,
Vostre aymable embonpoint est vne preuue claire
Que chez vous les Pauos supplantent les Soucis.
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Pour Mademoiselle de
Cologeon.
Combien d’amoureux soûpirs
Se déguisent en Zephyrs
Pour quelqu’vne des fleurs qui parent cette Belle,
Ie ne sçay pas pour laquelle.
Mademoiselle de Pons.
D'vne ame toûjours libre, & desinteressée
Dans l’échange des fleurs que nous faisons icy
Si je donne quelque Pensée,
Ie ne prens guere de Soucy.
Armide, furieuse & pressée de douleur, de honte, & de
desespoir, fait vn recit Italien, dans lequel elle se pleint, & s’emporte contre les Amours qui l’ont si mal seruie, & les chasse de son Palais, qu’elle détruit en vn moment.
Armide Recit Italien. Chanté par
laSeignora
Anna.
Ah Rinaldo, e doue sei ?
Dunque tù partir potesti,
Ne'l mio duol, ne i pianti miei
Posson far, ch'il passo arresti,
E questa è la mercè, ch'à mè tù dei ;
Ah Rinaldo, e doue sei ?
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Ahi che sen vola
Lunge dà mè,
Ed io qui sola
Scherno rimango di rotta fè,
Ferma Rinaldo, oh dio,
Se morta è la tua fè, morta son’io.
Dunque il bel foco
Che t’arse già.
Ceduto hà 'l loco
A' duro ghiaccio di ferità.
Deh torna Idolomio,
Se morta è la tua fè, morta son’io.
A' che spargo indarno gridi,
Voi che foste, ond’io mi moro,
Del mio Ben, del mio tesoro,
Ciechi Amor, custodi infidi,
Sparite,
Suanite,
Fuggite dà mè ;
E voi moli incantate
Ch'al fuggitiuo
Non arrestate il piè,
Sparite,
Suanite,
Fuggite dà mè.
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IX. ENTREE.
Vne troupe de petits Amours, effrayez d’vn accident si
surprenant, sortent en haste des ruines du Palais détruit, & retiennent vne partie des déguisements qu’ils n’ont pas eu le temps de despoüiller
tout à fait. Les vns ont encore les plumages des oyseaux ; d’autres la blancheur des
statuës, & d’autres vne partie des habits de Nymphes, qu’ils auoient pris pour
seruir la passion d’Armide.
Troupes de petits Amours.
Garçons. Le Comte de Gonore, le
petit Beaumont,
Le petit Paul, le petit des-Airs, le petit Fauier,
& de Lorge.
Filles. Mesdemoiselles Chasteau d’Assier,
de Montlaur,
de Cambray, de la Vallée, & de
Ribera.
Pour les petits Amours.
Ce ne sont pas là nos Tyrans,
Petits, on ne fait que s’en rire,
Mais quand ils sont deuenus grands
L'on en soûpire.
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X. ENTREE.
Des Sauuages de la Colchide, surpris de la beauté d’vne Machine, qu’ils voyent descendre le long de leur Fleuue,
tesmoignent leur joye par leur danse.
Sauuages. Le
Marquis de Saucourt, Monsieur
Bontemps,
les Sieurs Manseau, Mercier, du Pron, & Noblet.
Le Marquis de Saucourt.
Sauuage.
AVX DAMES.
Ie sors d’vn climat sauuage
Pour vous rendre témoignage
De mon inclination,
Vne reputation
Solidement soûtenuë
A precedé ma venuë :
je vien de loin, j’ay fort veu,
Mais, Beaux yeux, je suis pourueu
D'vne force, & d’vn courage
A cheminer dauantage,
Et vous témoignerois s’il en estoit besoin,
Que je suis en effet de tous tant que nous sommes
Veritablement Hommes
L'Homme qui va le plus loin.
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XI. ENTREE.
La beauté que Venus fait venir dans cette Conque Marine c’est Isiphile qui fut autrefois
si cherement aymée de Iason, & qui luy donna tant de preuues de son amitié
reciproque ; mais qui maintenant abandonnée par luy, s’est resoluë de quitter sa couronne,
& sa patrie, pour le venir chercher. Ces Dieux Marins,
& ses Nymphes Maritimes qui l’accompagnent, sont autant d’Amours déguisez, qui pour
luy faire trauerser les Mers auec plus d’asseurance, ont pris ce déguisement.
Amours déguisez en Dieux Marins, & Nymphes
Maritimes.
MONSIEVR. Dieu Marin.
Dieux Marins. Les Marquis de Villeroy, &
de Rassan,
Messieurs de la Lanne, & du Pille.
Nymphes Maritimes. Mademoiselle Delbeuf,
Madame de Montespan, Madame de Vibray,
& Mademoiselle de
Seuigny.
Pour MONSIEVR, Dieu Marin.
Dans l’Empire des flots ma place est tres honneste
Plus bas que n’est la Main qui les assujetit
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Trop glorieux d’auoir au dessus de ma Teste
Le Grand & le Petit.
Que Neptune commande, & daigne m’assister,
Au delà du Bosphore éclatera ma gloire,
Et l’Othoman verra pensant me resister
Que c’est la Mer à boire.
Entre nous autres Dieux comme parmy les hommes
Ce n’est pas tout du coeur, & de l’intention,
Pour se faire valoir à tout ce que nous sommes
Il faut l’occasion.
Qu'elle vienne, & qu’Amour attendant ce moment
Luy qui regit la Terre, & les plaines humides,
Inspire sous ma forme vn doux embarquement
A ces Belles timides.
Pour le Marquis de
Villeroy, Amour déguisé en Dieu Marin.
Si vous le trouuez bon sçachons pour quelle fin
Vous estes tout ensemble Amour & Dieu Marin,
L'vn doit estre assez froid & l’autre plein de flames,
Et qui vous fait ainsi briller de deux façons ?
Est-ce pour triompher du coeur de mille Dames ?
Est-ce pour aualer la Mer & les Poissons ?
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Pour le Marquis de Rassan, Amour déguisé en Dieu Marin.
Icy malaisément l’Amour se peut cacher,
Le moindre de ses pas en donne connoissance,
Quand il est Dieu Marin s’il nage comme il dance
La Terre & la Mer que je pense
N'ont rien à se reprocher.
Pour Mademoiselle
Delbeuf, qui represente vn Amour déguisé en Nymphe Maritime.
Seroit-ce du costé de ces Mers inconuës
D'où les perles nous sont venuës,
Que nous viendroient ce port, ce teint, ces yeux si doux ?
O qu’Amour est bien la dessous !
Mais helas ! si par mégarde
Il arriue qu’on regarde
Des cheueux comme les siens,
On dira que c’est l’Amour, & voila ses liens.
Pour Madame de Montespan,
Amour déguisé en Nymphe
Maritime.
Pour vouloir qu’on vous estime
Vne Nymphe Maritime
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Vous vous y méprenez vn peu,
Amour, d’auoir choisi cette charmante blonde,
Il faudroit qu’autour d’elle on ne vit que de l’onde,
Autour d’elle tout est en feu.
Pour Madame de Vibray, Amour déguisé en Nymphe
Maritime.
Vous plaisez fort à tout le Monde,
Vos attraits sont charmans & doux,
Et malgré la fraischeur de l’onde
Il fait grand chaud aupres de vous.
Pour Mademoiselle de
Seuigny, Amour déguisé en Nymphe Maritime.
Vous trauestir ainsi c’est bien estre ingenu
Amour, c’est comme si pour n’estre pas connu,
Auec vne innocence extresme
Vous vous déguisiez en vous-mesme,
Elle a vos traits, vos feux, & vostre air engageant,
Et de mesme que vous soûrit en égorgeant,
Enfin qui fit l’vne a fait l’autre,
Et jusques à sa Mere elle est comme la vostre.
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XII. ENTREE.
Venus, pour faire voir à Mercure
la facilité que les Amours ont à se déguiser, mesme
quelquefois contre ses propres interests, luy fait paroistre la
Ville de Troye toute en feu, & luy montrant des
Guerriers qui tiennent vn dard d’vne main, & de l’autre vn flambeau, luy
aprend que ces gens qui ont embrasé cette grande Ville ne sont pas des Grecs comme l’on
pense, mais des Amours mutinez à la sollicitation de Menelaüs, qui se sont engagez à le remettre en possession d’Elene. Ces faux Grecs combattent vne troupe de Troyens qu’ils
obligent à leur ceder.
Combat des Grecs, & des Troyens.
Agamemnon. Le Duc de Guise. Grecs. Messieurs
d’Heureux, Beauchamp, les Sieurs Chicanneau,
de Lorge, de Gan, & Des-Airs le cadet.
Troyens. Monsieur de
Souuille, Messieurs
Raynal,
de la Marre, Paysan, les Sieurs le Chantre,
Des-Airs. 3me & du
Feu.
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Pour le Duc de
Guise. Agamemnon.
Dix ans n’estoient pas trop pour le siege de Troye,
Dans vne passion s’ouffrez [sic] des maux cuisans,
Et goûtez vn moment de veritable joye,
Vous estes payé pour dix ans.
Pour les Troyens battus.
Il est des ennemis fiers & vindicatifs
Qui nous couurent de honte en gagnant la victoire,
Il est des ennemis à qui c’est nostre gloire
Que de faire auoüer qu’ils nous tiennent captifs.
Iunon, triomphante, chante vn recit, qui tesmoigne la douceur
qu’elle trouue à se vanger du mespris que Pâris a fait de sa
beauté.
RECIT DE IVNON
Qui haït les Troyens, & qui est bien
aise de leur ruïne.
Chanté par Mademoiselle de
Cercamanan.
A qui sçait bien aymer l’Amour a ses plaisirs,
A qui sçait bien haïr la Haine a ses delices,
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Celle-cy remplit mes desirs,
Et de l’autre mon coeur ignore les supplices :
L'vn sans doute a plus d’apas,
L'autre aussi fait moins de peine,
L'on vous rend toûjours vostre haine,
Mais pour vostre Amour, helas !
Toujours on ne vous le rend pas.
Du soin de nous vanger le trouble imperieux
Nous émeut beaucoup moins qu’vne tendresse extresme
Et souuent l’on se trouue mieux
De haïr ce qu’on hait, que d’aymer ce qu’on ayme.
L'vn sans doute a plus d’apas,
L'autre aussi, &c.
XIII. ENTREE.
Pendant qu’ils poursuiuent leur victoire, quatre Soldats &
quatre Goujats, sortis des maisons voisines de la place, se
querellent, sur le partage de leur butin, & forment vn combat ridicule.
Goujats. Monsieur
Lully, les Sieurs Paysan,
Balthasar, & Brouard.
Soldats. Les Sieurs Noblet, la Pierre,
S. André, & Des-brosses.
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Pour Monsieur de Lully. Goujat.
Ce Goujat signalé
De quelque talent se pique,
Tout son fait est reglé
Comme vn papier de Musique,
Il faut estre bien critique
Pour n’estre pas satisfait
Du bruit qu’il fait.
XIV. ET DERNIERE ENTREE.
Les Amours déguisez en Grecs, apres auoir exterminé le reste
des Troyens, & pris le Chasteau de Priam, viennent danser la derniere Entrée.
FIN.