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- Les Plaisirs de l'Isle Enchantée. Course de Bague, Collation ornée de Machines, Comedie de Moliere, Intitulée la Princesse d’Elide, meslée de danse, et de Musique, Ballet du Palais d’Alcine, Feu d’Artifice, et autres Festes galantes, et magnifiques, faites par le Roy à Versailles, le 7e May 1664 et continuées plusieurs autres Iours.
- 1664 Troisieme Iournée des Plaisirs de l’Isle Enchantée.
Personnes
Personnages
Lieux
Lieux | nb | |
---|---|---|
◀ | Versailles, Château de Versailles | 4 |
◀ | Paris | 3 |
◀ | Versailles | 7 |
◀ | France | 2 |
◀ | Espagne | 1 |
◀ | Versailles, Ménagerie | 1 |
◀ | Fontainebleau | 1 |
Techniques
Techniques | nb | |
---|---|---|
◀ | [construction] | 14 |
◀ | Costumes | 14 |
◀ | Animaux et créatures | 14 |
◀ | [lumieres] | 6 |
◀ | [machine_temps] | 5 |
◀ | [decor] | 4 |
◀ | [machine_terre] | 2 |
◀ | [machine_eau] | 2 |
◀ | [machine_vol] | 1 |
◀ | [feux-artifice] | 1 |
◀ | Bruitages | 1 |
Les Plaisirs De L'Isle Enchantée Festes Galantes, et Magnifiques, faites par Le Roy à Versailles, le 7e May 1664.
Les Plaisirs de L’Isle Enchantée
Festes Galantes, et Magnifiques, faites par Le Roy à Versailles, le 7e May 1664.
Copié par Philidor L’aisné.
p. 3Les Plaisirs de l'Isle Enchantée
Course de Bague, Collation ornée de Machines, Comedie de Moliere, Intitulée la Princesse d’Elide, meslée de danse, et de Musique, Ballet du Palais d’Alcine, Feu d’Artifice, et autres Festes galantes, et magnifiques, faites par le Roy à Versailles, le 7e May 1664 et continuées plusieurs autres Iours.
Le Roy voulant donner aux Reines, et à toute sa Cour le plaisir de quelques festes peu commvnes, dans vn lieu orné de tous les agrémens qui peuuent
p. 4faire admirer vne Maison de Campagne, choisit Versailles à quatre lieuës de Paris. C’est vn chateau, qu’on peut nommer vn Palais Enchanté, tant les ajustemens de l’art ont bien secondé les soins que la Nature a pris pour le rendre parfait : Il charme en toutes manieres, tout y rit dehors, et dedan, l’or et le marbre y disputent d’éclat, et de beauté, et quoy qu’il n’ait pas cette grande étenduë qui se remarque en quelques autres Palais de sa Majesté, toutes choses y sont si polies, si bien entenduës, et si acheuées, que rien ne le peut égaler. Sa Symetrie, la richesse de ses meubles, la beauté de ses promendes, et le nombre Infiny ses fleurs, comme ses Orangers, rendent ce lieu dignes de sa rareté singuliére. La diuersité des bestes contenuës dans les deux Parcs, et dans la Menagerie, où plusieurs Courts en Estoiles sont accompagnée de Viuiers pour les animaux-aquatiques, auec de grands bastimens, Joignent le plaisir auec la magnificence, et en font vne Maison accomplie.
Ce fut en ce beau lieu où toute la Cour se rendit le 5e de May, que le Roy traita plus de six cens personnes jusqu’au quatorzieme ; outre vne Infinité de gens necessaires à la Danse, et à la Comedie, Et d’artisans de toute sorte venus de Paris, si bien que cela paroissoit vne petite armée.
Le Ciel mesme sembla favoriser les desseins de sa Majesté, puis que dans vne saison presque toujours pluuieuse, on en fut quitte pour vn peu de Vent, qui sembla n’auoir augmenté, qu’afin de faire voir que la preuoyance, et la puissance du Roy, estoient à l’épreuue de plus grandes Incommoditez. De hautes toiles, des bastimens de bois, faits presque en vn Instant, et vn nombre prodigieux de flambeaux de cire blanche, pour
p. 5suppléer à plus de quatre mille bougies chaque Iournée, resisterent à ce Vent qui par tout ailleurs eut rendu ces divertissemens comme Impossibles à acheuer.
Monsieur de Vigarani Gentilhomme Modenois, fort sçauant en toutes ces choses, Inventa, et proposa celles-cy, et le Roy commanda au Duc de St Aignan, qui se trouua lors en fonction de premier Gentilhomme de sa chambre, et qui auoit déjà donné plusieurs sujets de Ballets fort agréables, de faire vn dessein où elle fussent toutes comprises auec liaison, et auec ordre, de sorte qu’elles ne pouuoient manquer de bien reüssir.
Il prit pour Sujet le Palais d’Alcine, qui donna lieu au titre des plaisirs de l’Isle enchantée, puisque, selon l’Arioste, le braue Roger et plusieurs autres bons Cheualiers y furent retenus par les doubles charmes de la beauté, quoy qu’empruntée de cette Magicienne, et en furent deliurez apres beaucoup de temps consommé dans les délices par la bague qui détruisoit les Enchantemens, C’estoit celle d’Angelique, que Melisse, sous la forme du Vieux Atlas, mit enfin au doigt de Roger.
On dit fonc en peu de Iours orner vn rond, où quatre grandes allées aboutissent entre de hautes palissades, de quatre portiques de trente cinq pieds d’elevation, et de vingt deux en quarré, et de diuerses peintures auec les armes de Sa Majesté.
Toute la Cour s’estant placée le septiéme, il entra dans la place vn Heraut d’armes, representé par , vestu d’vn habit à l’antique, couleur de feu en broderie d’argent, et fort bien monté.
Il estoit suiuy de trois pages : celuy du Roy, Mr. d’Artagnan, marchoit à la teste de deux autres, fort richement habillé de couleur de feu, liurée de sa Majesté, portant sa lance, et son Escu, dans le quel brilloit vn Soleil de pierreries, auec ces mots.
Faisant allusion à l’attachement de sa Majesté aux affaires de son Estat, et la maniere auec la quelle il agit. Ce qui estoit encore represente par ces quatre Vers du Président de Perigny, Autheur de la mesme Devise.
Les deux autres Pages estoient aux Ducs de St. Aignan, et de Noailles, le Premier, Mareschal de Camp, et l’autre, Iuge des Courses. Celuy du Duc de
p. 6St. Aignant portoit l’Escu de sa Deuise, et estoit habillé de sa liurée de toile d’argent enrichie d’or, auec des plumes Incarnates, et noires, et les rubans de mesme. Sa Devise estoit vn Timbre d’Orloge, auec ces Mots.
De mis golpes, mi Ruido.
Le Page du Duc de Noailles estoit Vêtu de couleur de feu, argent, et noir, et le reste de la liurée semblable : La Devise qu’il portoit dans son Escu estoit vn Aigle auec ces mots.
Quatre Trompettes, et deux Tymballiers marchoient apres ces Pages, habillez de satin couleur de feu, et argent, leurs plumes de la mesme liurée, et les caparaçons de leurs chevaux couuerts d’vne pareille broderie, auec des Soleils d’or fort éclattans aux banderoles des Trompettes, et aux couuertures des Timbales.
Le Duc de St. Aignan Mareschal de Camp marchoit apres eux, armé à la Grecque, d’vne cuirasse de toile d’argent couuertes de petites écailles d’or, aussibien que son bas de saye, et son casque estoit orné d’vn dragon, et d’vn grand nombre de plumes blances, meslées d’Incarnat, et de noir. Il montoit vn cheval blanc, bardé de mesme, et representoit Guidon le Sauuage
Pour le Duc de St. Aignant, representant Guidon Le Sauuage.
Madrigal
Pour Le Mesme
Huict Trompettes et 2 Tymbaliers vestus comme les autres, marchoient apres le Mareschal de Camp.
p. 7Le Roy representant Roger les suiuoit, montant vn des plus beaux cheuaux du monde, dont le harnois couleur de feu, éclattoit d’or, d’argent et de pierreries. Sa Majesté estoit armée à la façon des Grecs, comme tous ceux de sa Quadrille, et portoit vne cuirasse de lames d’argent, couuerte d’vne riche broderie d’or, et de diamans. Son port, et toute son action estoient dignes de son rang. Son casque tout couuert de plumes couleur de feu auoit vn grace Incomparable, et Iamais vn air plus libre, ny plus guerrier n’a mis vn mortel au dessus des autres Hommes.
Sonnet
Pour le Roy representant Roger
Le Duc de Noailles Iuge du Camp sous le nom d’Ogier Le Danois, marchoit apres le Roy, portant la couleur de feu, et le noir, sous vne riche broderie d’argent, et ses plumes, aussibien que tout le reste de son Equipage, estoient de cette mesme liurée.
Le Duc de Noailles Oger le Danois
Le Duc de Guise, et le Comte d’Armagnac marchoient ensemble apres luy, le premier portoit le nom d’Aquilan le Noir, auoit vn habit de cette couleur en broderie d’or, et de geaix. ses plumes, son cheval, et sa lance assortissoient à sa liurée ; Et l’autre represetant Griffon le Blanc portoit sur vn habit de toile d’argent plusieurs rubis, et montoit vn cheval blanc, bardé de la mesme couleur.
Le Duc de Guise Aquilant le Noir.
Le Comte d’Armagnac Griffon le Blanc
Les Ducs de Foix, et de Coaslin qui paroissoient en suitte estoient vetus, l’vn d’Incarnat or, et argent, et l’autre de Vert blanc, et argent, Toute leur liurée et leurs cheuaux estant dignes du reste de leur Equipage.
Pour le Duc de Foix. Renaut
Le Duc de Coaslin, Dudon
Apres eux marchoient le Comte du Lude, et le Prince de Marsillac, le premier vetu d’Incarnat, et blanc, et l’autre de jaune blanc et noir, enrichis de broderie d’argent, leur liurée de mesme, et fort bien montez.
p. 9Le Comte du Lude, Astolphe.
Le Prince de Marsillac, Brandimart
Les de Soyecourt, marchoient en suitte, l’vn portoit le bleu, et argent, et l’autre le bleu, blanc, et noir auec or, et argent, leurs plumes, et les harnois de leur chevaux estoient de la mesme couleur, et d’vne pareille richesse.
, etLe Richardet
.Le Marquis de Soyecourt Oliuier.
Les Marquis d’Humieres et de la Valliere les suivoient. Ce premier portant la couleur de chair, et argent, et l’autre gris de lin, blanc, et argent, toute leur liurée estant plus riche, et la mieux assortie du monde.
Le Marquis d’Humieres Ariodant.
Le Marquis de la Valliere Zerbin.
Monsieur le Duc marchoit seul portant pour sa liurée la couleur de feu blanc, et argent. Vn grand nombre de diamans estoient attachez sur la magnifique broderie dont sa cuirasse, et son bas de soye estoient couuerts. Son casque, et le Harnois de son cheual en estoient enrichis.
Monsieur le Duc. Roland.
Vn charde dix-huict pieds de haut, de vingt quatre de long, et de quinze de large paroissoit en suitte, eclattant d’or, et de diuerses couleurs. II representoit celuy d’Apollon en l’honneur du quel se celebroient autrefois les Jeux Pythiens, que ces Cheualiers s’estoient proposez d’imiter en leurs courses et en leur Equipage.
Cette Diuinitébrillante de lumieres estoit assise au plus haut du char, ayant à ses pieds les quatre ages, ou Siecles distinguez par de riches habits, ou par ce qu’ils portoient à la main.
Le Siecle d’ororné de ce precieux metail estoit encore paré de diuerses fleurs, qui faisoient vn des principaux ornement de cet heureux Age.
Ceux d’Argent, et d’Airain, auoient aussi leurs remarques particulieres.
Et celuy de Fer estoit representé par vn Guerrier d’vn regard terrible, portant d’vne main l’Epée, et de l’autre le bouclier.
Plusieurs autres grandes figures de relief paroient les côtez de ce Char magnifique. Les Monstres celestes, Le Serpent Python,
p. 11Daphné, Hyacinte, et les autres figures qui conuiennent à Apollon, auec vn Atlas portant le Globe du Monde y estoient aussi relevez d’vne agreable sculpture. Le Temps representé par le Sr Millet, auec sa faux, ses aisles, et cette Vieillesse décrepite dont on le peint toujours accablé en estoit le Conducteur. Quatre cheuaux d’vne taille, et d’vne beauté peu communes, couuerts de grandes housses semées de Soleils d’or, et attelez de front tiroient cette Machine.
Les douze heures du Jour, et les douze signes du Zodiaque, habillez fort superbement comme les Poëtes les dépeignent, marchoient en deux files aux deux côtez de ce char.
Tous les Pages des cheualiers le suiuoient deux à deux, apres celuy de Mr le Duc, fort proprement vetus de leurs liurées, auec quantité de plumes, portant les lances de leurs Maitres, et les Escus de leurs Deuises.
Le Duc de Guise, representant Aquilant le Noir ayant pour Deuise, vn Lion d’or, auec ces mots.
Et quiescente pauescunt.
Le Comte d’Armagnac representant Griffon le blanc, ayant pour Deuise vne Hermine auec ces mots.
Ex candore Decus.
Le Duc de Foix, representant Renaut, pour Deuise vn Vaisseau dans la Mer, auec ces mots.
Longe leuis aura feret.
Le duc de Coaslin, representant Dudon, ayant pour Deuise vn Soleil, Et l’Heliotrope, ou Tourne-sol auec ces mots.
Splendor ab obsequio.
Le Comte du Lude, representant Astolphe, ayant pour Deuise vn chiffre en forme de nœud auec ces mots,
Non fia mai Sciolto.
Le Prince de Marsillac, representant Brandimart, ayant pour
p. 12Deuise vne Montre en relief, dont on voit tous les ressorts, auec ces mots.
Chieto fuor commoto dentro.
Le Richardet, ayant pour Deuise vn Aigle qui plane deuant le Soleil auec ces mots :
, representantVni militat Astro.
Le Marquis de Soye-cour representant Oliuier ayant pour Deuise la Massuë d’Hercule, auec ces mots.
Vix aequat fama labores.
La Marquis d’Humieres, representant Ariodant ayant pour Deuise toutes sortes de Couronnes auec ces mots :
No quiero Menos.
Le Marquis de la Valliere representant Zerbin, ayant pour Deuise vn Phenix sur vn bucher allumé par le Soleil, auec ces mots.
Hoc Iuuat uri.
Monsieur le Duc, representant Roland, ayant pour Deuise vn Dard entortillé, auec ces mots,
Certò ferit.
Vint Pasteurs chargez de diuerses pieces de la Barriere, qui deuoit estre dressée pour la Course de Bague formoient la derniere troupe qui entra dans la lice. Ils portoient des Vestes couleur de feu, enrichies d’argent, et des coeffures de mesme.
Aussitost que ces Troupes furent entrées dans le camp, elles en firent le tour, et apres auoir salué les Reines, elles se separerent, et prirent chacune leur poste : Le Page a la teste, le Trompettes, et Les Tymballiers se croisants, s’aller poster sur les aisles. Le Roy s’auançant au milieu, prit sa place vis-à-vis du haut Dais. Mr Le Duc proche de sa Majesté : Les Ducs de Noailles, et de Saint-Aignant à Droit, et à gauche, les dix Cheualiers en haye aux deux costez du char, leurs Pages au mesme ordre derriere eux,
p. 13Les Signes, et les heures comme Ils estoient entrez.
Lorsque l’on eut fait alte en cet estat, vn profond silence causé tout ensemble par l’attention, et par le respect, donna le moyen à Mademoiselle de Brie, qui representoit le Siecle d’Airain de commencer ces Vers à la louange de la Reine adressez à Apollon, representé par le sieur de la Grange.
Le Siecle d’Airain A Apollon.
Apollon
Le Siecle d’Argent.
Le Siecle d’Or.
Le Siecle de Fer.
Apollon.
Tous ces recits acheuez, la Course de Bague commença, en la quelle, apres que le Roy eut fait admirer l’adresse, et la grace qu’il a en cet exercice, comme en tous les autres, et plusieurs belles Courses de tous ces Cheualiers. Le Duc de Guise,
p. 16et les Marquis de Soye-court, et de la Valliere demeurerent à la dispute, dont ce dernier emporta le prix, qui fut vne Epée d’or, enrichie de Diamans, auec des boucles de baudrier de valeur, que donna la Reine Mere, et dont elle l’honnora de sa main.
La nuict vint cependant à la fin des Courses par la Iustesse qu’on auoit eu à les commencer, et vn nombre Infiny de lumieres ayant éclairé tout ce beau lieu, L'on Vid entrer dans la mesme place
Trente-quatre Concertants fort bien Vestus, qui deuoient preceder les Saisons, et faisoient le plus agréable concert du monde.
Pendant que les Saisons se chargeoient des mets delicieux qu’elles deuoient porter pour seruir deuant leurs Majestez, la magnifique collation qui estoit préparée, les douze signes du Zodiaque, et les quatre Saisons danserent dans le rond vne des plus belles Entrées de Ballet qu’on eut encore Veuë.
Le Printemps parut en suitte sur un cheual d’Espagne, représenté par Mademoiselle du Parc, qui auec le sexe, Et les auantages d’vne femme, faisoit voir l’adresse d’vn homme : Son habit estoit vert en broderie d’argent, et de fleurs au naturel.
L'Esté le suiuoit representé par le sieur du Parc, sur un Elephant, couuert d’une riche housse.
L'Automne, aussi auantageusement Vêtu, representé par le Sieur de la Thorilliere, Venoit apres monté sur vn Chameau.
p. 17L'Hyver suiuoit sur vn Ours, representé par le Sieur Bejar.
Leur suitte estoit composée de quarante huict personnes, qui portoient toutes sur leurs testes des grands bassins pour la collation.
Les douze premiers couuerts de fleurs, portoient, comme des Iardiniers, des Corbeilles peintes de vert, et d’argent garnies d’vn grand nombre de porcelaines, si remplies de confitures, et d’autres choses delicieuses de la Saison, qu’ils estoient courbez sous cet agréable faix.
Douze autres, comme Moissonneurs ; Vêtus d’habits conformes à cette profession, mais fort riches, portoient des bassins de cette couleur Incarnate qu’on remarque au Soleil levant, et suiuoient l’Esté.
Douze vestus en Vandangeurs, estoient couuerts de feüilles de Vignes, et de grappes de raisins, et portoient dans des paniers feüille-morte, divers autres fruits, et confitures à la suite de l’Automne.
Les douzes derniers estoient des Viellards gelez dont la fourure et la démarche marquoient la froideur, et la foiblesse, portant dans des bassins couuerts d’vne glace, et d’vne neige si bien contre-faites, qu’on les eut pris pour la chose mesme, ce qu’ils deuoient contribuer à la collation.
Quatorze Concertans de Pan, et de Diane précedoient ces deux Diuinitez, auec vne agréable Harmonie de flustes, et de Musettes.
Elles Venoient en suitte sur vne machine fort Ingenieuse,
p. 18en forme d’vne Montagne, ou Roche ombragée de plusieurs arbres : Mais ce qui estoit plus surprenant, C'est qu’on la Voioit portée en l’air, sans que l’artifice qui la faisoit mouuoir se pust découurir à la Veuë.
Vingt autres personnes les suiuoient portants des viandes de la menagerie de Pan, et de la chasse de Diane.
Dix-huict Pages du Roy, fort richement Vêtus, qui deuoient seruir les Dames à Table, faisoient
les derniers de cette Troupe, la quelle estant rangée, Pan, Diane, et les Saisons, se presentans deuant la Reyne, le Printemps luy adressa le premier Ces Vers.
Le Printemps à la Reyne.
L’Esté.
L’Automne.
L'Hyver.
Diane, à la Reine.
Pan.
Ces Recits acheuez, vne grande Table en forme de croissant, ronde d’vn côté où l’on deuoit couurir, et garnir de fleurs le coté, où elle estoit creuse, Vint à se découurir.
Trente-six violons tres bien Vêtus parurent derriere sur vn petit Theatre, pendant que Messieurs de la Marche, et Parfait Pere, Frere, et Fils, Controleurs Generaux, sous les noms de l’Abondance, de la Ioye, de la Propreté, et de la Bonne chere, la firent ouurir par les plaisirs, par les Ieux, par les Ris, et par les delices.
Leurs Majestez s’y mirent en cet ordre qui préuint tous les embarras, qui eussent pu naitre pour les rangs. La Reine mere estoit assise au milieu de la Table, et auoit à sa main droite.
- Le Roy
- Mademoiselle d’Alençon.
- Madame la Princesse.
- Mademoiselle d’Elboeuf.
- Madame de Bethune.
- Madame la Duchesse de Crequy.
De l’autre costé estoient assises,
- LA REINE.
- Madame de Carignan.
- Madame de Flaix.
- Madame la Duchesse de Foix.
- Madame de Brancas.
- Madame de Froulay.
- Madame la Duchesse de Nauailles.
- Mademoiselle d’Ardennes.
- Mademoiselle de Cologon.
- Madame de Crussol.
- Madame de Montauzier.
- MADAME.
- Madame la Princesse Benedicte.
- Madame la Duchesse.
- Madame de Rouuroy.
- Mademoiselle de la Mothe.
- Madame de Marsé.
- Mademoiselle de la Valliere.
- Mademoiselle d’Artigny.
- Mademoiselle du Belloy.
- Mademoiselle de Dampierre.
- Mademoiselle de Fiennes.
La somptuosité de cette collation passoit tout ce qu’on en pourroit écrire, tant par l’abondance, que pour la delicatesse de toutes choses qui y furent servies. Elle faisoit aussi le plus bel objet qui puisse tomber sous les sens, puisque dans la nuict, aupres de la Verdeur de ces hautes palissades,
p. 22Vn nombre infiny de chandeliers peints de vert, et d’argent, portant chacun vingt quatre bougies, et deux cens flambeaux de cire blanche tenus par autant de personnes vestuës en masques, rendoient vn clarté, presqu’aussi grande, et plus agréable que celle du Iour.
Tous les cheualiers auec leurs casques couuerts de plumes de differentes couleurs, et leurs habits de la Course estoient appuyez sur la Barriere, et ce grand nombre d’Officiers richement vestus, qui seruoient, en augmentoient encore la beauté, et rendoient ce rond vne chose enchantée, du quel, aprés la Collation, leurs Matez et toute la Cour sortirent par le Portique opposé à la Barriere, et dans vn grand nombre de Calesches fort ajustées, reprirent le chemin du Chateau.
p. 23 p. 24 p. 25 p. 26 p. 27 p. 64 p. 65Acteurs de la Comedie.
- La Princesse d’ElideMademoiselle de Moliere.
- Aglante, Cousine de la Princesse Mademoiselle du Parc.
- Cinthie, Cousine de la Princesse Mademoiselle de Brie.
- Philis, Suiuante de la Princesse Mademoiselle Bejar.
- Iphitas, Père de la Princesse Le Sieur Hubert.
- Euriale, ou le Prince d’Ithaque Le Sieur de la Grange.
- Theocle, ou le Prince de Pyle Le Sieur de la Torilliere
- Aristomene, ou le Prince de Messene Le Sieur de Croissy
- Arbate, Gouuerneur du Prince d’Ithaque Le Sieur Bejar
- Moron Plaisant de la Princesse Le Sieur de Moliere.
- Vn Suiuant, Le Sieur Preuertz.
Acte Premier.
Argument.
Cette chasse qui se preparoit ainsi estoit celle d’vn Prince d’Elide, le quel estant d’humeur galante, et magnifique, et souhaittant que la Princesse sa fille, se resolust à aimer et a penser au Mariage qui estoit fort contre son Inclination, auoit fait venir en sa Cour les Princes d’Itaque, de Messene, et de Pyle, afin que dans l’exercice de la chasse qu’elle aymoit fort, et dans d’autres Ieux, comme des courses de Chars, et semblables magnificences, quelqu’vn de ces Princes pust luy plaire, et deuenir son Espoux.
Scene Premiere.
Euriale Prince d’Itaque, amoureux de la Princesse d’Elide, et Arbate son Gouuerneur, le quel
Indulgent à la passion de ce Prince, le louë de son amour au lieu de l’en blâmer, en des termes fört galants.
Euriale, Arbate.
Arbate.
Euriale.
Arbate.
Euriale.
Arbate.
Euriale.
Arbate.
Euriale.
Arbate.
Moron, Seigneur?
Euriale.
Scène Seconde.
Moron representé par le Sieur de Moliere, arriue, et ayant le souuenir d’vn furieux Sanglier, deuant le quel il auoit fuy à la Chasse, demande secours ; et rencontrant Euriale, et Arbate, se met au milieu deux pour plus de sûreté, apres leur auoir témoigné sa peur, et leur disant cent choses plaisantes sur son peu de bravoure.
[p. 72]Moron, Arbate, Euriale.
Moron sans estre veu.
Au secours ! sauuez-moy de la beste cruelle !
Euriale.
Ie pense oüir sa voix ?
Moron sans estre veu.
à moy de grace, à moy.
Euriale.
C'est luy-mesme où court-il auec vn tel effroy?
Moron.
Euriale.
Qu'as-tu?
Moron.
Euriale.
Qu'est-ce.
Moron.
Euriale.
Dis nous donc ce que c’est.
Moron.
Euriale.
Tu parlois d’Exercice penible.
Moron.
Euriale.
Qu'est-ce?
Moron.
Arbate.
Et tu l’as de pied ferme attendu ?
Moron.
Quelque sot
J’ay Ietté tout par terre, et couru comme quatre.
Arbate.
Fuir deuant vn Sanglier ayant dequoy l’abatre
Ce trait, Moron, n’est pas genereux....
Moron.
I’y consens,
II n’est pas genereux, mais, il est de bon sens.
Arbate.
Mais par quelques exploits si l’on ne s’éternise ?
Moron.
Euriale.
Fort bien….
Moron.
Euriale.
Moron.
Scene Troisiéme.
La Princesse d’Elide parut en suitte, auec les Princes de Messene et de Pyle, lesquels firent
remarquer en eux des caracteres bien differents de celuy du Prince d’Ithaque ; et luy cederent dans le coeur de la Princesse tous les auantages qu’il y pouuoit desirer. Cette aimable Princesse, ne témoigna pas pourtant que le merite de ce Prince eut fait aucune Impression sur son esprit, et qu’elle l’eut quasi remarqué, elle temoigna toujours comme vne autre Diane n’aimer que la Chasse et les Forests ; et lorsque le Prince de Messene voulut luy faire valoir le seruice qu’il luy auoit rendu, en la défaisant d’vn fort grand Sanglier qui l’auoit attaquée, elle luy dit que sans rien diminüer de sa reconnoissance, elle trouuoit son secours d’autant moins considerable, qu’elle en auoit tué toute seule d’aussi furieux, et fust peut-estre bien encore venuë à bout de celuy cy.
[p. 77]La Princesse, et sa suitte.
Aristomene, Theocle, Euriale, Arbate, Moron.
Aristomene.
Theocle.
La Princesse.
Theocle.
Mais, Madame...
La Princesse.
Scene quatrieme.
Euriale, Moron, Arbate.
Moron.
Arbate.
Moron.
Euriale.
Arbate.
Peut-on sçauoir de vous par où votre esperance?
Euriale.
Tu le vas voir, allons, et garde le silence.
Fin du premier Acte.
[p. 81]Deuxieme Intermède.
Argument.
L’Agreable Moron laissa aller le Prince pour parler de sa passion naissante aux bois, et aux rochers, et faisant retentir par tout le beau nom de sa Bergere Philis, vn Echo ridicule luy repondant bizarement, Il y prit si grand plaisir, que riant en cent manieres, Il fit repondre autant de fois cet Echo, sans témoigner d’en estre ennuyé ; Mais vn Ours vint Interrompre ce beau diuertissement, et le surprit si fort par cette veuë peu attendue, qu’il donna de sensibles marques de sa peur. Elle luy fit faire deuant l’Ours toutes les soumissions dont Il se pût auiser, pour l’adoucir : Enfin se Iettant à vn arbre pour y monter, comme il vit que l’Ours y vouloit grimper aussibien que luy, Il cria au secours d’vne voix si Haute, qu’il attira 8 Paysans armez de bâtons à deux bouts, et d’espieux pendant qu’vn autre Ours parut en suite du premier. II se fit vn Combat, qui finit par la mort d’vn des Ours, et par la fuite de l’autre.
[p. 82]Scene Premiere.
Moron.
Jusqu’au reuoir ; pour moy je reste Icy, et I'ay vne petite conuersation à faire auec ces arbres, et ces rochers.
Ah ! Philis, Philis, Philis.
Ah ! hem. ah ah ah ! hi hi hi hi. oh oh oh oh.
Voila vn Echo qui est bouffon ! hom, hom, hom.
ha ha ha.
uh uh uh. Voyla vn Echo qui est bouffon.
[p. 83]Scene Seconde.
Vn Ours, Moron.
Moron.
Ah Monsieur l’Ours, je suis votre seruiteur de tout mon cœur : de grace épargnez-moy, je vaux rien du tout à manger, je n’ay que la peau et les os, et je voy de certaines gens là-bas qui seroient bien mieux votre affaire. Eh ! Eh ! Eh ! Monseigneur que votre Altesse est Iolie, et bien faite.
Elle a tout a fait l’air galant, et la taille la plus mignonne du monde. Ah ! beau poil ! belle teste ! beaux yeux brillans, et bien fendus ! Ah ! beau petit nez ! belle petite bouche, petites quenottes jolies ! Ah ! belle gorge ! belles petites menottes, petits ongles bien faits…. A l’aide au secours, je suis mort, misericorde, pauure Moron ! ah ! mon Dieu ! et vite à moy ; Ie suis perdu !
Les chasseurs paroissent, et Moron montre sur vn arbre.
Eh ! Messieurs ayez pitié de moy ! bon, Messieurs tuez-moy ce vilain animal là. O Ciel ! daigne les assister. Bon le voila vn qui vient de luy donner vn
[p. 84]coup dans la gueule ! Les voila tous deux à l’entour de luy. Courage, ferme, allons mes amis. Bon, poussez fort, encore, ah ! le voila qui est à terre, c’en est fait, il est mort, descendons maintenant pour luy donner cent coups. Seruiter, Messieurs, je vous rends grace de m’auoir deliuré de cette beste, maintenant que vous l’auez tué, je m’en vais l’acheuer, et en triompher auec vous.
Ces heureux chasseurs, n’eurent pas plustost remportée cette victoire, que Moron, deuenu braue par l’Eloignement du peril, voulut aller donner mille coups à la beste qui n’estoit plus en estat de se déffendre, et fit tout ce qu’vn fanfaron qui n’auroit pas esté trop hardy, eut pû faire en cette occasion, et les Danseurs pour témoigner leur Ioye danserent vne fort belle Entrée. C’estoient Mr. Manceau, Les Srs. Chicanneau, Baltazard, Noblet, Bonard, Magny, et la Pierre.
[p. 85] [ partition ] [p. 88] [p. 89]Acte deuxiéme.
Argument.
Le Prince d’Ithaque, et la Princesse eurent vne conuersation fort galante sur la Course des Chars qui se préparoit. Elle auoit dit auparauant à vne des Princesses ses Parentes, que l’Insensibilité du Prince d’Ithaque luy donnoit de la peine, et luy estoit honteuse, qu’encore qu’elle ne voulut rien aimer, Il estoit bien facheux de voir qu’il n’aimoit rien, et que quoyqu’elle eut resolu de n’aller point voir les Courses, elle vouloit s’y rendre, dans le dessein de tacher à triompher de la liberté d’vn homme qui la cherissoit si fort. II estoit facile de juger que le merite de ce Prince, produisoit son effet ordinaire, que ses belles qualitez auoient touché ce coeur superbe, et commencé à fondre vne partie de cette glace qui auoit résisté Iusqu’à lors à toutes les ardeurs de l’Amour, Et plus Il affectoit, par le conseil de Moron qu’il auoit gagné, et qui connoissoit fort le cœur de la Princesse, de paroistre Insensible, quoyqu’il ne fut que trop amoureux, plus la Princesse se mettoit dans la teste de l’engager, quoyqu’elle n’eut pas fait le dessein de s’engager elle-mesme. Les Princes de Messene, et de Pyle prirent lors congé d’elle pour se preparer
[p. 90]aux Courses, et luy parlant de l’Esperance qu’ils auoient de vaincre par le desir qu’ils sentoient de luy plaire, celuy d’Ithaque luy témoigna au contraire que n’ayant Iamais rien aimé, Il alloit essayer à vaincre pour sa propre satisfaction, ce qui la piqua encore dauantage, à vouloir soumettre vn coeur déja assez soumis, mais qui sçauoit déguiser ses sentimens le mieux du monde.
Scene Premiere.
La Princesse, Aglante, Cinthie.
La Princesse.
Aglante.
La Princesse.
Cinthie.
Auis.
Le dessein de l’Autheur estoit de traiter ainsi toute la Comédie ; mais vn commandement du Roy qui pressa cette affaire l’obligea d’acheuer tout le reste en Prose, et de passer legerement sur plusieurs Scenes, qu’il auroit estenduës dauantage, s’il auoit eu plus de loisir.
Aglante.
Pour moy je tiens que cette passion est la plus agréable affaire de la vie, qu’il est necessaire d’aimer pour vivre heureusement, et que tous les plaisirs sont fades s’il ne s’y mesle un peu d’amour.
La Princesse.
Pouuez-vous bien toutes deux, estant ce que vous estes, prononcer ces paroles, et ne deuez vous pas rougir d’appuyer vne passion qui n’est qu’erreur, que foiblesse, et qu’emportement, et dont tous les desordres ont tant de repugnance auec la gloire de notre sexe ? I'en pretens soutenir l’honneur Iusqu’au dernier moment de ma Vie ; et ne veux point du tout me commettre à ces gens qui sont les esclaues aupres de Nous, pour deuenir vn jour nos Tyrans. Toutes ces larmes, tous ces soupirs, tous ces hommages, tous ces respects, sont des embuches que l’on tend à notre coeur, Et qui souuent l’engage à commettre des laschetez. Pour moy quand je regarde certains exemples, et les bassesses épouuantables où cette passion rauale les personnes sur qui elle Etend sa puissance, je sens tout mon coeur qui s’émeut, et je ne puis souffrir qu’vne ame qui fait profession d’vn peu de fierté, ne trouue pas vne honte horrible à de telles foiblesses.
Cinthie.
Eh ! Madame, Il est de certaines foiblesses qui ne sont point honteuses, et qu’il est beau mesme d’auoir dans les plus hauts degrez de gloire. J'espere que vous changerez un jour de
[p. 93]pensée, et s’il plaist au Ciel nous verrons votre coeur auant qu’il soit peu….
La Princesse.
Arrestez, n’acheuez pas ce souhait étrange, I'ay vne horreur Invincible pour ces sortes d’abaisements, et si I'estois capable d’y descendre, Ie serois personne sans doute à ne me le point pardonner.
Aglante.
Prenez garde, Madame, l’Amour sçait se vanger des mépris que l’on fait de luy, et peut-estre...
La Princesse.
Non, non, je brave tous ses traits, et le grand pouuoir qu’on luy donne, n’est rien qu’vne chimere, et qu’vne excuse des foibles cœurs, qui le font inuincible, pour authoriser leur foiblesse.
Cinthie.
Mais enfin toute la terre reconnoist sa puissance, et vous voyez que les Dieux mesme sont assujetis à son Empire. On nous fait voir que Jupiter n’a pas aimé pour vne fois; et que Diane mesme dont vous affectez tant l’exemple, n’a pas rougi de pousser des soupirs d’amour.
La Princesse.
Le croyances publiques sont toujours meslées d’erreur. Les Dieux ne sont point faits comme les fait le vulgaire, et c’est leur manquer de respect que de leur attribuer les foiblesses des hommes.
[p. 94]Scene Seconde.
Moron, La Princesse, Aglante, Cinthie, Philis.
Aglante.
Vien, approche Moron, vien nous aider à défendre l’Amour contre les sentimens de la Princesse.
La Princesse.
Voila votre party fortifié d’vn grand défenseur.
Moron.
Ma foy, Madame, Ie croy qu’àprés mon Exemple il n’y a plus rien à dire, et qu’il ne faut plus mettre en doute le Pouuoir de l’Amour. I'ay braué ses armes assez long-temps, et fait de mon drole comme vn autre; Mais enfin ma fierté a baissé l’oreille, et vous auez vne traitresse qui m’a rendu plus doux qu’vn agneau : Apres cela on ne doit plus faire aucun scrupule d’aimer, Et puisque I'ay bien passé par là, Il peut bien y en passer d’autres.
[p. 95]Cinthie.
Quoy Moron se mesle d’aimer?
Moron.
Fort bien.
Cinthie.
Et de vouloir estre aimé?
Moron.
Et pourquoy non? n’est-on pas assez bien fait pour cela? Ie pense que ce visage est assez passable, et que pour le bel air, Dieu mercy, nous ne le cedons à Personne.
Cinthie.
Sans doute on auroit tort…
Scene Troiseme.
Lycas, La Princesse, Aglante, Cinthie, Philis, Moron.
Lycas.
Madame, le Prince, votre Pere vient vous trouuer Icy, et conduit auec luy les Princes de Pyle, et d’Ithaque, et celuy de Messene.
[p. 96]La Princesse.
O Ciel ! que pretend-il faire en me les amenant? auroit-il resolu ma perte, et voudroit-il bien me forcer au choix de quelqu’vn d’eux?
Scene Quatriéme.
Le Prince, Euriale, Aristomene, Théocle, La Princesse, Cinthie, Aglante, Philis, Moron.
La Princesse.
Seigneur, Ie vous demande la liberté de preuenir par deux paroles la déclaration des pensées que vous pouuez auoir. II y a deux veritez, Seigneur aussi constantes l’vne, que l’autre, et dont je puis assez vous assurer également. L'vne que vous auez vn absolu pouuoir sur moy, et que vous ne sçauriez m’ordonner rien, où je ne réponde aussi-tost par vne obeissance aueugle : l’autre que je regarde l’Hymenée ainsi que le trépas, et qu’il m’est impossible de forcer cette auersion naturelle. Me donner vn mary, et me donner la mort c’est une mesme chose ; Mais votre volonté va la premiere, et mon obiïssance m’est bien plus chere que ma Vie. Aprés cela, Seigneur, prononcez librement ce que vous voulez.
Le Prince.
Ma fille tu as tort de prendre de pareilles allarmes, et je me plains de toy, qui peux mettre dans ta pensée que je sois assez mauuais Pere pour me seruir tyraniquement de la puissance
[p. 97]que le Ciel me donne sur toy. Ie souhaitte à la verité que ton coeur puisse aimer quelqu’vn. Tous mes voeux seroient satisfaits, si cela pouuoit arriuer, et je n’ay proposé les Festes et les Ieux que Ie fais celebrer Icy, qu’àfin d’y pouuoir attirer tout ce que la Grece a d’Illustre, Et que parmy cette jeunesse tu puisses enfin rencontrer où arrester tes yeux, et déterminer tes pensées. Ie ne demande, dis-je, au Ciel autre bon-heur que celuy de voir vn Epoux. I'ay pour obtenir cette grace fait encore ce matin vn sacrifice à Venus, et si je sçay bien expliquer le langage des Dieux, elle m’a promis vn miracle ; Mais quoy qu’il en soitz, Ie veux en user auec toy en Pere qui aime sa fille : si tu trouues où attacher tes vœux, ton choix sera le mien, et je ne considereray ny Interests d’Estat, ny auantage d’Alliance. Si ton coeur demeure Insensible, je n’entreprendray point de le forcer ; mais au moins sois complaisante aux ciuilitez qu’on te rend, et ne m’oblige point à faire les excuses de ta froideur : Traites ces Princes auec l’estime que tu leur dois, reçois auec reconnoissance les temoignages de leur zele, et viens voir cette course où leur adresse va paroistre.
Theocle.
Tout le monde va faire des efforts pour emporter le prix de cette Course : Mais à vous dire vray, I'ay peu d’ardeur pour la victoire, puisque ce n’est pas votre coeur qu’on y doit disputer.
Aristomene.
Pour moy, Madame, vous estes le seul prix que je me propose par tout : C'est vous que je croy disputer dans ces combats d’adresse, et je n’aspire maintenant qu’à remporter l’honneur de la Course, que pour obtenir vn degré de gloire qui m’approche de vous.
Euriale.
Pour moy, Madame, je n’y vais point du tout avec cette pensée. Comme I'ay fait toute ma vie profession de ne rien aimer, tous les soins que je prends ne vont point où tendent les autres, je n’ay aucune pretention sur votre cœur, et le seul honneur de la Course, est tout l’auantage où I'aspire.
Ils la quittent.
[p. 98]La Princesse.
D'où sort cette fierté où l’on ne s’attendoit point? Princesses, que dites-vous de ce Ieune Prince? auez vous remarqué de quel ton il l’a pris ?
Aglante.
II est vray que cela est vn peu fier.
Moron.
Ah ! quelle braue botte Il vient là de luy porter
La Princesse.
Ne trouuez vous pas qu’il y auroit plaisir d’abaiser son orgueil, et de soumettre vn peu ce coeur qui tranche tant du braue ?
Cinthie.
Comme vous estes accoutumée à ne Iamais receuoir que des hommages, et des adorations de tout le monde, vn compliment pareil au sien doit vous surprendre à la vérité.
La Princesse.
Je vous auouë que cela m’a donné de l’émotion, et que je souhaiterois fort de trouuer les moyens de châtier cette hauteur. Ie n’auois pas beaucoup d’enuie de me trouuer à cette Course, Mais I'y veux aller expres, et employer toute chose pour luy donner de l’Amour.
Cinthie.
Prenez garde, Madame, l’Entreprise est perilleuse, et lorsqu’on veut donner de l’amour, on court risque d’en receuoir.
La Princesse.
Ah ! n’aprehendez rien, je vous prie ; allons, je vous reponds de moy.
Fin du second Acte.
[p. 99]Troisiéme Intermede.
Scene Premiere.
Moron, Philis.
Moron.
Philis, demeure Icy.
Philis.
Laisse-moy suiure les autres.
Moron.
Ah ! cruelle si c’estoit Tircis qui t’en priast, tu demeurerois bien vite.
Philis.
Cela se pourroit faire, et je demeure d’accord que je trouue bien mieux mon conte auec l’vn qu’auec l’autre, car il me diuertit auec sa voix, et tu m’étourdis de ton caquet, lorsque tu chanteras aussi bien que luy, je te promets de t’écouter.
Moron.
Eh ! demeure un peu.
Philis.
Ie ne sçaurois.
Moron.
de grace.
Philis.
Point te dis-je.
Moron.
Je ne te laisseray point aller.
[p. 100]Philis.
Ah ! que de façons.
Moron.
Je ne te demande qu’vn moment à estre auec toy.
Philis.
Et bien ouy, I'y demeureray pourueu que tu me promette vne chose.
Moron.
Et quelle?
Philis.
De ne me point parler du tout.
Moron.
Eh ! Philis ?
Philis.
A moins que de cela je ne demeureray point avec toy.
Moron.
Veux-tu me…
Philis.
Laisse-moy aller.
Moron.
Et bien, ouy demeure, je ne te diray mot.
Philis.
Prends bien garde au moins, car à la moindre parole je prends la fuite.
Moron. Il fait vne Scene de Gestes.
Soit. Ah ! Philis… Eh… elle s’enfuit, et je ne sçaurois l’attraper. Voila ce que c’est, si je sçauois chanter, I'en ferois bien mieux mes affaires. La pluspart des femmes aujourd’huy se laissent prendre par les oreilles. Elles sont cause que tout le monde se mesle de musique, et l’on ne reüssit aupres d’elles que par les petites chansonnettes, et les petits vers que l’on leur fait entendre. II faut que I'apprenne à chanter comme les autres. Bon voicy Iustement mon homme.
[p. 101] [ partition ] [p. 106] [p. 107]Acte Troisiéme.
Argument.
La Princesse d’Elide estoit cependant dans d’Etranges Inquétudes. Le Prince d’Ithaque auoit gagné le prix des Courses, elle auoit dans la suitte de ce diuertissemens fait des merueilles à chanter, et à la danse, sans qu’il parût que les dons de la nature ; et de l’art eussent esté quasi remarquez par le Prince d’Itaque. Elle en fit de grandes plaintes à la Princesse sa Parente, elle en parla à Moron, qui fit passer cet Insensible pour un brutal ; Enfin, le voyant arriuer luy mesme, elle ne pût s’empescher de luy en toucher fort serieusement quelque chose, II luy repondit fort Ingenieusement, qu’il n’aimoit rien, et qu’hors l’Amour de sa liberté, et les plaisirs qu’il trouuoit si agréables de la solitude, et de la Chasse, rien ne le touchoit.
[p. 108]Scene Premiere.
La Princesse, Aglante, Cinthie, Philïs.
Cinthie.
IL est vray, Madame, que ce Ieune Prince a fait voir vne adresse peu commune, et que l’air dont il a paru a esté quelque chose de surprenant. Il sort vainqueur de cette Course, mais Ie doute fort qu’il en sorte auec le mesme coeur qu’il a porté : car enfin vous luy auez tiré des traits dont il est difficile de se défendre, et sans parler de tout le reste, la grace de votre danse, et la douceur de votre voix ont eu des charmes aujourd’huy à toucher les plus Insensibles.
La Princesse.
Le voicy qui s’entretient auec Moron; nous sçaurons vn peu de quoy il luy parle : Ne rompons point encore leur entretien, et prenons cette route, pour reuenir à leur rencontre.
[109-116] [p. 117]Scene Cinquiéme
La Princesse, Moron, Philis, Tircis.
Moron.
Il ne vous en doit rien, Madame, en dureté de coeur.
La Princesse.
Je donnerois volontiers tout ce que I'ay au monde, pour auoir l’auantag d’en triompher.
Moron.
Je le croy.
La Princesse.
Ne pourrois-tu pas, Moron me servir dans vn tel dessein.
Moron.
Vous sçauez bien Madame, que je suis tout à votre seruice.
La Princesse.
Parle luy de moy dans tes entretiens, vante-luy adroitement ma personne, et les auantages de ma naissance, et tache d’ébranler ses sentimens par la douceur de quelqu’espoir. Ie te permets de dire tout ce que tu voudras pour tacher à me l’engager.
Moron.
Laissez moy faire.
[p. 118]La Princesse.
C'est vne chose qui me tient au cœur, je souhaite ardemment qu’il m’aime.
Moron.
Il est bien fait, ouy, ce petit pendard là. II a bon air, bonne Physionomie, & je croy qu’il seroit assez le fait d’vne jeune Princesse key="princesse_d_elide" corresp="armande_bejart".
La Princesse.
Enfin tu peux tout esperer de moy, si tu trouves moyen d’enflâmer pour moy son coeur.
Moron.
Il n’y a rien qui ne se puisse faire ; Mais, Madame, s’il venoit à vous aimer, que feriez vous,
s’il vous plaist?
La Princesse.
AH! ce seroit pour lors que je prendrois plaisir à triompher pleinement de sa vanité, à punir son mépris par mes froideurs, et à exercer sur luy toutes les cruautez que pourrois imaginer.
Moron.
II ne se rendra Iamais.
La Princesse.
Ah ! Moron, Il faut faire en sorte qu’il se rende.
Moron.
Non, Il n’en fera rien, je le connois, ma peine seroit Inutile.
La Princesse.
Si faut-il pourtant tenter toute chose, et éprouuer si son ame est entierement Insensible ? Allons, je veux luy parler, et suiure vne pensée qui vient de me venir.
Fin du troisieme Acte.
[p. 119]Quatriéme Intermede.
Scene Premiere.
Philis, Tircis.
Philis.
Viens, Tircis, laissons les aller, et me dis vn peu ton martire de la façon que tu sçais. II y a long temps que tes yeux me parlent, Mais je suis plus aise d’oüir ta voix.
partition
[p. 120] partition
Philis.
Va, va, c’est deja quelque chose que de toucher l’oreille, et le temps amene tout. Chante moy cependant quelque plainte nouuelle q’tu ayes composée pour moy.
Scene Deuxiéme.
Moron, Philis, Tircis.
Moron.
AH ! ah je vous y prends, cruelle, vous vous écartez des autres pour oüir mon rival?
Philis.
Ouy, je m’écarte pour cela, je te le dis encore : Je me plais auec luy, et l’on écoute volontiers
les Amans, lorsqu’ils se plaignent aussi agreablement qu’il fait. Que ne ne chantes-tu comme
luy, je prendrois plaisir à t’écouter.
[p. 121]Moron.
Si je ne sçay chanter, Ie sçay faire autre chose, et quand...
Philis.
Tais-toy ? je veux l’entendre. Dis, Tircis, ce que tu voudras.
Moron.
Ah ! cruelle…
Philis.
Silence, dis-je, ou je me mettray en colere.
Tircis.
partition
[p. 122] partition
Moron.
Morbleu, que n’ay-je de la voix ! ah ! nature maratre, pourquoy ne m’as tu pas donné de quoy chanter comme à vn autre?
Philis.
En vérité, Tircis, il ne se peut rien de plus agréable, et tu l’emportes sur tous les Riuaux que tu as.
[p. 123]Moron.
Mais, pourquoy est-ce que je ne puis pas chanter? n’ay-je pas vn estomach, vn gosier, et vne langue comme vn autre? Oüy, ouy, allons, je veux chanter aussi, et te montrer que l’Amour fait faire toutes choses. Voicy vne chanson que I'ay faite pour toy.
Philis.
Ouy, dis, je veux bien t’écouter pour la rareté du fait.
Moron.
Courage, Moron ; il ny a qu’à avoir de la hardiesse.
Moron chante.
partition
[p. 124] partition
Viuat Moron.
Philis.
Voila qui est le mieux du monde, Mais Moron, je souhaitterois bien d’auoir la gloire que quelqu’Amant fut mort pour moy ; c’est vn auantage dont je n’ay pas encore joüy, et je trouue que I'aimerois de tout mon coeur vne personne qui m’aimeroit assez pour se donner la mort.
Moron.
Tu aimerois vne personne qui se tuëroit pour toy?
Philis.
Ouy.
[p. 125]Moron.
II ne faut que cela pour te plaire?
Philis.
Non.
Moron.
Voila qui est fait, je te veux montrer que je me sçay tuer quand je veux.
Tircis.
partition
Moron.
C’est vn plaisir que vous aurez quand vous voudrez.
[p. 126]Tircis.
partition
Moron.
Je vous prie de vous mesler de vos affaires, et de me laisser tuër à ma fantaisie. Allons, je vais faire honte à tous les Amans ; tien, je ne suis pas homme à faire tant de façons. Voy ce poignard, prends bien garde comme je vais me percer le cœur. Je suis votre seruiteur, quelque niais. Se riant de Tircis.
Philis.
Allons, Tircis, viens-t-en me dire à l’Echo ce que tu m’as chanté.
[p. 127]Acte quatrieme.
Argument.
La Princesse esperant par vne feinte de découurir les sentimens du Prince d’Itaque, elle luy fit confidence qu’elle aimoit le Prince de Messene. Au lieu d’en paroitre affligé, Il luy rendit la pareille, et luy fit connoitre que la Princesse sa Parente luy auoit donné dans la veuë, et qu’il la demanderoit en Mariage au Roy son Pere. A cette atteinte Impreueuë, cette Princesse perdit toute sa constance, et quoyqu’elle essaya à se contraindre deuant luy, aussitost qu’il fut sorty, elle demanda auec tant d’empressement à sa Cousine de ne receuoir point les seruices de ce Prince,
[p. 128]et de ne l’épouser Iamais, qu’elle ne pût le luy refuser. Elle s’en plaignit mesme à Moron qui luy ayant dit assez franchement qu’elle l’aimoit donc, en fut chassé de sa presence.
Scene Premiere.
Euriale, La Princesse, Moron.
La Princesse.
Prince, comme Iusques Icy nous auons fait paroitre vne conformité de sentimens, et que le Ciel a semblé mettre en nous mesmes attachemens pour notre liberté, et mesme auersion pour l’Amour, je suis bien aise de vous ouurir mon coeur, et de vous faire confidence d’vn changement dont vous serez surpris. I'ay toujours regardé l’hymen comme vne chose affreuse, et I'avois fait serment d’abandonner plustost la Vie, que de me resoudre Iamais à perdre cette liberté pour qui j’auois des tendresses si grandes, Mais enfin vn moment à dissipé toutes ces resolutions, Le merite d’vn Prince m’a frappé aujourd’huy les yeux, et mon ame, tout d’vn coup, comme par vn miracle, est deuenuë sensible aux traits de cette passion que I'avois toujours mesprisée. I'ay trouué d’abord des raisons pour authoriser ce changement, et je puis l’appuyer de ma volonté, et repondre aux ardentes solicitations d’vn Pere, et aux voeux de tout vn Estat ;
[p. 129]Mais à vous dire vray, je suis en peine du jugement que vous ferez de moy, et je voudrois sçauoir si vous condamnerez ou non le dessein que I'ay de me donner à vn Epoux ?
Euriale.
Vous pourriez faire vn tel choix, Madame, que Ie l’approuuerois sans doute.
La Princesse.
Qui croyez-vous, à votre auis, que je veüille choisir?
Euriale.
Si I'estois dans votre cœur, je pourrois vous le dire ; Mais comme je n’y suis pas, je n’ay garde de vous repondre.
La Princesse.
Deuinez pour voir, et nommez quelqu’vn.
Euriale.
I'aurois trop peur de me tromper.
La Princesse.
Mais encore pour qui souhaitteriez-vous que je me déclarasse ?
Euriale.
Je sçay bien à vous dire vray pour qui je le souhaitterois, mais
[p. 130]auant que de m’expliquer, Ie dois sçauoir votre pensée.
La Princesse.
Et bien, Prince, je veux bien vous la decouurir, et suis seure que vous allez aprouuer mon choix, et pour ne vous point tenir en suspens dauantage, le Prince de Messene est celuy de qui le merite s’est attiré mes voeux.
Euriale.
O Ciel!
La Princesse.
Mon Invention a reüssi, Moron, le voila qui se trouble.
Moron, parlant à la Princesse. Au Prince. à la Princesse. Au Prince.
Bon, courage. Courage, Seigneur, iI en tient. Ne vous défaites pas.
La Princesse.
Ne trouuez vous pas que I'ay raison, et que ce Prince a tout le merite qu’on peut auoir?
Moron au Prince.
Remettez-vous, et songez à répondre.
La Princesse.
D'où vient donc Prince que vous ne dites mot, et semblez Interdit?
[p. 131]Euriale.
Je le suis à la verité, et I'admire, Madame, comme le Ciel a pû former deux ames aussi semblables en tout que les nôtres ? Deux ames en qui l’on ait veu vne plus grande conformité de sentimens, qui ayent fait éclater dans le mesme temps vne resolution à brauer les traits de l’Amour, et qui dans le mesme moment ayent fait paroitre vne égale facilité à perdre le nom d’Insensibles : Car Enfin, Madame, puisque votre exemple m’autorise, je ne feindray point de vous dire, que l’Amour, aujourd’huy s’est rendu Maitre de mon coeur, et qu’vne des Princesses vos cousines, l’aimable et belle Aglante a renuersé d’vn coup d’oeil tous les projets de ma fierté. Ie suis ravi, Madame, que par cette égalité de défaite nous n’ayons rien à nous reprocher l’vn et l’autre, et je ne doute point, que comme je vous louë Infiniment de votre choix, vous n’approuuiez aussi le mien. II faut que ce miracle éclate aux yeux de tout le monde, et nous ne deuons point differer à nous rendre tous deux contents. Pour moy, Madame, Ie vous solicite de vos suffrages, pour obtenir celle que je souhaitte, et vous trouuerez bon que I'aille de ce pas en faire la demande au Prince votre Pere.
Moron.
Ah ! digne, ah ! brave cœur.
[p. 132]Scene Deuxieme.
La Princesse, Moron.
La Princesse.
Ah ! Moron, je n’en puis plus, et ce coup, que je n’attendois pas, triomphe absolument de toute ma fermeté.
Moron.
II est vray que le coup est vn peu surprenant, et I'auois creu d’abord que votre stratagéme auoit fait son effect.
La Princesse.
Ah ! ce m’est vn dépit à me desesperer, qu’vne autre ait l’auantage de soûmettre ce cœur que je voulois soumettre.
[p. 133]Scene Troisiéme.
La Princesse, Aglante, Moron.
La Princesse.
Princesse, I'ay à vous prier d’vne chose, qu’il faut absolument que vous m’accordiez : Le Prince d’Ithaque vous aime, et veut vous demander au Prince mon Pere.
Aglante.
Le Prince d’Ithaque, Madame ?
La Princesse.
Ouy il vient de m’en assurer luy mesme, et m’a demandé mon suffrage pour vous obtenir ; Mais je vous conjure de rejetter cette proposition, et de ne point prester l’oreille à tout ce qu’il pourra vous dire.
Aglante.
Mais, Madame, s’il estoit vray que ce Prince m’aimast effectivement, pourquoy n’ayant aucun dessein de vous engager, ne voudriez vous pas soufrir…
La Princesse.
Non, Aglante, je vous le demande, faites-moy ce plaisir je vous prie, et trouvez bon que n’ayant pû auoir l’auantage de le soumettre Ie luy dérobe la Ioye de vous obtenir.
Aglante.
Madame, Il faut vous Obëir ; Mais je croioiois que la victoire d’vn tel cœur ne seroit pas vne victoire à dédaigner.
[p. 134]La Princesse.
Non, non, il n’aura pas la Ioye de me brauer entierement.
Scene Quatrieme.
Aristomene, Moron, La Princesse, Aglante.
Aristomene.
Madame, je viens à vos pieds rendre grace à l’Amour de mes heureux destins, et vous témoigner auec mes transports, le ressentiment où Ie suis des surprenantes bontez dont vous daignez favoriser le plus soumis de vos captifs.
La Princesse.
Comment?
[p. 135]Aristomene.
Le prince d’Ithaque, Madame, vient de m’assurer tout à l’heure que votre coeur auoit eu la bonté de s’expliquer en ma faveur, sur ce celebre choix qu’attend toute la Grece.
La Princesse.
II vous a dit qu’il tenoit cela de ma bouche?
Aristomene.
Ouy, Madame.
La Princesse.
C'est vn étourdy, et vous estes vn peu trop credule, d’adjouter foy si promtement a ce qu’il vous a dit. Vne pareille nouuelle meriteroit bien ce me semble qu’on en doutast vn peu de temps, et c’est tout ce que vous pourriez faire de le croire, si je vous l’auois dite moy mesme.
Aristomene.
Madame, si I'ay esté trop promt à me persuader….
La Princesse
De grace, Prince, brisons là ce discours, et si vous voulez m’obliger, souffrez que je puisse Iouïr de deux momens de solitude.
[p. 136]Scene Cinquiéme.
La Princesse, Aglante, Moron.
La Princesse.
Ah ! qu’en cette auanture, le ciel me traite auec vne rigueur étrange ! au moins, Princesse, souuenez-vous de la priere que je vous ay faite ?
Aglante.
Ie vous l’ay déjà dit, Madame, il faut vous obéïr.
Moron.
Mais, Madame, s’il vous aimoit, vous n’en voudriez point, et cependant vous ne voulez pas qu’il soit à vne autre. C'est faire Iustement comme le chien du Iardinier.
La Princesse.
Non, je ne puis souffrir qu’il soit heureux auec vne
[p. 137]autre, Ie croy que I'en mourrois de déplaisir.
Moron.
Ma foy, Madame, auoüez la dette, vous voudriez qu’il fut à vous, et dans toutes vos actions, Il est aisé de voir que vous aimez vn peu ce Ieune Prince.
La Princesse.
Moy, je l’aime ? O ciel ! je l’aime ? auez-vous l’Insolence de prononcer ces paroles ? Sortez de ma Veuë, Impudent, et ne vous presentez jamais deuant moy.
Moron.
Madame…
La Princesse.
Retirez-vous d’Icy, vous dis-je, où je vous en feray retirer d’vne autre maniere.
Moron.
Ma foy son coeur en a sa prouision, et….
Il rencontre vn regard de la Princesse qui l’oblige à se retirer.
[p. 138]Scene Sixiéme.
La Princesse.
De quelle émotion Inconnuë sens-je mon coeur atteint, et quelle Inquietude secrette est venuë tout d’vn coup troubler la tranquilité de mon ame. Ne seroit-ce point aussi ce qu’on vient de me dire, et sans en rien sauoir, n’aimerois-je point ce Ieune Prince? Ah! si cela estoit Ie serois personne à me desesperer, Mais il est Impossible que cela soit, et je voy bien que je ne puis pas l’aimer. Quoy serois-je capable de cette lascheté ? I'ay veu toute la Terre à mes pieds, auec la plus grande Insensibilité du monde. Les respects, les hommages, les soumissions, n’ont Iamais pû toucher mon ame, et la fierté, et le dedain en auroient triomphé. I'ay meprisé tous ceux qui m’ont aimé, et I'aymerois le seul qui me mesprise, ,on, non, je sçay bien que je ne l’aime pas, il n’y a pas de raison à cela. Mais si ce n’est pas de l’amour que ce que je sens maintenant, qu’est-ce donc que ce peut estre ? et d’où vient ce poison qui me court par toutes les veines, et ne me laisse point en repos avec moy mesme? sors de mon coeur, qui que tu sois, ennemy qui te caches, attaque moy visiblement, et deuient à mes yeux la plus afreuse beste de tous nos bois, afin que mon dard, et mes fléches me puissent défaire de toy. O vous, admirables personnes qui par la douceur de vos chants auez l’art d’adoucir les plus facheuses Inquiétudes, approchez vous icy de grace, et tachez, par votre musique, de charmer le chagrin où je suis.
Fin Du Quatriéme Acte.
[p. 139] partition
[p. 146] [p. 147]Act e cinquiéme.
Argument.
Il se passoit dans le coeur du Prince de Messene des choses bien differentes ; la Ioye que luy auoit donnée le Prince d’Ithaque, en luy aprenant malicieusement qu’il estoit aimé de la Princesse, l’auoit obligé de l’aller trouuer auec vne Inconsideration, que rien qu’vne extreme amour, ne pouuoit excuser; Mais il en auoit esté receu d’vne maniere bien differente à ce qu’il esperoit. Elle luy demanda qui luy auoit appris cette nouuelle, et quand elle eut sçeu que ç’auoit esté le Prince d’Ithaque, cette connoissance augmenta cruellement son mal, et luy fit dire à demy desesperée, que c’estoit vn étourdy, et ce mot étourdit si fort le Prince de Messene, qu’il sortit tout confus, sans luy pouuoir répondre.
La Princesse d’vn autre côté alla trouuer le Roy son Pere qui venoit de paroitre auec le Prince d’Ithaque, et
[p. 148]qui luy temoignoit, non seulement la Ioye qu’il auroit eu de le voir entrer dans son Alliance, Mais mesme l’opinion qu’il commença d’auoir que sa fille ne le hayssoit pas : Elle ne fut pas plustost aupres de luy qu’elle se Ietta à ses pieds, elle luy demanda pour la plus grande faueur qu’elle pust jamais receuoir, que le Prince d’Ithaque n’épousast Iamais la Princesse Aglante, ce qu’il luy promit solemnellement : Mais il luy dit que si elle ne vouloit point qu’il fut à vne autre, il faloit qu’elle le prit pour elle. Elle luy repondit, il ne le voudroit pas, Mais d’vne maniere si passionnée, qu’il estoit aisé de connoitre les sentimens de son coeur. Alors le Prince quittant toute sorte de feinte, luy confessa son amour, et le stratagéme dont il s’estoit seruie, pour venir au point où il se voioit alors, par la connoissance de son humeur. La Princesse luy donnant la main, Le Roy se tourna vers les deux Princes de Messene, et de Pyle, et leur demanda si ses deux Parentes dont le merite n’estoit pas moindre que la qualité, ne seroient point capable de les consoler de leur disgrace ? Ils luy repondirent que l’honneur de son alliance faisant tous leurs souhaits, Ils ne pouuoient esperer vne plus heureuse fortune. Alors la joye fut si grande dans le Palais, qu’elle se repandit par tous les enuirons.
[p. 149]Scene Premiere.
Le Prince Iphitas, Euriale, Moron, Aglante, Cinthie.
Moron.
Ouy, Seigneur, ce n’est point raillerie, I'en suis ce que l’on appelle disgracié, iI m’a falu tirer mes chauses au plus vite, et jamais vous n’auez veu emportement plus brusque que le sien.
Le Prince Iphitas.
Ah ! Prince, que je deuray de graces à ce stratagéme amoureux, s’il faut qu’il ait trouué le secret de toucher son coeur.
Euriale.
Quelque chose, Seigneur, qu’on vienne de vous dire, je n’ose encore pour moy, me flatter de ce doux espoir : mais enfin si ce n’est pas à moy trop de témerité, que d’oser aspirer à l’honneur de votre alliance, si ma personne, et mes Estats...
[p. 150]Le Prince Iphitas.
Prince n’entrons point dans ces complimens. Je trouve en vous de quoy remplir tous les souhaits d’vn Père, et si vous auez le coeur de ma fille, il ne vous manque rien.
Scene Seconde.
La Princesse, Le Prince Euriale, Aglante, Cinthie, Moron.
La Princesse.
O Ciel ! que vois-je Icy ?
Le Prince Iphitas.
Ouy l’honneur de votre alliance m’est d’vn prix tres-considerable, et je souscris aisément de tous mes suffrages à la demande que vous me faites.
[p. 151]La Princesse.
Seigneur, je me jette à vos pieds, pour vous demander vne grace. Vous m’auez toujours témoigné vne tendresse extreme, et je croy vous deuoir bien plus par les bontez que vous m’auez fait voir, que par le jour que vous m’auez donné ; Mais si Iamais vous auez eu de l’amitié pour moy, Ie vous en demande aujourd’huy la plus sensible preuue que vous me puissiez accorder, c’est de n’écouter point, Seigneur, la demande de ce Prince, et de ne pas souffrir que la Princesse Aglante soit vnie auec luy.
Le Prince.
Et par quelle raison, ma Fille, voudrois-tu t’opposer à cette vnion ?
La Princesse.
Par la raison que je hais ce Prince, et que je veux, si je puis trauerser ses desseins.
Le Prince.
Tu le hais, ma Fille
La Princesse.
Ouy, et de tout mon coeur, je vous l’aüouë.
Le Prince.
Et que t’a t’il fait?
La Princesse.
Il m’a m’éprisée.
[p. 152]Le Prince.
Et comment.
La Princesse.
II ne m’a pas trouuée assez bien faite pour m’adresser ses voeux.
Le Prince.
Et quelle offense te fait cela, tu ne veux accepter personne.
La Princesse.
N'importe, il me deuoit aimer comme les autres, et me laisser au moins la gloire de le refuser. Sa declaration me fait vn affront, et ce m’est vne honte sensible, qu’à mes yeux, et au milieu de votre cour, il a recherché vne autre que moy.
Le Prince.
Mais quel Interest dois-tu prendre à luy?
La Princesse.
J'en prends, Seigneur à me vanger de son mépris, et comme Ie sçay qu’il aime Aglante auec beaucoup d’ardeur, je veux empescher, s’il vous plaist, qu’il ne soit heureux auec Elle.
Le Prince.
Cela te tient donc bien au coeur
La Princesse.
Ouy, Seigneur, sans doute, et s’il obtient ce qu’il demande vous me verrez expirer à vos yeux.
[p. 153]Le Prince.
Va, va, ma Fille, auouë franchement la chose. Le merite de ce Prince t’a fait ouurir les yeux, et tu l’aimes enfin, quoyque tu puisses dire.
La Princesse.
Moy, Seigneur ?
Le Prince.
Ouy tu l’aimes.
La Princesse.
Ie l’aime, dites-vous ? et vous m’Imputez cette lascheté? O Ciel ! quelle est mon infortune ! puis-je bien, sans mourir, entendre ces paroles ? et faut-il que je sois si malheureuse qu’on me soupçonne d’aimer? Ah ! Si c’estoit vn autre que vous, Seigneur, qui me tint ce discours je ne sçay pas ce que je ne ferois point.
Le Prince.
Et bien ouy, tu ne l’aimes pas. Tu les hais, I'y consens, et Ie veux bien pour te contenter qu’il n’épouse pas la Princesse Aglante.
La Princesse.
Ah ! Seigneur, vous me donnez la vie.
Le Prince.
Mais afin d’empescher qu’il ne puisse Iamais estre à elle Il faut que tu le prenne pour toy
[p. 154]La Princesse.
Vous, vous mocquez, Seigneur, et ce n’est pas ce qu’il demande.
Euriale.
Pardonnez-moy, Madame, si je suis assez temeraire pour cela, et je prens à témoin le Prince votre Pere, si ce n’est pas vous que I'ay demandée. C'est trop vous tenir dans l’erreur, Il faut leuer le masque, et deussiez vous, vous en preualoir contre moy, découurir à vos yeux les veritables sentimens de mon coeur. Ie n’ay Iamais aimé que vous, et Iamais je n’aimeray que vous. C’est vous, Madame, qui m’auez enlevé cette qualité d’Insensible que j’auois toujours affectée, et tout ce que I'ay pû vous dire, n’a esté qu’vne feinte, qu’vn mouvement secret m’a inspirée, et que je n’ay suiuie qu’auec toutes les violences imaginables. Il faloit qu’elle cessast bien tost, sans doute, et je m’estonne seulement qu’elle ait pû durer la moitié d’vn jour. Car enfin, je mourois, Ie brulois dans l’ame quand je vous déguisois mes sentimens, et Iamais cœur n’a souffert vne contrainte égale à la mienne. Que si cette feinte, Madame, a quelque chose qui vous offence, je suis tout prest de mourir pour vous en vanger : Vous n’auez qu’à parler, et ma main sur le champ fera gloire d’executer l’arrest que vous prononcerez.
La Princesse.
Non, non Prince, Ie ne vous sçay pas mauuais gré de m’auoir abusée, et tout ce que vous m’auez dit, je l’aime bien mieux vne feinte, que non pas vne verité.
[p. 155]Le Prince.
Si bien donc, ma Fille que tu veux bien accepter ce Prince pour Espoux?
La Princesse.
Seigneur, je ne sçay pas encore ce que je veux, donnez moy le temps d’y songer, je vous prie, et m’épargnez vn peu la confusion où je suis.
Le Prince.
Vous Iugez Prince, ce que cela veut dire, et vous vous pouuez fonder la dessus.
Euriale.
Je l’attendray tant qu’il vous plaira, Madame, cet arrest de ma destinée, et s’il me condamne à la mort, je le suiuray sans murmure.
Le Prince.
Vien, Moron, c’est Icy un jour de Paix, et je te remets en grace auec la Princesse.
Moron.
Seigneur, je seray meilleur Courtisan vne autre fois, et me garderay bien de dire ce que je pense.
[p. 156]Scene Troisiéme.
Aristomene, Theocle, Le Prince, La Princesse, Aglante, Cinthie, Moron.
Le Prince Iphitas.
Je crains bien, Prince, que le choix de ma fille ne soit pas en votre faveur : Mais voila deux Princesses qui peuuent bien vous consoler de ce petit malheur.
Aristomene.
Seigneur, nous sçauons prendre notre party, et si ces aimables Princesses n’ont point trop de mespris pour des coeurs qu’on a rebutez, nous pouuons reuenir par elles à l’honneur de votre alliance…
[p. 157]Scene Quatriéme.
Philis, Aristomene, Le Prince, La Princesse, Aglante, Cinthie, Moron.
Philis.
Seigneur, la Deesse Venus vient d’annoncer par tout le changement du coeur de la Princesse. Tous les Pasteurs, et toutes les Bergeres en témoignent leur joye par des danses, et des chansons, et si ce n’est pas vn spectacle que vous mesprisiez, vous allez voir l’allegresse publique se repandre Iusqu’Icy.
Fin Du Cinquiésme Acte.
[p. 158]Sixieme Intermede.
Chœurs de Pasteurs, et de Bergeres Qui Dansent.
Quatre Bergers, et deux Bergeres Heroïques representez, les premiers par les Sieurs le Gros, Estiual, Don, et Blondel, et les deux Bergeres par , et Mademoiselle Hilaire, se prenant par la main, chanterent cette chanson à danser à laquelle les autres répondirent.
[p. 159] partition
[p. 168] [p. 169]1664Troisieme Iournée des Plaisirs de l’Isle Enchantée.
[p. 170] [p. 171]Plus on sçauancoit vers le grand Rondeau qui representoit le Lac sur lequel estoit autrefois basty le Palais d’Alcine, plus on s’approchoit des diuertissemens de l’Isle enchantée, comme s’il n’eut pas esté juste que tant de braues Chevaliers demeurassent dans vne oysiueté qui eut fait tort à leur gloire.
On feignoit donc toujours, suiuant le premier dessein que le Ciel ayant resolu de donner la liberté à ces Guerriers ; Alcine en eut des pressentimens qui la remplirent de terreur, et d’Inquiétude. Elle voulut apporter, tous les remedes possible pour preuenir son malheur, et fortifier en toutes manieres vn lieu qui pût renfermer, tout son repos, et sa joye.
On fit paroistre sur ce Rondeau, dont l’Estenduë, et la forme sont extraordinaires, vn Rocher situé au milieu d’vne Isle couuerte de diuers animaux, comme s’ils eussent voulu en défendre l’entrée.
Deux autres Isles plus longues ; mais d’vne moindre largeur, paroissoient aux deux costez de la premiere, et toutes trois aussi bien que les bords du Rondeau estoient si fort éclairées, que ces lumieres faisoient naitre vn nouveau jour dans l’obscurité de la nuict. Leurs Majestez estant arriuées, n’eurent pas plustost pris leur place, que l’vne des deux Isles qui paroissoient aux costez de la premiere, fut toute couuerte de Violons fort bien vêtus. L'autre qui estoit opposée, le fut au mesme temps de Trompettes, et de Tymballiers, dont les habits n’estoient pas moins riches.
Mais ce qui surprit dauantage, fut de voir sortir Alcine de derriere le Rocher, portée par vn Monstre Marin d’vne grandeur prodigieuse.
Deux des Nymphes de sa suite, sous les noms
[p. 172]de Celie, et de Dircé, partirent au mesme temps à sa suitte, et se mettant à ses côtez sur de grandes Balaines, elles s’approcherent du bord du Rondeau, et Alcine commença des Vers, aux quels ses Compagnes repondirent, et qui furent à la louange de la Reine Mere du Roy.
Alcine, Celie, Dircé.
Alcine.
Celie.
Alcine.
Celie.
Dircé.
Alcine.
Helas ! de nos malheurs, qui peut encor douter ?
Celie.
Alcine.
Dircé.
Alcine.
Alcine. Mademoiselle du Parc.
Celie. Mademoiselle de Brie.
Dircé. Mademoiselle Moliere.
[p. 177]Lorsqu’elles furent acheué, et qu’Alcine se fut retirée, pour aller redoubler les Gardes du Palais, le concert des Violons se fit entendre, pendant que le Frontispice du Palais, venant à s’ouurir auec vn merueilleux artifice, et des Tours s’éleuer à veuë d’œil.
Quatre Geans d’vne grandeur demesurée vinrent à paroitre auec quatre Nains, qui par l’opposition de leur petite taille, faisoient paroistre celle des Géans encore plus excessiue. Ces Colosses estoient commis à la garde du Palais d’Alcine, et ce fut par eux que commença la premiere Entrée du Ballet.
[p. 178] [p. 179]Ballet Du Palais D’Alcine.
[p. 180] [p. 181] partition
[p. 196] [p. 197]Il sembloit que Le Ciel, la Terre, et l’Eau fussent tous en feu, et que la destruction du superbe Palais d'Alcine, comme la liberté des Cheualiers qu’elle y retenoit en prison, ne se pût accomplir que par des prodiges, et des miracles. La hauteur, et le nombre des fusées volantes, celles qui rouloient sur le riuages, et celles qui ressortoient de l’eau, apres s’y estre enfoncées, faisoient vn Spectacle si grand, et si magnifique, que rien ne pouuoit mieux terminer les Enchantemens qu’vn si beau feu d’artifice ; le quel ayant enfin cessé apres vn bruit, et vne longueur extraordinaire, Les coups de boëtes qui l’auoient commencé redoublerent encore.
Alors toute la Cour se retirant, confessa qu’il ne se pouuoit rien voir de plus acheué que ces trois Festes, et c’est assez avouër qu’il ne s’y pouuoit rien adjouter, que de dire, que les trois Iournées ayant eu chacune ses partisans, comme chacune auoit eu ses beautez particulieres, on ne conuint pas du prix qu’elles deuoient emporter entre-elles, bien qu’on demeurast d’accord qu’elles pouuoient Iustement disputer à toutes celles qu’on auoit veuës Iusques à lors, et les surpasser peut-estre.
Mais quoyque les Festes comprises dans le sujet des plaisirs de l’Isle enchantée fussent terminées, tous les diuertissemens de Versailles ne l’estoient pas, et la magnificence, et la galanterie du Roy, en auoit
[p. 198]reserué pour les autres jours qui n’estoient pas moins agréables.
Le Samedy dixiéme Sa Majesté voulut courre les Testes. C'est vn exercice que peu de gens ignorent, et dont l’vsage est venu d’Allemagne, fort bien Inuenté, pour faire voir l’adresse d’vn Chevalier, tant à bien mener son cheual dans les passades de guerre, qu’à bien se seruir d’vne lance d’vn dart, et d’vne Epée. Si quelqu’vn ne les a point veu courre, Il en trouvera Icy la description, estant moins communes que la bague, et seulement Icy depuis peu d’années, et ceux qui en ont eu le plaisir, ne s’ennuyent pas pourtant d’vne narration si peu étenduë.
Les Cheualiers entrent l’vn aprés l’autre dans la lice la lance à la main, et vn dard sous la cuisse droite; et aprés que l’vn d’eux a couru, et emporté vne Teste de gros carton peinte, et de la forme de celle d’vn Turc, il donne sa lance à vn Page, et faisant la demi-volte, Il revient à toute bride à la seconde Teste qui a la couleur, et la forme d’vn Maure, et l’emporte auec le dard qu’il luy Iette en passant, puis reprenant vne jaueline, peu differente de la forme du dard, dans vne troisiéme passade, il la darde dans vn bouclier où est peinte vn teste de Meduse, et acheuant sa demy-volte, il tire l’espée dont il emporte, en passant toujours à toute bride, vne Teste éleuée à vn demy pied de terre, puis faisant place à vn autre, celuy qui en ces courses en a emporté le plus, gagne le prix.
Toute la Cour s’estant placée sur vne balustrade de fer doré qui regnoit autour de l’agréable Maison de Versailles, et qui regarde sur le fossé,
[p. 199]dans lequel on auoit dressé la lice, avec des Barrieres.
Le Roy s’y rendit suiuy des mesmes Cheualiers qui auoient couru la bague, Les Ducs de St. Aignan, et de Noailles y continuant leurs premieres fonctions, l’vn de Mareschal de Camp, et l’autre de Iuge des Courses. II s’en fit plusieurs fort belles, et heureuses; Mais l’adresse du Roy luy fit emporter hautement, ensuitte du prix de la Course des Dames, encore celuy que donnoit la Reine. C’estoit vne rose de Diamans de grand prix, que le Roy, apres l’auoir gagnée, redonna liberalement à courre aux autres Cheualiers, et que le Marquis de Coaslin disputa contre le Marquis de Soyecourt, et la gagna.
Le Dimanche au leuer du Roy, quasi toute la conuersation tourna sur les belles courses du jour precedent, et donna lieu d’vn grand défi entre le Duc de St. Aignant, qui n’auoit point encore couru, et le Marquis de Soyecourt qui fut remise au lendemain, par ce que le Mareschal Duc de Grammont qui parioit pour ce Marquis estoit obligé de partir pour Paris, d’où il ne deuoit reuenir que le jour d’apres.
Le Roy mena toute la Cour cette apres dinée à sa Menagerie dont on admira les beautez particulieres, et le nombre presque Incroyable d’oyseaux de toutes sortes, parmy les quels il y en a beaucoup de fort rares. II seroit Inutile de parler de la colation qui suiuit ce diuertissement, puisque huict Iours durant chaque repas pouuoit passer pour Festin des plus grands qu’on puisse faire.
Et Le soir sa Majesté fit representer sur l’vn de ces Théatres doubles de son Sallon, que
[p. 200]son Esprit vniversel a luy mesme Inventez, La Comedie des Fascheux faite par le Sieur de Moliere, meslée d’entrées de Ballet, et fort ingenieuse.
Le bruit du défy qui se deuoit courir le Lundy douziéme, fit faire vne infinité de gageures d’assez grande valeur, quoyque celle des deux Cheualiers ne fut que de cent pistoles, et comme le Duc par vne heureuse audace donnoit vne teste à ce Marquis fort adroit beaucoup tenoient pour ce dernier, qui s’estant rendu vn peu plus tard chez le Roy y trouua vn Cartel pour le presser, le quel, pour n’estre qu’en prose, on n’a point mis en ce discours.
Le Duc de St. Aignan auoit aussi fait voir à quelques-vns de ses amis, comme vn heureux presage de sa Victoire, ces quatre Vers.
Aux Dames.
Faisant toujours allusion à son nom de Guidon le sauuage, que l’avanture de l’Isle perilleuse rendit victorieux de dix cheualiers. Aussitost que le Roy eut disné, il conduisit les Reines, Monsieur, Madame, et toutes les Dames, dans vn lieu où on deuoit tirer vne Lotterie, afin que rien ne manquast à la galanterie de ces festes. C'estoit des pierreries, des ameublemens, de l’argenterie, et autres choses semblables, et quoyque le sort ait accoutume de
[p. 201]décider de ces presens, Il s’accorda sans doute auec le desir de Sa Majesté, quand il fit tomber le gros lot entre les mains de la Reine; chacun sortant de ce lieu là fort content, pour aller voir les Courses qui s’alloient commencer.
Enfin Guidon, et Oliuier parurent sur les rangs à cinq heures du Soir, fort proprement vetus, et bien montez.
Le Roy, auec toute la Cour les honnora de sa presence, et Sa Majesté leut mesme les articles des Courses, afin qu’il n’y eut point de contestations entre eux. Le succez en fut heureux au Duc de St. Aignan qui gagna le défi.
Le soirsa Majesté fit Ioüer les trois premiers Actes d’une Comedie nommée Tartuffe, que le sieur de Moliere auoit faite contre les Hypocrites ; Mais quoyqu’elle eut esté trouuée fort diuertissante, le Roy connut tant de conformité entre ceux qu’vne veritable deuotion met dans le chemin du Ciel, et ceux qu’vne vaine ostentation des bonnes oeuures n’empesche pas d’en commettre de mauuaises ; que son extréme delicatesse pour les choses de la Religion, eut de la peine à souffrir cette ressemblance du Vice auec la Vertu : Et quoyqu’on ne doutast point des bonnes intentions de l’Auteur, Il défendit cette Comedie pour le public, Iusqu’à ce qu’elle fut entierement acheuée, et examinée par des gens capables d’en Iuger, pour n’en pas laisser abuser d’autres moins capables d’en faire vn juste discernement.
Le Mardy Treiziéme le Roy voulut encore courre les Testes, comme à vn jeu ordinaire que deuoit gagner celuy qui feroit le plus. Sa Majesté eut encore celuy de la Course des Dames, le Duc de St. Aignt celuy du jeu, et ayant eu l’honneur d’entrer pour le second à la dispute auec sa Majesté, l’adresse Incomparable du Roy luy
[p. 202]fit encore gagner ce prix, et ce ne fut pas sans vn étonnement du quel on ne pouuoit se défendre, qu’on en vit gagner quatre à sa Majesté, quatre en deux fois qu’elle auoit couru les Testes.
On Ioüa le mesme soir la Comedie du Mariage forcé ; encore de la façon du mesme Sieur de Moliere, meslée d’entrées de Ballet, et de Recits, puis le Roy prit le chemin de Fontainebleau le Mercredy quatorziéme.
Toute la Cour se trouua si satisfaite de ce qu’elle auoit veu, que chacun creut qu’on ne pouuoit se passer de le mettre par écrit, pour en donner la connoissance à ceux qui n’auoient pu voir des Festes si diuersifiées, et si agréables, où l’on a pu admirer tout à la fois ; le projet auec le succez, la liberalité auec la politesse, le grand nombre auec l’ordre, et la satisfaction de tous : Ou les soins infatigables de Mr. Colbert s’employerent en tous ces diuertissemens malgré ses importantes affaires. Où le Duc de St. Aignant joignit l’action à l’Invention, du dessein ; où les beaux Vers du President de Perigny à la louange des Reines furent si justement pensez si justement tournez, et recitez auec tant d’art, où ceux que Mr de Bensserade fit pour les Cheualiers eurent vne approbation generable ; ou la vigilance exacte de Mr. Bontemps, et l’application de Mr de Launay, ne laisserent manquer d’aucunes des choses necessaires, Enfin où chacun a marqué si auantageusement son dessein de plaire au Roy, dans le temps où sa Majesté ne pensoit elle mesme qu’à plaire, et où ce qu’on a veu ne sçauroit Iamais se perdre dans la memoire des Spectateurs, quand on n’auroit pas pris le soin de conseruer par écrit le souuenir de ces merveilles.
Fin.