VOSTRE MAIESTÉ a étably dans son Royaume vne Paix si
profonde, que ceux de ses sujets que leur Naissance, & leur Condition destinent à la
seruir dans ses Armées, auroient bien-tost oublié les Exercices de Mars, si elle n’en
faisoit ses divertissemens ordinaires ; mais comme VOSTRE
MAIESTÉ est égallement remplie de valeur & de prudence, apres qu’elle s’est
seruy dans les commencemens des combats veritables, pour procurer le repos & l’abondance
à ses peuples ; elle veut se seruir dans la suitte de la representation de ces mesmes
combats pour empécher que, l’oisiueté qui accompagne ordinairement la Paix, ne fasse oublier
le mestier de la Guerre. Les Braues de l’Isle flottante se sont presentez tout afait a
propos à VOSTRE MAIESTE, pour l’aider en ce dessein ;
car ceux de la terre ferme p. 3
se sont si mal trouuez de V. MAIESTÉ, lors qu’ils ont eu
quelque chose a démeler auec elle par les armes, qu’ils auroient eü peine a paroîstre vne
seconde fois deuant elle dans les Ieux qui ont quelque figure de combat : ces Heros mesme
que la deliurance d’vne illustre captiuité deuoit auoir rendu intrepides, n’osent quasi se
resoudre a paroistre dans Vôtre Cour, apprehendant auec justice que les charmes de la
Reyne & des autres
Dames dont elle est composée ne les engagent dans vn nouuel esclauage qui leur
soit plus fácheux que le premier, parceque l’adresse & la galanterie de V. MAIESTÉ, estant infiniment au dessus de la leur, ils n’auront
pas la consolation d’y passer comme ils feroient dans le Palais d’Alcine pour des captifs les plus adroits & les plus galants du monde : mais
comme je considere dauantage le diuertissement de V.
Majesté, que leur interest, je ne laisse pas de les produire aujourdhuy contre
leur gré, pour luy seruir de Lustre, & afin que cette inegalité augmente sa gloire :
l’impuissance dans laquelle je me vois d’y contribuer dans les grandes choses, m’oblige a
recourir auec soin aux petites pour témoigner auec combien d’attachement & de respect je suis
SIRE DE VOSTRE MAIESTÉ.
Le tres-humble tres-obeïssant & tres fidel serviteur & sujet.
De Bizincovrt.
Les charmes d’Alcine, qui n'auoit pas moins de beauté que de
sçavoir, retenant auprés d’elle, par vn double enchantement, le braue Roger, & plusieurs autres vaillans Chevaliers :
toutes ses pensées ne s’occuperent plus qu’à empescher leur fuitte, pour faire durer ses
plaisirs : elle joignit à la force, & à la situanon de son Palais, le pouuoir de ses
Demons, la fierté de ses Geans & celle de ses bestes
farouches, mais elle n’eut pas moins de confiance aux diuertissemens des
promenades, de la dance, des tournois, des festins, de la comedie & de la musique. Et comme elle auoit autant d’Amans que de Captifs, &
qu’ils ne pensoient tous qu’à luy plaire ; ces illustres Guerriers font vne partie de Course de bague, & prenant pour sujet les Ieux
Pythiens, auxquels Apollon presidoit, ils font leur entrée dans
la Lice, auec tous les ornemens dont ils peuuent l’accompagner, dans le plus beau lieu que
la Nature & l’Art ayent jamais formé, & embelly pour le plaisir de la vie : mais
cette belle Magicienne, de qui les enchantemens estoient d’vne
force prodigieuse, n’estant pas satisfaitte que sa puissance parust en un seul endroit de la
Terre ; afin de porter en tous lieux le triomphe de sa beauté, par les hommages de ses Cheualiers a rendu son Île flottante : & après auoir visité
plusieurs Climats, elle la fait aborder en France, où
par le respect & l’admiration que luy causent les rares Qualitez de la Reyne ; elle ordonne à ces Guerriers de faire
en faueur de sa Majesté, tout ce qu’ils auront pû
inuenter pour luy plaire par leur adresse, & par leur magnificence : elle ordonne à
onze de ses Chevaliers de se préparer pour cet effet,
lesquels commencerent ces diuertissemens par la Course de bague & entrerent dans le
Champ dans cet ordre.
Vn Héraut d’Armes accompagné du Page de
Roger, Chef de la Quadrille, portant la lance & l’écu de sa deuise, entra dans
le Champ suivy de deux autres Pages, de celuy de Guidon le sauuage,
Maréchal de Camp, & de celuy d’Oger le Danois, Iuge des Courses, portans les
lances & les écus de leurs Maîtres.
M.r le Duc de S.t Aignan souz le nom de Guidon le sauuage, parut precedé de quatre
Trompettes & deux Timballiers, huit autres Trompettes & deux Timballiers deuançoient
le Roy representant Roger, suiuy de M.r le Duc de Noailles nommé Oger le Danois.
En suitte les Chevaliers entrerent deux à deux, M.rsle Duc de Guise representant
Aquilant, & le Comte d’Armagnac, Griffon le blanc.
M.rs les Ducs de
Foix souz le nom de Renaud, & de
Coislin souz celuy de Dudon.
M.rsle Comte du Lude representant
Astolphe, & le Prince de Marsillac,
Brandimart.
M.rs les Marquis de Villequier nommé Richardet, & de Soyecourt, Oliuier.
M.rs les Marquis
d’Humieres souz le Nom d’Ariodant, & la Valliere
qui a remporté le prix de cette Course, souz celuy de Zerbin.
M.r le Duc
representant Roland.
Tous ces Cheualiers entrez dans le Champ, Apollon parut sur vn Char, conduit par le Temps ; ayant à ses pieds les quatre
Siecles, enuironné des douze heures du jour &
des douze Signes du Zodiaque. En suitte marcherent les
Pages des Cheualiers portans leurs lances & les ecus de leurs
deuisez vingt Pasteurs parurent chargez de diuerses pieces de la
Barriere, dont la Lice deuoit estre fermée pour la dresser en vn moment, ils entrerent p. 11tous par l’vn des quatre Portiques, qui aboutissent aux
quatre auenuës du Camp & après qu’ils eurent fait le tour, ils s’arrêterent deuant
les Reynes, Apollon & les quatres Siecles reciterent
quelques vers à la loüange de la Reyne. En suitte la Course de bague se fit, & la nuit
survenant, les enuirons de l’Île enchantée brillerent d’vn nombre
infiny de lumieres, & l’on vit entrer dans la même place trente quatre concertans precedans les quatres Saisons, le
Printemps monté sur vn Cheval d’Espagne accompagné de
douze Iardiniers; l’Eté monté sur
vn Elephant suiuy de douze
Moissonneurs ; l’Automne sur vn
Chameau auec douze Vandangeurs, & l’Hyuer sur vn Ours & pour sa suitte
douze Vieillards : Pan & Diane parurent ensuitte sur vne Machine portée
en l’Air & vn concert de Musique se fit entendre en
même temps, puis suiuirent vingt quatre de leur suitte portant les viandes de la menagerie
& les viandes de la chasse, puis dix huit Pages qui seruirent
les Dames
à la collation ; toute cette Trouppe rangée
les quatre Saisons, Pan & Diane se presenterent deuant la Reyne & luy dirent plusieurs vers, après quoy vne
table ornée de festons parut & fut couuerte par les
Plaisirs, les Ieux, les Ris
& les Delices, ce qui finit les diuertissemens de l’Île
enchantée pour ce premier jour.
Le braue Roger, & les fameux
Guerriers de sa Quadrille auoient trop bien reüssy aux Courses qu’ils auoient
faittes dans l’Île enchantée ; & la Magicienne qui les auoit
conuiez à en diuertir vne grande Reyne, auoit
receu trop de satisfaction de cette galanterie, pour n’en desirer pas la continuation :
ces Cheualiers luy donnent donc le plaisir de la Comedie :
comme ils auoient entrepris les Courses souz le nom des Ieux Pythiens & armez à la Grecques, ils ne sortent pas de leur premier dessein,
lorsque la Scene est en Elide, c’est-là qu’vn Prince d’humeur magnifique & galante, ayant vne Fille aussy naturellement ennemie de l’amour,
qu’ornée de tous les dons qui la rendent aimable, propose des Ieux d’exercices, des
courses de chariots, & des chasses, croyant que la magnificence des premiers, & le
diuertissement de l’autre, où l’adresse & le courage se font remarquer, feront choisir
parmy les diuers Princes qu’il y auoit conuiez vn Amant à sa Fille, qui soit digne d’elle.
Il y reüssit heureusement, & l’intrigue de la Comedie estant de soy fort galante, est
encore augmentée par des concerts, des recits, & des
entrées de ballet, qui entrent bien dans le sujet, & le rendent fort agreable, ce qui
fit le diuertissement du second jour.
Mais le Ciel ayant resolu de donner la liberté à tant de braues Guerriers retenus dans l’Île enchantée d’Alcine, par
la fin de ses charmes & la ruine de son Palais, cette belle
Magicienne est troublée par des prodiges & des songes, qui luy presagent son
malheur prochain : en cette inquietude elle vient au bas du Lac portée par vn Monstre marin accompagnée de deux de ses Nymphes, & mêle à
des plaintes de l’état où elle se trouue les loüanges de la Reyne Mere par des vers qu’elle luy dit.
Cependant vn Chœur de plusieurs Instrumens se fait entendre
sur deux Îles situées aux deux cotez du Palais d’Alcine. Vn nombre de
Musiciens paroist qui font vne charmantte
armonie, cependant que le Palais s’ouure, duquel
sortent quatre Geans & quatre Nains
commis à la garde de ce lieu considerable par sa situation & sa force, ce qui fait la
premiere entrée du Ballet : laquelle finie huit Maures chargez
par Alcine de la garde du dedans paroissent en faire vne exacte
visite auec chacun deux flambeaux à la main, ce qui fait la
seconde entrée. La troisiéme entrée fait proistre six
Cheualiers qu’Alcine retenoit auprés d’elle, tenter par
vn depit amoureux la sortie de ce Palais, mais il sont
vaincus après vn rude combat par autant de Monstres. Dequoy
Alcine alarmée de cet accident, inuoque de nouueau tous ses
Espris, & leur demande secours : il s’en presente deux pour la quatrie entrée, qui font des sauts auec vne force & agilité merueilleuse. Six autres Demons dans la cinquiéme entrée viennent encore asseurer
la Magicienne qu’ils n’oubliront rien pour son repos. Mais à
peine commence-t-elle à se r’asseurer qu’elle voit paroistre auprés de Rogerla sage Melisse souz la forme d’Atlas ; elle court pour empécher l’effet de son intention, mais elle
arrive trop tard : Mélisse a déjà mis au doigt de ce braue
Chevalier la fameuse bague qui détruit les enchantemens ; lors vn
coup de tonnerre, suiuy de plusieurs éclairs,
marque la destruction du Palais, qui s’est aussy tôt
reduit en cendre par vn feu d’artifice, qui finit cette
sixiéme entrée & met fin à cette avanture & aux diuertissemens de l’Île
enchantée.