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Sommaire
Personnes
Personnes nb
Louis XIV 51
Marie-Thérèse d'Autriche 18
Autriche, Anne d’ 15
Beauvilliers Saint-Aignan, François-Honorat de 13
Belleforière de Soyecourt, Charles Maximilien Antoine de 9
Molière, Poquelin Jean-Baptiste, dit 8
Noailles, Anne de 6
Condé, Henri-Jules de Bourbon, duc d'Enghien, puis prince de 5
Lorraine-Guise, Henri II de 4
Coislin, Armand du Cambout, duc de 4
La Vallière, Jean-François de La Baume Le Blanc, marquis de 4
Chicanneau, danseur 4
Noblet, danseur 4
La Pierre, danseur 4
Lorraine Armagnac, Henri de 3
Foix-Candale, Jean-Baptiste Gaston de 3
Daillon, Henri de, marquis d'Illiers, comte puis duc de Lude en 1673 3
La Rochefoucauld, François VII de 3
Aumont de Rochebaron, Louis-Marie-Victor d’, marquis de Chappes, puis de Villequier, puis duc d'Aumont 3
Humières, Louis de Crevant, marquis d' 3
Du Parc, Marquise-Thérèse de Gorla, dite Mademoiselle 3
Pesan, danseur 3
Bonard, danseur 3
Balthazar ou Baltazard ou Balthasard ou Balthazard, danseur 3
Magny, danseur 3
Dupron, David, danseur 3
Périgny, Octave 2
Leclerc du Rosé, Catherine, dite Mademoiselle de Brie 2
Orléans, Philippe d’, dit Monsieur 2
Angleterre, Henriette-Anne d’, dite Madame 2
Dupuis, Hilaire, dite Mademoiselle Hilaire 2
Estival, Guillaume d', chanteur (basse) 2
Dun, Louis 2
Blondel, Simon, chanteur de la Chapelle de Louis XIV 2
Manceau, danseur 2
Arnal ou Arnald, danseur 2
D'Heureux, danseur 2
Beauchamp, Pierre 2
La Marre, danseur 2
Le Chantre, danseur 2
De Gan, danseur 2
Mercier, danseur 2
Raynal ou Raynald, danseur 2
De Lorges, Nicolas, danseur 2
Desbrosses, danseur 2
Guignard, Jean, fils 1
Vigarani, Carlo 1
Ariosto, Ludovico 1
Desbardins ou des Bardins, François de Boutevilain 1
Artagnan, Charles de Baatz de Castelmore, comte d' 1
Millet, Claude 1
Du Parc, René Berthelot, dit Gros-René et 1
Le Noir La Thorillière, François 1
Béjart, Louis 1
Coquet, Jacques 1
Parfait, Honoré sieur de la Saussaye 1
Parfait, François 1
Parfait, fils d'Honoré 1
Alençon, Elisabeth Marguerite d'Orléans de Guise, duchesse d' 1
Condé, Claire-Clémence de Maillé-Brézé, princesse de 1
Lorraine, Marie-Marguerite-Ignace de, dite Mademoiselle d'Elbeuf 1
Béthune, Anne-Marie de Beauvilliers, comtesse de 1
Lansac, Anne-Armande de Saint Gelais de, épouse de Charles III de Blanchefort-Créquy duchesse de Créquy 1
Servien, Antoinette 1
Plessis-Praslin, Colombe Le Charron, maréchale du 1
Etampes, Catherine-Blanche de Choiseul, maréchale d' 1
Gordon of Huntly, Henrietta, dite Madame de Gourdon 1
Montespan, Françoise Athnénaïs de Rochechouart-Mortemart, marquise de 1
Humières, Louise-Antoinette de la Châtre de Nançay, marquise d' 1
Brancas, Marie de 1
Armagnac, Marguerite Philippe du Cambout de Coislin, comtesse d'Harcourt et d' 1
Mancini, Olympe 1
Savoie Carignan, Louise-Christine de 1
Médavy, Marie Louise de Rouxel de, dite Mademoiselle de Grancey 1
Savoie-Carignan, Marie de Bourbon, duchesse de 1
Fleix, Marie-Claire de Bauffremont, comtesse de 1
Ailly, Madeleine Charlotte d'Albert d' 1
Garnier, Suzanne, comtesse de Brancas 1
Baudéan Froulay, Angélique de 1
Navailles, Suzanne de Baudéan de Neuillant de Parabère, duchesse de 1
Ardennes, Mlle d' 1
Coëtlogon, Louise-Philippe de 1
Apchier, Marguerite d' 1
Montausier, Julie d'Angennes de Rambouillet, duchesse de 1
Wittelsbach, Bénédicte-Henriette, dite du Palatinat 1
Bavière, Anne de 1
Rouvroy, Diane-Henriette de Budos de Portes, de 1
La Mothe-Houdancourt, Anne-Lucie de 1
Marsé, Mme de 1
La Vallière, Françoise Louise de La Baume Le Blanc, duchesse de 1
Du Guast d'Artigny, Madeleine 1
Du Bellay, mademoiselle 1
Dampierre, mademoiselle de 1
Fiennes, mademoiselle de (fille de Françoise de Fiennes) 1
Paysan, danseur 1
Le Gros, Claude, chanteur 1
La Barre, Anne Chabanceau de 1
Anglebert, Jean-Henri d’, clavecin 1
Richard, Etienne 1
Ithier, Léonard Henri, luth 1
La Barre, Pierre Chabanceau de, luth 1
Tissu, Claude, luth 1
Lemoine, Pierre Antoine, basse de viole 1
Béjart, Armande 1
Vagnard, danseur 1
Joubert, Hierosme, violon et danseur 1
Des Airs, fils, danseur 1
Des Airs, fils, danseur 1
Vagnard, fils, danseur 1
Tutin, fils, danseur 1
De Souville, danseur 1
Des Airs ou Desairs ou Desert, François Galland, dit l'aîné, danseur 1
Des Airs ou Desairs ou Desert, Fleurand Galland, dit le jeune ou le cadet, danseur 1
Desonets, danseur 1
Saint-André, danseur 1
Tutin, danseur 1
La Brodière, danseur 1
Bureau, danseur 1
Gramont, Antoine III de 1
Colbert, Jean-Baptiste 1
Benserade, Isaac de 1
Bontemps, Alexandre 1
Launay, N. de, intendant et controleur général de l'argenterie et Menus Plaisirs de la chambre du Roi vers 1661 1

 

Personnages
Personnages nb
[princesse_d_elide] 134
[moron] 134
[euriale] 77
[philis] 51
[chevalier] 40
[iphitas] 33
[aglante] 30
[lyciscas] 27
[aristomene] 27
[arbate] 24
[valet_de_chien] 23
[cinthie] 21
[monstres] 19
[alcine] 18
[berger] 17
[bergere] 15
[theocle] 14
[maure] 14
[tircis] 13
[musicien] 12
[geant] 11
[satyre] 11
[roger] 10
[climene] 9
[page] 8
[le_printemps] 8
[demon] 8
[melisse] 7
[apollon] 7
[l_ete] 7
[l_automne] 7
[l_hiver] 7
[ours] 7
[celie] 7
[nain] 7
[valets_de_chien] 6
[dirce] 6
[diane] 5
[guidon_le_sauvage] 4
[pan] 4
[l_aurore] 4
[ecuyers] 4
[atlas] 3
[aquilant] 3
[griffon_le_blanc] 3
[olivier] 3
[roland] 3
[le_siecle_d_airain] 3
[le_siecle_de_fer] 3
[douze_zodiaque] 3
[chasseurs] 3
[six_chevaliers] 3
[demons] 3
[oger_le_danois] 2
[renaud] 2
[dudon] 2
[astolphe] 2
[brandimart] 2
[richardet] 2
[ariodant] 2
[zerbin] 2
[charlemagne] 2
[le_siecle_d_or] 2
[le_siecle_d_argent] 2
[douze_heures] 2
[lycas] 2
[venus] 2
[cloris] 2
Blondel, Simon, chanteur de la Chapelle de Louis XIV 2
[faunes] 2
[nains] 2
[geants] 2
[mores] 2
[angelique] 1
[heraut_d_armes] 1
[fleur_de_lys] 1
[genevre] 1
[quatre_siecles] 1
[serpent_python] 1
[daphne] 1
[hyacinthe] 1
[le_temps] 1
[hymen] 1
[charles_quint] 1
[page_du_roi] 1
[abondance] 1
[joie] 1
[proprete] 1
[bonne_chere] 1
[musiciens] 1
[un_suivant] 1
[bradamante] 1

 

Lieux
Lieux nb
Paris 4
Versailles, Château de Versailles 3
France 3
Versailles 8
Versailles, Bassin des Cygnes/Lac d'Alcine 2
Espagne 1
Allemagne 1
Versailles, Jardins de Versailles 3
Fontainebleau 1

 

Techniques
Techniques nb
[construction] 20
Costumes 20
Animaux et créatures 16
[lumieres] 8
??? 6
[machine_temps] 6
[decor] 4
[machine_vol] 2
[machine_eau] 2
Bruitages 2
[feux-artifice] 2

 

Écriture
Écriture nb
[noms] 2

 

 

Les Plaisirs de l’isle enchantée, ou la Princesse d’Élide, comédie de M. Molière.

Poquelin Jean-Baptiste, dit Molière (1622-1673).
Benserade Isaac de (1613-1691).
J. Guignard, Paris, 1668, Paris, BNF, Tolbiac, RES-YF-4192.

Responsables : Mathilde Nicolas, Transcription et balisage — Marion Ignace, Balisage.

LES PLAISIRS DE L’ISLE ENCHANTEE, OV LA PRINCESSE DELIDE, COMEDIE DE MR. MOLIERE.

M. DC. LXVIII.

[p. 3]

LES PLAISIRS DE L’ISLE ENCHANTEE.

COVRSE DE BAGVE, Collation ornée de Machines, Comedie de Moliere, Intitulée La Princesse d’Elide, meslée de Danse et de Musique, Ballet du Palais d’Alcine, Feu d’Artifice : Et autres Festes galantes et magnifiques, faites par le Roy à Versailles, le 7. May 1664. et continuées plusieurs autres iours.

LE ROY voulant donner aux Reines, & à toute sa Cour le plaisir de quelques Festes peu communes, dans vn lieu orné de tous les agrémens qui peuvent faire admirer vne maison de Campagne, choisit Versailles à quatre lieuës de Paris. C’est vn chasteau qu’on peut nommer vn Palais enchanté, tant les adiustemens de l’art ont bien secondé les soins que la Nature a pris pour le rendre parfait : Il charme en toutes manieres, tout y rit dehors & et dedans, l’or & le marbre y disputent de beauté & d’éclat : Et quoy qu’il n’ait pas cette grande [p. 4]estenduë qui se remarque en quelques autres Palais de sa Majesté : toutes choses y sont polies, si bien entenduës, & si achevées, que rien ne le peut égaler. Sa Symetrie, la richesse de ses meubles, la beauté de ses promendes, & le nombre infini ses fleurs, comme ses Orengers, rendent les environs de ce lieu dignes de sa rareté singuliere : La diversité des bestes contenuës dans les deux parcs, & dans la Ménagerie, où plusieurs courts en Estoilles sont accompagnées de Viviers pour les animaux aquatiques, avec de grands bastimens, ioignent le plaisir avec la magnificence, & en font vne Maison accomplie.

Ce fut en ce beau lieu où toute la Cour se rendit le 5. de May, que le Roy traitta plus de six cens personnes iusque au 14. outre vne infinité de gens necessaires à la danse & à la Comedie, & d’Artisans de toutes sortes venus de Paris ; si bien que cela paroissoit vne petite armée.

Le Ciel mesme sembla favoriser les desseins de sa Majesté, puis que dans vne saison presque toûjours pluvieuse on en fut quitte pour vn peu de vent, qui sembla n’avoir augmenté, qu’afin de faire voir que la prévoyance & la puissance du Roy estoient à l’épreuve de plus grandes incommoditez ; de hautes toilles, des bastimens de bois faits presque en vn instant, & vn nombre prodigieux de flambeaux de cire blanche, pour suppléer à plus de quatre mille bougies chaque journée, resisterent à ce vent ; qui par tout ailleurs eust rendu ces divertissemens comme impossibles à achever.

Monsieur de Vigarani, Gentil-homme Modenois, fort sçavant en toutes ces choses, inventa & proposa celles-cy ; & le Roy commanda au Duc de S. Aignan, qui se trouva lors en fonction de premier Gentil-homme de sa Chambre, & qui avoit desia donné plusieurs sujets de Ballets fort agreables, de faire vn [p. 5] dessein où elles fussent toutes comprises avec liaison & avec ordre ; de sorte qu’elles ne pouvoient manquer de bien reüssir.

Il prit pour sujet le Palais d’Alcine, qui donna lieu au Tiltre des Plaisirs de l’Isle Enchantée ; puis que selon l’Arioste, le brave Roger & plusieurs autres bons Chevaliers y furent retenus par les doubles charmes de la beauté, quoy qu’empruntée, & du sçavoir de cette Magicienne, & en furent delivrez apres beaucoup de temps consommé dans les delices, par la bague qui détruisoit les enchantemens : C’estoit celle d’Angelique que Melisse sous la forme du Vieux Atlas, mit enfin au doigt de Roger.

On dit fonc en peu de iours orner vn Rond, où quatre grandes allées aboutissent entre de hautes palissades ; de quatre Portiques de trente cinq pieds d’élevation, & de vingt-deux en quarré d’ouverture ; de plusieurs festions enrichis d’or, & de diverses peintures avec les armes de Sa Majesté.

Toute la Cour s’y estant placée le septiéme, il entra dans la place sur les six heures du soir vn Heraut d’Armes, representé par M. des Bardins, vestu d’vn habit à l’antique couleur de feu, en broderie d’argent, & fort bien monté.

Il estoit suivy de trois Pages : celuy du Roy, Mr. d’Artagnan, marchoit à la teste de deux autres, fort richement habillé de couleur de feu, livrée de sa Majesté, portant sa Lance, & son Escu, dans lequel brilloit vn soleil de pierreries, avec ces mots ; Nec cesso, nec Erro.

Faisant allusion à l’attachement de sa Majesté aux affaires de son Estat, & la maniere avec laquelle il agit ; ce qui estoit encore representé par ces quatre vers du President de Perigny, autheur de la mesme Devise.

[p. 6]
Ce n’est pas sans raison que la terre et les Cieux,
Ont tant d’estonnement pour vn Objet si rare ;
Qui dans son cours penible autant que glorieux
Iamais ne se repose, et iamais ne s’égare.

Les deux autres Pages estoient aux Ducs de S. Aignan & de Noailles : le premier Mareschal de Camp, & l’autre Iuge des Courses.

Celuy du Duc de S. Aignan portoit l’Escu de sa Devise, & estoit habillé de sa livrée de toile d’argent enrichie d’or, avec des plumes incarnates & noires, et les rubans de mesme : sa Devise estoit vn tymbre d’horloge avec ces mots, De mis golpes mi Ruido.

Le Page Duc de Noailles estoit vestu de couleur de feu, argent & noir, & le reste de la livrée semblable : la Devise qu’il portoit dans son Escu estoit vn Aigle, auec ces mots ; Fidelis et audax.

Quatre Trompettes & deux Tymballiers marchoiẽt apres ces Pages, habillez de satin couleur de feu, & argent ; leurs plumes de la mesme livrée, & les caparaçons de leurs chevaux couverts d’vne pareille broderie, avec des soleils d’or fort éclattans aux banderoles des Trõpettes, & les couvertures des tymbales.

Le Duc de S.Aignan, Maréchal de Camp, marchoit apres eux, armé à la Grecque, d’vne cuirasse de toille d’argent couverte de petites écailles d’or, aussi bien que son bas de soye ; & son Casque estoit orné d’vn Dragon, & d’vn grand nombre de plumes blanches, meslées d’incarnat & de noir : il montoit vn cheval blanc bardé de mesme, & representoit Guidon le Sauvage.

Pour le Duc de S. Aignan, representant Guidon le Sauvage.

MADRIGAL.

Les combats que i’ay faits en l’Isle dangereuse,
Quãd de tant de guerriers ie demeuray vainqueur,
[p. 7]Suivis d’vne épreuue amoureuse,
Ont signalé ma force aussi bien que mon cœur.
La vigueur qui fait mon estime,
Soit qu’elle embrasse vn party legitime,
Ou qu’elle vienne à s’échapper,
Fait dire, pour ma gloire, aux deux bouts de la terre,
Qu’on n’en void point en toute guerre,
Ny plus souvent ny mieux frapper.
Pour le mesme.
Seul contre dix Guerriers, seul contre dix pucelles,
C’est auoir sur les bras deux estranges querelles,
Qui sort à son honneur de ce double combat
Doit estre, ce me semble, vn terrible soldat.

Huict Trompettes & deux Tymbaliers, vestus comme les premiers, marchoient apres le Mareschal de Camp.

LE ROY representant Roger les suivoit, montant vn des plus beaux chevaux du monde, dont le harnois couleur de feu éclattoit d’or, d’argent & de pierreries : Sa Majesté estoit armée à la façon des Grecs cōme tous ceux de sa Quadrille, & portoit vne cuirasse de lame d’argent, couverte d’vne riche broderie d’or & de diamans. Son port & toute son action estoient dignes de son rang ; son Casque tout couvert de plumes, couleur de feu, avoit vne grace incomparable ; & jamais vn air plus libre, ny plus guerrier, n’a mis vn mortel au dessus des autres hommes.

SONNET.

Pour le ROY, representant ROGER

Qvelle taille, quel port a ce fier Conquerant !
Sa personne ébloüit quiconque l’examine,
Et quoy que par son Poste il soit desia si grand,
Quelque chose de plus éclate dans sa mine.
Son front de ses Destins est l’Auguste garant, 
Par delà ses Ayeux sa vertu l’achemine,
[p. 8]Il fait qu’on les oublie, et de l’air qu’il s’y prend,
Bien loin derriere luy laisse son Origine.
De ce cœur genereux c’est l’ordinaire employ,
D’agir plus volontiers pour autruy que pour soy,
Là principalement sa force est occupée :
Il efface l’eclat des Heros anciens,
N’a que l’honneur en veuë, et ne tire l’épée
Que pour des interests qui ne sont pas les siens.

Le Duc de Noailles, Iuge du Camp, sous le nom d’Ogier le Danois, marchoit apres le Roy, portant la couleur de feu & le noir, sous vne riche broderie d’argent ; & ses plumes, aussi bien que tout le reste de son équipage estoient de cette mesme livrée.

Le Duc de Noailles. Oger le Danois Iuge du Camp.

CE Paladin s’applique à cette seule affaire
De seruir dignement le plus puissant des Rois,
Comme pour bien juger il faut sçavoir bien faire,
Ie doute que personne appelle de sa voix,

Le Duc de Guise & le Comte d’Armagnac marchoient ensemble apres luy. Le premier portant le nom d’Aquilant le Noir, avoit vn habit de cette couleur en broderie d’or, & de geaix ; ses plumes, son cheval, & sa lance assortissoient à sa livrée : Et l’autre representant Griffon le Blanc, portoit sur vn habit de toile d’argent plusieurs rubis, et montoit vn cheval blanc bardé de la mesme couleur.

Le Duc de Guise. Aquilant le Noir.

LA Nuict a ses beautez de mesme que le jour.
Le Noir est ma couleur, ie l’ay toûjours aymée,
Et st l’obscurité convient à mon Amour,
Elle ne s’étend pas iusqu’à ma Renommée.
Le Comte d’Armagnac. Griffon le Blanc.
VOyez quelle candeur en moy le Ciel a mis,
Aussi nulle beauté tíe s’en verra trompée,
Et quand il sera temps d’aller aux ennemis
[p. 9]C'est où ie me feray tout blanc de mon épée,

Les Ducs de Foix & de Coaslin qui paroissoient en suite, estoient vestus, l’vn d’incarnat avec or & argent ; & l’autre de vert, blanc & argent : Toute leur livrée & leurs cheuaux estant dignes du reste de leur équipage.

Pour le Duc de Foix. Renaud.

IL porte vn Nom celebre, il est ieune, il est sage,
A vous dire le vray c’est pour aller bien haut,
Et c’est vn grand bonheur, que d’auoir à son âge
La chaleur necessaire, et le flegme qu’il faut.

Le Duc de Coaslin. Dudon.

TRop auant dans la Gloire on ne peut s’engager, 
I'auray vaincu sept Rois, et par mon grand courage
Les verray tous soûmis au pouuoir de ROGER,
Que ie ne seray pas content de mon Ouurage.

Apres eux marchoient le Comte du Lude & le Prince de  Marsillac, le premier vestu d’incarnat & blanc ; et l’autre de iaune, blanc & noir, enrichis de broderie d’argent, leur livrée de mesme, & fort bien montez.

Le Comte du Lude. Astolphe.

DE tous les Paladins qui sont dans l’Vniuers
Aucun n’a pour l’Amour l’ame plus échauffée,
Entreprenant toûjours mille proiets diuers,
Et toujours enchanté par quelque ieune FÉE.

Le Prince de Marsillac. Brandimart.

Mes voeux seront contens, mes souhaits accomplis,
Et ma bonne fortune à son comble arrivée.
Quand vous sçaurez mon zele, aimable FLEVR DE LYS,
Au milieu de mon coeur profondement gravé.

Les Marquis de Villequier & de Soye-court marchoient en suite ; l’vn portoit le bleu & argent, & l’autre le bleu, blanc & noir, avec or & argent ; leurs plumes, & les harnois de leurs chevaux estoient de la [p. 10]mesme couleur, & d’vne pareille richesse.

Le Marquis de Villequiert, Richardet.

Personne comme moy n’est sorty galamment
D'vne intrigue, où sans doute il falloit quelque adresse,
Personne à mon advis, plus agreablement
N'est demeuré fidelle en trompant sa Maitresse.

Le Marquis de Soyecourt, Olivier.

VOicy l’honneur du Siecle, aupres de qui nous sommes,
Et mesme les Geant, de mediocres hommes,
Et ce franc Chevalier à tous venant tout prest,
Tousiours pour quelque Iouste a la lance en arrest.

Les Marquis d’Humieres & de la Valliere les suivoient : Ce premier portant la couleur de chair & argent, & l’autre gris de lin, blanc, & argent : toute leur livrée estant plus riche, & la mieux assortie du monde.

Le Marquis d’Humieres, Ariodant.

Ie tremble dans l’accez de l’amoureuse fiévre,
Ailleurs, sans vanité je ne tremblay iamais,
Et ce charmant objet, l’adorable GENEVRE,
Est l’vnique vainqueur à qui ie me soumets.

Le Marquis de la Valliere, Zerbin.

QVelques beaux sentiments que la gloire nous donne,
Quand on est amoureux au souverain degré,
Mourir entre les bras d’vne belle Personne
Est de toutes les morts la plus douce à mon gré.

Monsieur le Duc marchoit seul, portant pour sa livrée la couleur de feu, blanc, & argent : vn grand nombre de diamans estoient attachez sur la magnifique [p. 11]Broderie, dont sa cuirasse & son bas de soye estoient couverts ; son casque & le harnois de son cheval en estant aussi enrichis.

Monsieur le Duc, Roland.

Roland fera bien loin son grand nom retẽtir,
La gloire deviendra sa fidelle Compagne,
Il est sorty d’vn sang qui brûle de sortir 
Quand il est question de se mettre en campagne,
Et pour ne vous-en point mentir
C'est le pur sang de Charlemagne.

VN Charde dix-huict pieds de haut, de vingt-quatre de long, & de quinze de large, paroissoit en suite éclatant d’or & de diverses couleurs : II representoit celuy d’Apollon, en l’honneur duquel se celebroient autrefois les Ieux Pythiens, que ces Chevaliers s’estoient proposez d’imiter en leurs Courses & en leur équipage : Cette Divinité brillante de lumieres estoit assise au plus haut du Char, ayant à ses pieds les quatre Aages ou Siecles distinguez par de riches habits, & par ce qu’ils portoient à la main.

Le Siecle d’Ororné de ce precieux metail, estoit encore paré de diverses fleurs, qui faisoient vn des principaux ornemens de cet heureux Aage.

Ceux d’Argent & d’Airain, avoient aussi leurs remarques particulieres.

Et celuy de fer, estoit representé par vn Guerrier d’vn regard terrible, portant d’vne main l’épée, & de l’autre le bouclier.

Plusieurs autres Figures de relief paroient les côtez de ce Char magnifique : Les Monstres Celestes, le Serpent Python, Daphné, Hyacinthe ; & les autres Figures qui conviennent à Apollon, avec vn Atlas [p. 12]portant le Globe du Monde, y estoient aussi relevez d’vne agreable sculpture : Le Temps representé par le Sieur Millet, avec sa faux, ses aisles, & cette vieillesse décrepite, dont on le peint tousiours accablé, en estoit le conducteur : Quatre chevaux d’vne taille & d’vne beauté peu communes, couverts de grandes housses semés de Soleils d’Or, & attelez de front, tiroient cette Machine.

Les douze Heures du iour, & les douze Signes du Zodiaque, habillez fort superbement, comme les Poëtes les depeignent, marchoient en deux files aux deux costez de ce Char.

Tous les Pages des Chevaliers le suivoient deux à deux (apres celuy de Monsieur le Duc) fort proprement vestus de leurs livrées, avec quantité de plumes, portant les lances de leurs Maistres, & les Escus de leurs Devises.

Le Duc de Guise, representant Aquilant le Noir, ayant pour Devise, vn Lion qui dort, avec ces mots. Et quiescente pauescunt.

Le Comte d’Armagnac, representant Griffon le Blanc, ayant pour Devise vne Hermine, avec ces mots. Ex candore decus,

Le Duc de Foix, representant Renaud, ayant pour Devise vn Vaisseau dans la Mer, avec ces mots. Longe leuis aura feret.

Le Duc de Coaslin, representant Dudon, ayant pour Devise vn Soleil, & l’Heliotrope ou Tournesol, avec ces mots. Splendor ab obsequio.

Le Comte du Lude, representant Astolphe, ayant pour Devise vn Chiffre en forme de nœud, avec ces mots. Non fia mai sciolto.

Le Prince de Marsillac, representant Brandimart, ayant pour Devise vne Montre en relief dont on voit tous les ressorts avec ces mots. Chieto fuor commoto dentro.

[p. 13]

Le Marquis de Villequier, representant Richardet, ayant pour Devise vn Aigle qui plane devant le Soleil, avec ces mots, Vni militat Astro.

Le Marquis de Soyecourt, representant Olivier, ayant pour Devise la Massuë d’Hercule, avec ces mots. Vix aequat fama labores.

Le Marquis d’Humieres, representant Ariodant, ayant pour Devise toutes sortes de Couronnes, avec ces mots. No quiero Menos.

Le Marquis de la Valliere, representãt Zerbin, ayant pour Devise vn Phoenix sur vn bucher allumé par le soleil, avec ces mots. Hoc Iuuat uri.

Monsieur le Duc representant Roland, ayant pour Devise vn Dard entourtillé de lauriers, avec ces mots. Certò ferit.

Vint Pasteurs chargez de diverses pieces de la Barriere, qui devoit estre dressée pour la Course de Bague formoient la derniere troupe qui entra dans la lice : ils portoient des vestes couleur de feu enrichies d’argent, & des coiffures de mesme.

Aussi-tost que ces Troupes furent entrées dans le Camp, elles en firent le tour, & apres avoir salüé les Reynes, elles se separerent, & prirent chacune leur poste : Le Page a la teste, les Trompettes, & les Tymballiers se croisants, s’allerent poster sur les aisles : Le Roy s’advançant au milieu, prit sa place vis à vis du haut Dais : Mr. le Duc proche de sa Majesté : les Ducs de S. Aignan & de Noailles à droit & à gauche : Les dix Chevaliers en haye aux deux costez du Char : leurs Pages au mesme ordre derriere eux : les Signes & les Heures comme ils estoient entrez.

Lorsque l’on eut fait alte en cét estat, vn profond silence causé tout ensemble par l’attention, & par le respect, donna le moyen à Mademoiselle de Brie, qui representoit le Siecle d’Airain, de commencer ces [p. 14]vers à la Loüange de la Reyne, addressez à Apollon.

LE SIECLE D’AIRAIN à Apollon.

BRillant Pere du iour, toy de qui la puissance
Par ses divers aspects nous donna la naissance,
Toy l’espoir de la terre, et l’ornement des cieux;
Toy le plus necessaire, et le plus beau des Dieux ;
Toy dont l’activité, dont la bonté supreme
Se fait voir et sentir en tous lieux par soy-mesme :
Dis-nous par quel destin, ou par quel nouveau choix
Tu celebres tes Ieux aux rivages François ?

APOLLON.

Si ces lieux fortunez ont tout ce qu’eut la Grece,
De gloire, de valeur, de merite et d’adresse,
Ce n’est pas sans raison qu’on y voit transferez
Ces Ieux, qu’à mon honneur la terre a consacrez.
I'ay tousiours pris plaisir à verser sur la France
De mes plus doux rayons la benigne influence ;
Mais le charmant obiet qu’Hymen y fait regner
Pour elle maintenant me fait tout dédaigner.
Depuis vn si long-temps que pour le bien du monde
Ie fais l’immense tour de ta terre et de l’onde,
Iamais ie n’ay rien veu si digne de mes feux,
Iamais vn sang si noble, vn coeur si genereux,
Iamais tant de lumiere avec tant d’innocence,
Iamais tant de ieunesse avec tant de prudence;
Iamais tant de grandeur avec tant de bonté,
Iamais tant de sagesse avec tant de beauté.
Mille climats divers qu’on vit sous la puissance,
De tous les demy-Dieux dont elle prit naissance,
Cedant à son merite autant qu’à leur devoir,
Se trouveront vn iour vnis sous son pouvoir.
Ce qu’eurent de grandeurs et la France et l’Espagne,
Les droits de Charles-Quint, les droits de Charlemagne,
En elle avec leur sang heureusement transmis,
[p. 15]Rendront tout l’Vnivers à son Thrône soûmis :
Mais vn Titre plus grand, vn plus noble partage
Qui l’éleve plus haut, qui luy plaist dauantage ;
Vn Nom qui tient en soy les plus grands noms vnis,
C'est le Nom glorieux d’Espouse de LOVIS.

LE SIECLE D’ARGENT.

Quel destin fait briller avec tant d’iniustice
Dans le siecle de fer vn Astre si propice ?

LE SIECLE D’OR.

Ah ! ne murmure point contre l’ordre des Dieux,
Loin de s’enorgueillir d’vn don si precieux,
Ce siecle qui du ciel a merité la haine,
En devroit augurer sa ruine prochaine,
Et voir qu’vne vertu qu’il ne peut suborner,
Vient moins pour l’anoblir que pour l’exterminer.
Si-tost qu’elle paroist dans cette heureuse terre,
Voy comme elle en bannit les fureurs de la guerre :
Comment depuis ce iour d’infatigables mains
Travaillent sans relasche au bon-heur des humains :
Par quels secrets ressorts vn Heros se prepare
A chasser les horreurs d’vn siecle si barbare,
Et me faire revivre avec tous les plaisirs,
Qui peuvent contenter les innocens desirs.

LE SIECLE DE FER.

Ie sçay quels ennemis ont entrepris ma perte,
Leurs desseins sont connus, leur trame est découverte,
Mais mon cœur n’en est pas à tel point abatu…

APOLLON.

Contre tant de grandeur, contretant de vertu,
Tous les monstres d’Enfer vnis pour ta deffense,
Ne feroient qu’vne foible et vaine resistance :
L’Vnivers opprimé de ton ioug rigoureux,
Va goutter par ta suite vn destin plus heureux :
Il est temps de ceder à la Loy souveraine,
[p. 16]Que t’impose les voeux de cette Auguste Reyne :
Il est temps de ceder aux travaux glorieux
D'vn Roy favorisé de la terre et des cieux :
Mais icy trop long-temps se different m’arreste,
A de plus doux combats cette Lice s’appreste,
Allons la faire ouvrir, et ployons des lauriers,
Pour couronner le front de nos fameux Guerriers.

TOus ces Recits achevez, la Course de Bague commença, en la quelle, apres que le Roy eut fait admirer l’adresse & la grace qu’il a en cét exercice, comme en tous les autres, & plusieurs belles Courses, & de tous ces Chevaliers : le Duc de Guise, les Marquis de Soyecourt & de la Valliere demeurerent à la dispute, dont ce dernier emporta le prix ; qui fut vne espée d’or enrichie de diamans, avec des boucles de baudrier de valeur, que donna la Reyne Mere, & dont elle l’honora de sa main.

La nuict vint cependant à la fin des Courses, par la iustesse qu’on avoit eu à les commencer : Et vn nombre infiny de lumieres ayant esclairé tout ce beau lieu, l’on vid entrer dans la mesme place 34. Concertans fort bien vestus, qui devoient preceder les Saisons ; & faisoient le plus agreable concert du monde.

Pendant que les saisons se chargeoient des mets delicieux qu’elles devoient porter, pour seruir devant leurs Majestez la magnifique collation qui estoit préparée : les douze signes du Zodiaque, & les quatre Saisons danserent dans le rond vne des plus belles entrées de Ballet qu’on eust encore iamais veuë.

Le Printemps parut en suite sur vn cheval d’Espagne representé par Mademoiselle du Parc ; qui avec le sexe & les advantages d’vne femme, faisoit voir l’addresse d’vn homme : son habit estoit verd en broderie d’argent, & de fleurs au naturel.

L'Esté le suivoit, representé par le sieur du parc, [p. 17]sur vn Elephant, couvert d’vne riche housse.

L'Automne aussi advantageusement vestuë, representée par le sieur de la Thorilliere, venoit apres monté sur vn Chameau.

L'Hyver suivoit sur vn Ours, representé par le Sieur Bejar.

Leur suite estoit composée de quarante-huict personnes, qui portoient toutes sur leurs testes de grands bassins pour la collation.

Les douze premiers couverts de fleurs, portoient, comme des Iardiniers, des Corbeilles peintes de vert, & d’argent garnies d’vn grand nombre de porcelaines, si remplies de confitures, & d’autres choses delicieuses de la Saison, qu’ils estoient courbez sous cet agreable faix.

Douze autres, comme Moissonneurs, vêtus d’habits cõformes à cette profession, mais fort riches, portoiẽt des bassins de cette couleur incarnate, qu’on remarque au Soleil Levant, & suivoient l’Esté.

Douze vestus en Vandangeurs, estoient couverts de feüilles de vignes & de grappes de raisins ; & portoiẽt dans des paniers feüille-morte, remplis de petits bassins de cette couleur, divers autres fruits & confitures à la suite de l’Automne.

Les douzes derniers, estoient des Vieillards gelez, dont la fourrures & la démarche marquoient la froideur & la foiblesse, portant dans des bassins couverts d’vne glace & d’vne neige si bien contrefaites, qu’on les eust pris pour la chose mesme, ce qu’ils devoient contribuer à la Collation, & suivoient l’Hyver.

Quatorze Concertans de Pan, & de Diane precedoient ces deux Divinitez, auec vne agreable Harmonie de Flustes & de Musettes.

Elles venoient en suite sur vne Machine fort ingenieuse en forme d’vne petite Mõtagne ou Roche [p. 18]ombragée de plusieurs arbres : mais ce qui estoit plus surprenant, c’est qu’on la voyoit portée en l’air, sans que l’artifice qui la faisoit mouvoir, se pust découvrir à la veuë.

Vingt autres personnes les suivoient, portant des viandes de la Mesnagerie de Pan, & de la Chasse de Diane.

Dix-huict Pages du Roy fort richement vestus, qui devoient servir les Dames à table, faisoient

les derniers de cette troupe ; laquelle estant rangée, Pan, Diane, & les Saisons se presentant devant la Reyne : le Printemps luy addressa le premier ces Vers.

LE PRINTEMPS, A LA REINE.

ENtre toutes les fleurs nouvellement escloses,
Dont mes iardins sont embellis,
Méprisant les jasmins les oeillets et les roses,
Pour payer mon tribut i'ay fait choix de ces lys,
Que de vos premiers ans vous avez tant cheris ;
LOVIS les fait briller du couchant à l’aurore
Tout l’Vnivers charmé les respecte et les craint ;
Mais leur regne est plus doux, et plus puissant encore,
Quand il brille sur vostre teint.

L’ESTÉ.

Surpris vn peu trop promptement,
I'apporte a cette Feste vn leger ornement ;
Mais avant que ma saison passe,
Ie feray faire à vos Guerriers,
Dans les campagnes de la Thrace,
Vne ample moisson de lauriers.

L’AVTOMNE.

Le Printemps orgueilleux de la beauté des fleurs
Qui luy tomberent en partage,
Pretend de cette Feste avoir tout l’avantage ;
[p. 19]Et nous croit obscurcir pas ses vives couleurs :
Mais vous vous souviendrez, Princesse sans seconde,
De ce fruit precieux qu’a produit ma saison,
Et qui croit dans vostre maison,
Pour faire quelques iours les delices du monde.

L’HYVER.

La neige, les glaçons que i'apporte en ces lieux,
Sont des mets les moins precieux,
Mais ils sont des plus necessaires,
Dans vne Feste où mille objets charmans,
De leurs oeillades meurtrieres,
Font naistre tant d’embrazemens.

DIANE, A LA REINE.

Nos bois, nos rochers, nos montagnes,
Tous nos chasseurs et mes compagnes
Qui m’ont tousiours rendu des honneurs souverains ;
Depuis que parmy nous ils vous ont veu paroistre,
Ne veulent plus me reconnoistre,
Et chargez de presens viennent auecque moy
Vous porter ce tribut pour marque de leur foy.
Les habitans legers de cet heureux boccage,
De tomber dans vos rets font leur sort le plus doux,
Et n’estiment rien davantage,
Que l’heur de perir de vos coups :
Amour dont vous avez la grace et le visage,
A le mesme secret que vous.

PAN.

Ieune Divinité, ne vous estonnez pas,
Lors que nous vous offrons en ce fameux repas
L'eslite de nos bergeries :
Si nos troupeaux gouttent en paix
Les herbages de nos prairies,
Nous deuons ce bon-heur à vos divins attraits.
[p. 20]

CES Recits achevez, vne grande Table en forme de Croissant, rond d’vn costé, où l’on devoit couvrir & garnir de fleurs celuy où elle estoit creuse, vint à se découvrir.

Trente-six Violonstres-bien vestus, parurent derriere sur vn petit Theatre : pendant que Messieurs de la Marche, & Parfait Pere, Frere, & Fils Controlleurs Generaux, sous les noms de l’Abondance, de la Ioye, de la Propreté, & de la Bonne Chere, la firent couvrir par les plaisirs, par les ieux, par les ris, & par les delices.

Leurs Majestez s’y mirent en cét ordre, qui prévint tous les embarras qui eussent pû naistre pour les rangs.

La Reine Mere estoit assise au milieu de la Table : & avoit à sa main droite.

  • LE ROY.
  • Mademoiselle d’Alençon.
  • Madame la Princesse.
  • Mademoiselle d’Elbeuf.
  • Madame de Bethune.
  • Madame la Duchesse de Crequy.
  • M O N S I E V R.
  • Madame la Duchesse de S. Aignan.
  • Madame la Mareschalle du Plessis.
  • Madame la Mareschalle d’Estampes.
  • Madame de Gourdon.
  • Madame de Montespan.
  • Madame d’Humieres.
  • Mademoiselle de Brancas.
  • Madame d’Armagnac.
  • Madame la Comtesse de Soissons.
  • Madame la Princesse de Bade.
  • Mademoiselle de Grançay.
[p. 21]

De l’autre costé estoient assises,

  • LA REYNE.
  • Madame de Carignan.
  • Madame de Flaix.
  • Madame la Duchesse de Foix.
  • Madame de Brancas.
  • Madame de Froulay.
  • Madame la Duchesse de Navailles.
  • Mademoiselle d’Ardennes.
  • Mademoiselle de Cologon.
  • Madame de Crussol.
  • Madame de Montauzier.
  • MADAME.
  • Madame la Princesse Benedicte.
  • Madame la Duchesse.
  • Madame de Rouvroy.
  • Mademoiselle de la Mothe.
  • Madame de Marsé.
  • Mademoiselle de la Valliere.
  • Mademoiselle d’Artigny.
  • Mademoiselle du Bellay.
  • Mademoiselle de Dampierre.
  • Mademoiselle de Fiennes.

La sumptuosité de cette Collation passoit tout ce qu’on en pourroit écrire, tant par l’abondance, que par la delicatesse des choses qui y furent servies : Elle faisoit aussi le plus bel objet qui puisse tõber sous les sens ; puis que dans la nuict aupres de la verdeur de ces hautes palissades, vn nombre infiny de chãdeliers peints de vert & d’argent, portant chacun vingt-quatre bougies, & deux cens flambeaux de cire blanche, tenus par autant de personnes vestus en Masques, rendoient vne clarté, presque aussi grande & plus agreable que celle du iour. Tous les Chevaliers avec leurs [p. 22]Casques couverts de de plumes de differentes couleurs, & leurs habits de la Course estoient appuyez sur la Barriere; & ce grand nombre d’Officiers richement vestus, qui servoient, en augmentoient encore la beauté, & rendoient ce rond vne chose enchantée, duquel, apres la Collation, leurs Majestez & toute la Cour, sortirent par le Portique opposé à la Barriere ; & dans vn grand nombre de Galesches fort adjustées, reprirent le chemin du Chasteau.

Fin de la premiere Iournée.

SECONDE IOVRNÉE DES PLAISIRS DE L’ISLE ENCHANTÉE.

LORS que la nuit du second jour fut venuë, leurs Majestez se rendirent dans vn autre rond environné de palissades comme le premier, & sur la méme ligne, s’avançant toûjours vers le Lac, où l’on feignoit que le Palais d’Alcine estoit basty.

Le dessein de cette seconde Feste, estoit que Roger & les Chevaliers de sa Quadrille, apres avoir fait des merveilles aux Courses, que par l’ordre de la belle Magicienne ils auoient fait en faveur de la Reyne, continuoient en ce mesme dessein pour le divertissement suivant; & que l’Isle flotante n’ayant point esloigné le rivage de la France, ils donnoient à sa Majesté le plaisir d’vne Comedie, dont la Scene estoit en Elide.

Le Roy fit donc couvrir de toilles, en si peu de tẽps qu’on avoit lieu de s’en étõner, tout ce rond d’vne espece de Dome, pour deffendre contre le vent le grãd nõbre de Flambeaux & de Bougies qui devoiẽt éclairer [p. 23]le Theatre, dont la decoration estoit fort agreable. Aussi-tost qu’on eut tiré la toille vn grand Concert de plusieurs instrumens se fit entendre : Et l’Aurore representée par Mademoiselle Hilaire, ouvrit la Scene, & chanta ce Recit.

PREMIER INTERMEDE.

SCENE PREMIERE.

Recit de l’Aurore.

QVãd l’Amour à vos yeux offre vn choix agreable,
Ieunes beautez laissez vous enflamer :
Mocquez-vous d’affecter cét orgueïl indomptable,
Dont on vous dit qu’il est beau de s’armer :
Dans l’âge où l’on est aymable
Rien n’est si beau que d’aymer.
Soûpirez librement pour vn amant fidelle,
Et bravez ceux qui voudroient vous blâmer :
Vn coeur tendre est aymable, et le nom de cruelle
N'est pas vn nom à se faire estimer :
Dans le temps où l’on est belle,
Rien n’est si beau que d’aymer,

SCENE II.

Valets de chiens, & Musiciens.

PEndant que l’Aurore chantoit ce Recit, quatre Valets de Chiens estoient couchez sur l’herbe, dont l’vn (sous la figure de Lyciscas) représenté par le Sieur de Moliere excellent Acteur, de l’invention duquel estoient les Vers et toute ta piece, se trouvoit au milieu de deux, et vn autre à ses pieds, qui estoient les Sieurs Estival, Don, et Blondel de la Musique du Roy, dont les voix estoient admirables.

[p. 24]

Ceux-cy en se réveillant à l’arrivée de l’Aurore, si tost qu’elle eut chanté, s’écrierent en Concert.

Hola? hola? debout, debout, debout :
Pour la Chasse ordonnée il faut préparer tout 
Hola? ho debout, viste debout.

Ier.

Iusqu’aux plus sombres lieux le iour se communique.

IIme.

L'air sur les fleurs en perles se resout.

IIIme.

Les Rossignols commencent leur Musique, Et leurs petits concerts retentissent par tout.

Tous ensemble.

Sus, sus debout, visite debout ?
Qu'est-cecy, Lyciscas, quoy ? tu ronfles encore,
Toy qui promettois tant de devancer l’Aurore?
Allons debout, viste debout,
Pour la Chasse ordonnée il faut préparer tout :
Debout, viste debout, dépeschons, debout.

LYCISCAS en s’éveillant.

Par la morbleu, vous estes de grands braillars vous autres, & vous avez la gueule ouverte de bon matin ?

MVSICIENS.

Ne vois-tu pas le jour qui se répand par tout?
Allons debout, Lyciscas, debout.

LYCISCAS.

Hé ! laissez-moy dormir encore vn peu, ie vous conjure ?

MVSICIENS.

Non, non debout, Lyciscas debout.

LYCISCAS.

Ie ne vous demande plus qu’vn petit quart d’heure ?

MVSICIENS.

Point, point debout, viste debout.

LYCISCAS

Hé ! je vous prie ?

MVSICIENS. Debout.

[p. 25]

LYCISCAS. Vn moment.

MVSICIENS. Debout.

LYCISCAS. De grace…

MVSICIENS. Debout.

LYCISCAS. Eh.

MVSICIENS. Debout.

LYCISCAS. Ie…

MVSICIENS. Debout.

LYCISCAS.

I'auray fait incontinent.

MVSICIENS.

Non, non debout, Lyciscas debout :
Pour la Chasse ordonnée il faut preparer tout,
Viste debout, depeschons, debout.

LYCISCAS.

Et bien, laissez-moy, ie vais me lever : Vous estes d’estranges gens, de me tourmenter comme cela : vous serez cause que ie ne me porteray pas bien de toute la iournée ; car, voyez-vous, le sommeil est necessaire à l’homme, & lors qu’on ne dort pas sa refection, il arrive… que… on est…

Ier.

Lyciscas.

IIme.

Lyciscas.

IIIme.

Lyciscas.

Tous ensemble.

Lyciscas.

LYCISCAS.

Diable soit des brailleurs, ie voudrois que vous eussiez la gueule pleine de boüillie bien chaude.

MVSICIENS.

Debout, debout, viste debout, dépeschons, debout.

LYCISCAS.

Ah ! quelle fatigue de ne pas dormir son sou.

[p. 26]

Ier.

Hola? oh.

IIme.

Hola? oh.

IIIme.

Hola? oh.

Tous ensemble.

Oh! oh! oh! oh ! oh !

LYCISCAS.

Oh! oh ! oh ! oh. La peste soit des gens avec leurs chiens de hurlemens, je me donne au Diable si je ne vous assomme : Mais voyez vn peu quel diable d’entousiasme il leur prend, de me venir chanter aux oreilles comme cela, je….

MVSICIENS.

Debout.

LYCISCAS.

Encore.

MVSICIENS.

Debout.

LYCISCAS.

Le Diable vous emporte.

MVSICIENS.

Debout.

LYCISCAS. en se levant.

Quoy toûjours, a-t’on jamais veu pne pareille furie de chanter ? par la sanbleu j’enrage, puis que voila éveillé il faut que i'éveille les autres, & que ie les tourmente comme on m’a fait. Allons ho? Messieurs, debout, debout, viste, c’est trop dormir. Ie vais faire vn bruit de Diable par tout, debout, debout debout ; Allons viste, ho, ho, ho? Debout, debout, pour la Chasse ordonnée il faut preparer tout ; debout, debout, Lyciscas debout, ho ! ho ! ho ! ho ! ho.

Lyciscas s’estant levé avec toutes les peines du monde, et s’estant mis à crier de toute sa force,

plusieurs Cors et Trompes de chasse se firent entendre, et concertées avec les Violons, commencerent l’air d’vne entrée, sur laquelle six valets de Chiens danserent avec beaucoup de iustesse et de disposition ; reprenant à certaines Cadences le son de leurs Cors et Trompes : c’étoient les sieurs Paysan, Chicanneau, Noblet, Pesan, Bonard, et la Pierre.

[p. 27]

NOMS DES ACTEVRS de la Commedie.

LA PRINCESSE D'ELIDE.

AGLANTE, Cousine de la Princesse.

CINTHIE, Cousine de la Princesse.

PHILIS, suiuante de la Princesse.

IPHITAS, Pere de la Princesse.

EVRIALE, ou le Prince d’Ithaque.

ARISTOMENE, ou le Prince de Messene.

THEOCLE, ou le Prince de Pyle.

ARBATE, Gouverneur du Prince d’Ithaque..

MORON, Plaisant de la Princesse.

Vn suivant.

[p. 28]

ACTE PREMIER.

ARGVMENT.

CEtte Chasse qui se preparoit ainsi, estoit celle d’vn Prince d’Elide, lequel estãt d’humeur galante et magnifique, et souhaittant que la Princesse sa fille se resolût à aymer et à penser au mariage, qui estoit fort contre son inclination, avoit fait venir en sa Cour les Princes d’Ithaque, de Messene et de Pyle ; afin que dans l’exercice de la Chasse qu’elle aymoit fort, et dans d’autres ieux, comme des courses de Chars et semblables magnificences, quelqu’vn de ces Princes pust luy plaire, et devenir son Espoux.

SCENE PREMIERE.

EVriale, Prince d’Ithaque, amoureux de la Princesse d’Elide, et Arbate son Gouverneur, lequel indulgent à la passion du Prince, le louë de son amour au lieu de l’en blâmer, en des termes fort galands.

EVRIALE, ARBATE.

ARBATE.

CE silence réveur, dont la sombre habitude
Vous fait à tous momens chercher la solitude
Ces longs soûpirs que laisse échapper vostre coeur,
[p. 29]Et ces fixes regards si chargez de langueur,
Disent beaucoup sans doute à des gens de mon âge ;
Et ie pense, Seigneur, entendre ce langage :
Mais sans vostre congé, de peur de trop risquer,
Ie n’ose m’enhardir iusques à l’expliquer.

EVRIALE.

Explique, explique Arbate, avec toute licence
Ces soûpirs, ces regards, & ce morne silence:
Ie te permets icy de dire que l’amour
M'a rangé sous ces loix, & me brave à son tour :
Et ie consens encor que tu me fasses honte
Des foiblesses d’vn coeur qui souffre qu’on le dompte,

ARBATE.

Moy, vous blasmer, Seigneur, des tendres mouvemens,
Où ie vois qu’aujourd’huy panchent vos sentimens ;
Le chagrin des vieux iours ne peut aigrir mon ame
Contre les doux transports de l’amoureuse flâme,
Et bien que mon sort touche à ses derniers Soleils,
Ie diray que l’amour sied bien a vos pareils :
Que ce tribut qu’on rend aux traits d’vn beau visage
De la beauté d’vne ame est vn clair témoignage,
Et qu’il est mal-aisé que sans estre amoureux
Vn ieune Prince soit, & grand & genereux ;
C'est vne qualité que i'ayme en vn Monarque,
La tendresse de coeur est vne grande marque,
Et ie croy que d’vn Prince on peut tout présumer,
Dés qu’on voit que son ame est capable d’aymer.
Ouy, cette passion de toutes la plus belle
Traisne dans vn esprit cent vertus apres elle,
Aux nobles actions elle pousse les coeurs,
Et tous les grands Heros ont senty ses ardeurs ;
Devant mes yeux, Seigneur, a passé vostre enfance,
Et j’ay de vos vertus veu fleurir l’esperance ;
Mes regards observoient en vous des qualitez
Où je reconnoissois le sang dont vous sortez ;
[p. 30]I'y découvrois vn fonds d’esprit & de lumiere,
Ie vous trouvois bien fait, l’air grand, & l’ame fiere ;
Vostre coeur, vostre adresse éclatoient chaque iour ;
Mais ie m’inquietois de ne voir point d’amour,
Et puisque les langueurs d’vne playe invincible
Nous montrent que vostre ame à ses traits est sensible,
Ie triomphe, & mon coeur d’allegresse remply
Vous regarde à present comme vn Prince accomply.

EVRIALE.

Si de l’amour vn temps i'ay, bravé la puissance,
Helas ! mon cher Arbate, il en prend bien vengeance,
Et sçaçhant dans quels maux mon coeur s’est abîmé,
Toy-mesme, tu voudrois qu’il n’eust iamais aymé :
Car enfin voy le sort où mon Astre me guide 
I’ayme, i'aime ardemment la Princesse d’Elide,
Et tu sçais quel orgueil sous des traits si charmans
Arment contre l’amour ses ieunes sentimens;
Et comment elle fuit en cette illustre Feste
Cette foule d’amans qui briguent sa conqueste.
Ah ! qu’il est bien peu vray que ce qu’on doit aimer
Aussi tost qu’on le void prend droit de nous charmer.
Et qu’vn premier coup d’oeil allume en nous les flâmes,
Où le Ciel en naissant a destiné nos ames.
A mon retour d’Argos ie passay dans ces lieux,
Et ce passage offrit la Princesse à mes yeux,
Ie vis tous les appas dont elle est revestuë,
Mais de l’oeil dont on voit vne belle statuë :
Leur brillante ieunesse observée à loisir
Ne porta dans mon ame aucun secret desir,
Et d’Ithaque en repos ie revis le rivage
Sans m’en estre en deux ans rapellé nulle image :
Vn bruit vient cependant à répandre à ma Cour
Le celebre mépris qu’elle fait de l’amour ;
On publie en tous lieux que son ame hautaine
Garde pour l’Hymenée vne invincible haine,
[p. 31]Et qu’vn Arc à la main, sur l’épaule vn Carquois
Comme vne autre Diane elle hante les bois,
N'aime rien que la Chasse, & de toute la Grece
Fait soûpirer en vain l’Heroïque ieunesse.
Admire nos esprits, & la fatalité,
Ce que n’avoit point fait sa veuë & sa beauté,
Le bruit de ses fiertez en mon ame fit naistre
Vn transport inconnu, dont ie ne fus point maistre ;
Ce dédain si fameux eût des charmes secrets
A me faire avec soin rapeller tous ses traits,
Et mon esprit iettant de nouveaux yeux sur elle
M'en refit vne image & si noble, & si belle ;
Me peignit tant de gloire, & de telles douceurs
A pouvoir triompher de toutes ses froideurs,
Que mon coeur aux brillans d’vne telle victoire
Vit de sa liberté s’évanouyr la gloire :
Contre vne telle amorce il eut beau s’indigner,
Sa douceur sur mes sens prit tel droit de regner,
Qu'entrainé par l’effort d’vne occulte puissance
I'ay d’Ithaque en ces lieux fait voile en diligence,
Et ie couvre vn effet de mes voeux enflammez
Du desir de paroistre à ses Ieux renommez,
Où l’Illustre Iphitas, Pere de la Princesse,
Assemble la pluspart des Princes de la Grece.

ARBATE.

Mais à quoy bon, Seigneur, les soins que vous prenez?
Et pourquoy ce secret où vous vous obstinez?
Vous aimez, dites-vous, cette illustre princesse,
Et venez à ses yeux signaler vostre adresse,
Et nuls empressemens paroles ny soûpirs
Ne l’ont instruite encor de vos brûlans desirs.
Pour moy, ie n’entends rien à cette politique
Qui ne veut point souffrir que vôtre cœur s’explique.
Et je ne sçay quel fruit peut pretendre vn amour
Qui fuit tous les moyens de se produire au iour.
[p. 32]

EVRIALE.

Et que feray-ie, Arbate, en declarant ma peine,
Qu'attirer les dédains de cette ame hautaine ?
Et me ietter au rang de ces Princes soûmis
Que le titre d’amans luy peint en ennemis?
Tu vois les Souverains de Messene & de Pyle
Luy faire de leurs coeurs vn hommage inutile,
Et de l’éctat pompeux des plus hautes vertus
En appuyer en vain les respects assidus :
Ce rebut de leurs soins, sous vn triste silence,
Retient de mon amour toute la violence,
Ie me tiens condamné dans ces rivaux fameux,
Et ie lis mon arrest au mépris qu’on fait d’eux.

ARBATE.

Et c’est dans ce mépris, & dans cette humeur fiere
Que vôtre ame à ses voeux doit voir plus de lumiere,
Puis que le sort vous donne à conquerir vn cœur
Que deffend seulement vne ieune froideur,
Et qui n’impose point à l’ardeur qui vous presse
De quelque attachement l’invincible tendresse :
Vn coeur préoccupé résiste puissamment,
Mais quand vne ame est libre, on la force aisement ;
Et toute la fierté de son indifference
N'a rien dont ne triomphe vn peu de patience.
Ne luy cachez donc plus le pouvoir de ses yeux,
Faites de vostre flâme vn éclat glorieux,
Et bien loin de trembler de l’exemple des autres,
Du rebut de leurs voeux enflez l’espoir des vostres.
Peut-estre pour toucher ses severes appas,
Aurez-vous des secrets que ces Princes n’ont pas :
Et si de ses fiertez l’imperieux caprice
Ne vous fait éprouver vn destin plus propice,
Au moins est-ce vn bon-heur en ces extremitez
Que de voir avec soy ses Riuaux rebutez.

EVRIALE.

I'aime à te voir presser cet aveu de ma flâme,
[p. 33]Combattant mes raisons tu chatoüilles mon ame ;
Et par ce que i'ay dit, ie voulois pressentir
Si de ce que i'ay fait tu pourrois m’applaudir :
Car, enfin, puis qu’il faut t’en faire confidence,
On doit à la Princesse expliquer mon silence,
Et peut-estre au moment que ie t’en parle icy
Le secret de mon coeur Arbate est éclaircy.
Cette Chasse où, pour fuïr la foule qui l’adore,
Tu sçais qu’elle est allée au lever de l’Aurore,
Est le temps que Moron pour declarer mon feu
A pris…

ARBATE.

Moron, Seigneur?

EVRIALE.

Ce choix t’estonne vn peu ?
Par son titre de fou tu crois le bien connoistre,
Mais sçache qu’il l’est moins qu’il le veut paroitre,
Et que malgré l’employ qu’il exerce aujourd’huy
II a plus de bon sens que tel qui rit de luy :
La Princesse se plaist à ses bouffonneries,
Il s’en est fait aimer par cent plaisanteries,
Et peut dans cét accés dire & persuader
Ce que d’autres que luy n’oseroient hazarder :
Ie le voy propre, enfin, à ce que i'en souhaitte,
Il a pour moy, dit-il, vne amitié parfaite,
Et veut, (dans mes Estats ayant receu le iour)
Contre tous mes Rivaux appuyer mon amour :
Quelque argent mis en main pour soustenir ce zele…

SCENE II.

Moron representé par le sieur de Moliere, arrive, et ayant le souvenir à vn furieux sanglier, devant lequel il avoit fuy à la chasse, demande secours, et rencontrant Euriale et Arbate, se met au milieu d’eux [p. 34]pour plus de seureté apres leur avoir témoigné sa peur et leur disant cẽt choses plaisantes sur son peu de bravoure.

MORON, ARBATE, EVRIALE.

MORON sans estre veu.

AV secours ! sauuez-moy de la beste cruelle !

EVRIALE.

Ie pense oüir sa voix ?

MORON sans estre veu.

A moy de grace, à moy ?

EVRIALE.

C'est luy-mesme, où court-il avec vn tel effroy?

MORON.

Où pourray-ie éviter ce sanglier redoutable?
Grands Dieux ! preservez-moy de sa dent effroyable ?
Ie vous promets, pourveu qu’il ne m’attrape pas,
Quatre livres d’encens, & deux veaux des plus gras.
Ha! ie suis mort.

EVRIALE.

Qu'as-tu?

MORON.

Ie vous croyois la beste
Dont à me diffamer i'ay veu la gueule preste,
Seigneur, & ie ne puis revenir de ma peur.

EVRIALE.

Qu'est-ce?

MORON.

O que la Princesse est d’vne estrange humeur !
Et qu’à suivre la Chasse & ses extravagances,
Il nous faut essuyer de sottes complaisances !
Quel diable de plaisir trouvent tous les Chasseurs
De se voir exposez à mille & mille peurs ?
Encore si c’estoit qu’on ne fust qu’à la chasse
Des lievres, des lapins, & ies jeunes Daims, passe ;
Ce sont des animaux d’vn naturel fort doux,
[p. 35]Et qui prennent tousiours la fuite devant nous :
Mais aller attaquer de ces bestes vilaines
Qui n’ont aucun respect pour les faces humaines,
Et qui courent les gens qui les veulent courir,
C’est vn sot passe-temps que ie ne puis souffrir.

EVRIALE.

Dis-nous donc ce que c’est ?

MORON en se tournant.

Le penible exercice
Où de nostre Princesse a volé le caprice!....
I'en aurois bien iuré, qu’elle auroit fait le tour,
Et la course des Chars se faisant en ce iour,
II falloit affecter ce contre-temps de chasse,
Pour mépriser ces jeux avec meilleure grace,
Et faire voir... Mais chut, achevons mon recit,
Et reprenons le fil de ce que i'avois dit.
Qu'ay-ie dit?

EVRIALE.

Tu parlois d’exercice penible.

MORON.

Ah ! ouy, succombant donc à ce travail horrible,
Car en Chasseur fameux i'estois enharnaché,
Et dés le poinct du iour ie m’estois découché :
Ie me suis écarté de tous en galant homme,
Et trouvant vn lieu propre à dormir d’vn bon somme
J’essayois ma posture, & m’ajustant bien-tost,
Prenois desia mon ton pour ronfler comme il faut,
Lors qu’vn murmure affreux m’a fait lever la veuë,
Et i'ay d’vn vieux buisson de la forest touffuë
Veu sortir vn sanglier d’vne enorme grandeur
Pour...

EVRIALE.

Qu'est-ce?

MORON.

Ce n’est rien n’ayez point de frayeur ?
[p. 36]Mais laissez-moy passer entre vous deux pour cause,
Ie seray mieux en main pour vous conter la chose :
I'ay donc veu ce Sanglier, qui par nos gens chassé
Avoit d’vn air affreux tout son poil herissé ;
Ses deux yeux flamboyans ne lançoient que menace,
Et sa gueule faisoit vne laide grimace,
Qui parmy de l’écume, à qui l’osoit presser
Montroit de certains cros... je vous laisse à penser ?
A ce terrible aspect j’ay ramassé mes armes;
Mais le faux animal, sans en prendre d’allarmes
Est venu droit à moy, qui ne luy disois mot.

ARBATE.

Et tu l’as de pied ferme attendu ?

MORON.

Quelque sot
I’ay jetté tout par terre, & couru comme quatre.

ARBATE.

Fuyr devant vn Sanglier, ayant dequoy l’abattre,
Ce trait, Moron, n’est pas genereux...

MORON.

I’y consens,
II n’est pas genereux, mais il est de bon sens.

ARBATE.

Mais par quelques exploits si l’on ne s’éternise.

MORON.

Ie suis vostre valet, & i'ayme mieux qu’on dise,
C'est icy qu’en fuyant sans se faire prier
Moron sauva ses jours des fureurs d’vn Sanglier,
Que si l’on y disoit, voila l’illustre place
Où le brave Moron, d’vne heroïque audace,
Affrontant d’vn Sanglier l’impetueux effort
Par vn coup de ses dents vid terminer son sort.

EVRIALE.

Fort bien….

MORON.

Ouy, i'ayme mieux, n’en déplaise à la gloire,
[p. 37]Vivre au monde deux jours que mille ans dans l’histoire.

EVRIALE.

En effet ton trépas fascheroit tes amis ;
Mais si de ta frayeur ton esprit est remis
Puis-je te demander si du feu qui me brûle…..

MORON.

II ne faut pas, Seigneur, que je vous dissimule,
Ie n’ay rien fait encore, & n’ay point rencontré
De temps pour luy parler qui fut selon mon gré :
L'office de bouffon a des prérogatives;
Mais souvent on rabat nos libres tentatives :
Le discours de vos feux est vn peu delicat,
Et c’est chez la Princesse vn affaire d’estat ;
Vous sçavez de quel tiltre elle se glorifie,
Et qu’elle a dans la teste vne Philosophie
Qui declare la guerre au conjugal lien,
Et vous traiste l’Amour de déïté de rien :
Pour n’effaroucher point son humeur de tygresse,
II me faut manier la chose avec addresse;
Car on doit regarder comme l’on parle aux grands,
Et vous estes par fois d’assez fascheuses gens.
Laissez-moy doucement conduire cette trame,
Ie me sens là pour vous vn zele tout de flâme,
Vous estes né mon Prince, & quelques autres noeuds
Pourroient contribuer au bien que ie vous veux :
Ma mere dans son temps passoit pour assez belle,
Et naturellement n’estoit pas fort cruelle ;
Feu vostre pere alors, ce prince genereux,
Sur la galanterie estoit fort dangereux,
Et ie sçay qu’Elpenor, qu’on appelloit mon pere,
A cause qu’il estoit le mary de ma mere,
Contoit pour grand honneur aux Pasteurs d’aujourd’huy
Que le Prince autrefois estoit venu chez-luy,
[p. 38]Et que durant ce temps il avoit l’avantage
De se voir salüé de tous ceux du village :
Baste, quoy qu’il en soit, ie veux par mes travaux ;
Mais voicy la Princesse & deux de vos Rivaux.

SCENE III.

LA Princesse d’Elide parut en suite, avec les Princes de Messene et de Pyle, lesquels firent remarquer en eux des caracteres bien differens de celuy du Prince d’Ithaque ; et luy cederent dans le coeur de la Princesse tous les advantages qu’il y pouvoit desirer : Cette aimable Princesse ne témoigna pas pourtant que le merite de ce Prince eust fait aucune impression sur son esprit, et qu’elle l’eust quasi remarqué ; elle tesmoigna tousiours, comme vne autre Diane, n’aimer que la chasse et les forests, et lors que le Prince de Messene voulut luy faire valoir le service qu’il luy avoit rendu, en la défaisant d’vn fort grand Sanglier qui l’avoit attaquée ; elle luy dit que sans rien diminuer de sa reconnoissance, elle trouvoit son secours d’autant moins considerable, qu’elle en avoit tué toute seule d’aussi furieux, et fust peut estre bien encore venuë à bout de celuy-cy.

LA PRINCESSE & sa suitte. ARISTOMENE, THEOCLE, EVRIALE, ARBATE, MORON.

ARISTOMENE.

REprochez-vous, Madame, à nos iustes allarmes,
Ce peril dõt tous deux avons sauvé vos charmes,
I'aurois pensé pour moy qu’abattre sous nos coups
Ce sanglier qui portoit sa fureur iusqu’à vous,
Estoit vne avanture (ignorant vostre chasse)
Dont à nos bons destins nous deussions rendre grace :
Mais à cette froideur le connois clairement
[p. 39]Que ie dois concevoir vn autre sentiment,
Et quereller du sort la fatale puissance
Qui me fait avoir part à ce qui vous offence.

THEOCLE.

Pour moy ie tiens, Madame, à sensible bon-heur
L'action où pour vous a volé tout mon coeur,
Et ne puis consentir, malgré vostre murmure,
A quereller le sort d’vne telle avanture :
D'vn objet odieux, ie sçay que tout déplaist;
Mais deust vostre courroux estre plus grãd qu’il n’est,
C'est extreme plaisir, quand l’amour est extreme,
De pouvoir d’vn peril affranchir ce qu’on aime.

LA PRINCESSE.

Et pensez-vous, Seigneur, puisqu’il me faut parler,
Qu'il eust en ce peril dequoy tant m’ébranler ?
Que l’arc, & que le dard, pour moy si pleins de charmes,
Ne soient entre mes mains que d’inutiles armes?
Et que ie fasse, enfin, mes plus frequens emplois
De parcourir nos monts, nos plaines, & nos bois,
Pour n’oser en chassant concevoir l’esperance
De suffire moy seule à ma propre deffence?
Certes avec le temps i'aurois bien profité
De ces soins assidus dont ie fais vanité
S'il falloit que mon bras dans vne telle queste,
Ne pust pas triompher d’vne chetive beste ;
Du moins si pour pretendre à de sensibles coups
Le commun de mon sexe est trop mal avec vous,
D'vn estage plus haut accordez-moy la gloire,
Et me faites tous deux cette grace de croire,
Seigneurs, que quel que fut le sanglier d’auiourd’huy
I'en ay mis bas sans vous, de plus méchans que luy.

THEOCLE.

Mais, Madame...

LA PRINCESSE.

Et bien soit. ie voy que vostre envie
[p. 40]Est de persuader que ie vous dois la vie ;
I'y consens, ouy, sans vous c’estoit fait de mes iours,
Ie rends de tout mon coeur grace à ce grand secours,
Et ie vais de ce pas au Prince pour luy dire
Les bontez que pour moy vostre amour vous inspire.

SCENE IV.

EVRIALE, MORON, ARBATE.

MORON.

HE! a-t’on iamais veu de plus farouche esprit?
De ce vilain sanglier l’heureux trépas l’aigrit:
O comme volontiers i'aurois d’vn beau salaire
Récompensé tantost qui m’en eust sceu deffaire !

ARBATE.

Ie vous voy tout pensif, Seigneur, de ses dédains;
Mais ils n’ont rien qui doive empescher vos desseins,
Son heure doit venir, & c’est à vous possible
Qu'est reservé l’honneur de la rendre sensible.

MORON.

II faut qu’avant la course elle apprenne vos feux,
Et ie...

EVRIALE.

Non, ce n’est plus, Moron, ce que ie veux ;
Garde-toy de rien dire, & me laisse vn peu faire,
I'ay resolu de prendre vn chemin tout contraire ;
Ie voy trop que son coeur s’obstine à dédaigner
Tous ces profonds respects qui pensent la gaigner,
Et le Dieu qui m’engage à soûpirer pour elle
M'inspire pour la vaincre vne adresse nouvelle :
Ouy, c’est luy d’où me vient ce soudain mouvement,
Et i'en attens de luy l’heureux évenement.

ARBATE.

Peut-on sçauoir, Seigneur, par où vostre esperance.

EVRIALE.

Tu le vas voir, allons, & garde le silence.

Fin du premier Acte.

[p. 41]

DEVXIESME INTERMEDE.

ARGVMENT.

L’Agreable Moron laissa aller le Prince pour parler de sa passion naissante aux bois et aux rochers, et faisant retentir par tout le beau nom de sa Bergere Philis, vn Echo ridicule luy répondant bizarement, il y prit si grand plaisir, que riant en cent manieres, il fit répondre autant de fois cét Echo, sans témoigner d’en estre ennuyé : Mais vn Ours vint interrompre ce beau divertissement, et le surprit si fort par cette veuë peu attenduë, qu’il donna des sensibles marques de sa peur : Il luy fit faire devant l’Ours toutes les soûmissions dont il se pût aviser pour l’adoucir : Enfin, se iettant à vn arbre pour y monter, comme il vit que l’Ours y vouloit grimper aussi bien que luy, il cria au secours d’vne voix si haute, qu’elle attira huict paysans armez de bastons à deux bouts et d’espieux, pendant qu’vn autre Ours parut en suite du premier. II se fit vn Combat qui finit par la mort d’vn des Ours, et par la fuite de l’autre.

SCENE PREMIERE.

MORON.

Ivsqu’au revoir ; pour moy ie reste icy, & i'ay vne petite conversation à faire aux arbres & rochers.

Bois, prez, fontaines, fleurs, qui voyez mõ teint blême,
Si vous ne le sçavez, ie vous apprens que i'ayme ;
Philis est l’objet charmant
Qui tient mon coeur à l’attache,
Et ie devins son amant
La voyant traire une vache.
[p. 42]Ses doigts tout pleins de laict, & plus blãcs mille fois
Pressoient les bouts du pis d’uve grace admirable :
Ouf ! cette idée est capable
De me reduire aux abois.

Ah ! Philis, Philis, Philis.

Ah ! hem. ah ah ah ! hi hi hi hi. oh oh oh oh. Voilà vn Echo qui est bouffon ! hom hom hom. ha ha ha ha. vh vh vh. Voila vn Echo qui est bouffon !

SCENE II.

VN OURS, MORON.

MORON.

AH! Monsieur l’Ours, ie suis vostre serviteur de tout mon cœur : de grace, épargnez-moy ? ie vous asseure que ie ne vaux plus rien du tout à manger, ie n’ay que la peau & les os, & ie voy de certaines gens là bas qui seroient bien mieux vostre affaire. Eh ! eh ! eh ! Monseigneur, tout doux, s’il vous plaist. la, la, la, la, ah ? Monseigneur, que vostre Altesse est jolie & bien faite :

elle a tout à fait l’air galand & la taille la plus mignonne du monde. Ah beau poil ! belle teste ! beaux yeux brillans & bien fendus ! ah beau petit nez ! belle petite bouche ! petites quenottes iolies ! ah belle gorge ! belles petites menottes ! petits ongles bien faits. A l’aide, au secours, ie suis mort misericorde, pauvre Moron, ah mon Dieu ! & viste, à moy ie suis perdu ! Les Chasseurs paroissent. Eh, Messieurs, ayez pitié de moy ! bon, Messieurs, tuez-moy ce vilain animal là : ô Ciel ! daigne les assister. Bon, le voila qui fuit, le voila qui s’arreste & qui se iette sur eux. Bon en voila vn qui vient de luy donner vn coup dans la gueule. Les voila tous à l’entour [p. 43] de luy. Courage, ferme, allons mes amis. Bon, poussez fort, encore, ah ! le voila qui est à terre, c’en est fait il est mort, descendons maintenant pour luy donner cent coups, Serviteur, Messieurs, ie vous rends grace de m’avoir delivré de cette beste, maintenant que vous l’avez tuée ie m’en vais l’achever, & en triompher avec vous.

Ces heureux Chasseurs n’eurent pas plustost remporté cette victoire, que Moron devenu brave par l’éloignement du peril, voulut aller donner mille coups à la beste, qui n’estoit plus en estat de se deffendre, et fit tout ce qu’vn fanfaron, qui n’auroit pas esté trop hardy, eust pû faire en cette occasion; et les Chasseurs pour témoigner leur joye, danserent vne fort belle entrée : C’estoient Mr. Mançeau, les Sieurs Chicanneau, Baltazard, Noblet, Bonard, Magny, et la Pierre.

ACTE II.

ARGVMENT.

LE Prince d’Ithaque et la Princesse eurent vne conversation fort galante sur la Course des Chars qui se preparoit : Elle avoit dit auparavant à vne des Princesses ses Parentes, que l’insensibilité du Prince d’Ithaque luy donnoit de la peine et luy estoit hõteuse : qu’encore qu’elle ne voulust rien aymer, il estoit bien fascheux de voir qu’il n’aymoit rien; et que quoy qu’elle eust resolu de n’aller point voir les Courses, elle s’y vouloit rendre, dans le dessein de tascher à triompher de la liberté d’vn homme qui la cherissoit si fort. Il estoit facile de iuger que le merite de ce Prince produisoit son effet ordinaire, que ses belles qualitez avoient touché ce coeur superbe, et [p. 44] commencé à fondre vne partie de cette glace qui auoit resisté iusques alors à toutes les ardeurs de l’Amour, et plus il affectoit, (par le conseil de Moron qu’il auoit gaigné, et qui connoissoit fort le cœur de la Princesse) de paroistre insensible (quoy qu’il ne fut que trop amoureux ;) plus la Princesse se mettoit dans la teste de l’engager, quoy qu’elle n’eût pas fait dessein de s’engager elle méme. Les Princes de Messene et de Pyle, prirent lors congé d’elle pour se preparer aux Courses, et luy parlant de l’esperance qu’ils avoient de vaincre, par le desir qu’ils sentoient de luy plaire : Celuy d’Ithaque luy témoigna au contraire, que n’ayant iamais rien aimé il alloit essayer à vaincre pour sa propre satisfaction, ce qui la picqua encore davantage à vouloir soûmettre vn coeur desia assez soûmis, mais qui sçavoit deguiser ses sentimens le mieux du monde.

SECENE I.

LA PRINCESSE, AGLANTE, CINTHIE.

LA PRINCESSE.

OVy, j’aime à demeurer dans ces paisibles lieux,
On n’y découvre rien qui n’enchante les yeux,
Et de tous nos Palais la sçavante structure
Cede aux simples beautez qu’y forme la nature :
Ces Arbres, ces Rochers, cette Eau, ces Gazons frais
Ont pour moy des appas à ne lasser iamais.

AGLANTE.

Ie cheris comme vous ces retraittes tranquilles
Où l’on se vient sauver de l’embarras des Villes,
Et ce qui doit surprendre, est qu’aux portes d’Elis
De mille objets charmants ces lieux sont embellis;
La douce passion de fuïr la multitude
[p. 45]Rencontre vne si belle, & vaste solitude :
Mais, à vous dire vray dans ces jours éclatans
Vos retraites icy me semblent hors de temps,
Et c’est fort maltraitter l’appareil magnifique
Que chaque Prince a fait pour la Feste publique :
Ce spectacle pompeux de la Course des Chars
Devoit bien meriter l’honneur de vos regards.

LA PRINCESSE.

Quel droit ont-ils chacun d’y vouloir ma presence ?
Et que dois-je apres tout à leur magnificence?
Ce sont soins que produit l’ardeur de m’acquerir,
Et mon coeur est le prix qu’ils veulent tous courir:
Mais quelque espoir qui flate vn projet de la sorte,
Ie me tromperay fort si pas vn d’eux l’emporte.

CINTHIE.

Iusques à quand ce coeur veut-il s’éffaroucher
Des innocens desseins qu’on a de le toucher ?
Et regarder les soins que pour vous on se donne 
Comme autant d’attentats contre vostre personne ?
Ie sçay qu’en deffendant le party de l’Amour
On s’expose chez vous à faire mal sa cour:
Mais ce que par le sang i'ay l’honneur de vous estre
S'oppose aux duretez que vous faites paroistre,
Et ie ne puis nourrir d’vn flateur entretien
Vos resolutions de n’aymer iamais rien.
Est-il rien de plus beau que l’innocente flame
Qu'vn merite éclatant allume dans vne ame ?
Et seroit-ce vn bon-heur de respirer le iour
Si d’entre les mortels on bannissoit l’Amour?
Non, non, tous les plaisirs se goustent à le suivre,
Et vivre sans aymer n’est pas proprement vivre.

ADVIS.

LE dessein de l’Autheur estoit de traitter ainsi toute la Comedie ; mais vn commandement du Roy qui [p. 46] pressa cette affaire, l’obligea d’achever tout le reste en prose ; et de passer legerement sur plusieurs Scenes, qu’il auroit étenduë davantage, s’il auoit eu plus de loisir.

AGLANTE.

Pour moy ie tiens que cette passion est la plus agreable affaire de la vie, qu’il est necessaire d’aymer, pour viure heureusement, & que tous les plaisirs sont fades s’il ne s’y mesle vn peu d’amour.

LA PRINCESSE.

Pouvez-vous bien toutes deux estant ce que vous estes, prononcer ces paroles ; & ne devez-vous pas rougir d’appuyer vne passion qui n’est qu’erreur, que foiblesse & qu’emportement, & dont tous les desordres ont tant de repugnance avec la gloire de nostre sexe. I'en pretends soûtenir l’honneur iusqu’au dernier moment de ma vie : Et ne veux point du tout me comettre à ces gens qui font les esclaves aupres de nous, pour devenir vn iour nos tyrans : Toutes ces larmes, tous ces soûpirs tous ces hommages, tous ces respects, sont des embuches qu’on tend

à nostre coeur, & qui souvent l’engagent à cõmettre des lâchetez. Pour moy quand ie regarde

certains exemples, & les bassesses épouvantables où cette passion ravale les personnes sur qui elle étend sa puissance : Ie sens tout mon coeur qui s’émeut, & ie ne puis souffrir qu’vne ame qui fait profession d’vn peu de fierté, ne trouve pas vne honte horrible à de telles foiblesses.

CINTHIE.

Eh ! Madame, il est de certaines foiblesses qui ne sont point honteuses, & qu’il est beau mesme d’avoir dans les plus hauts degrez de gloire. I'espere que vous changerez vn iour de pensée, & s’il plaist au Ciel nous verrons vostre coeur avant qu’il soit peu…

LA PRINCESSE.

Arrestez, n’achevez pas ce souhait étrange, j’ay [p. 47] vne horreur trop invincible pour ces sortes d’abaissemens, & si iamais i'estois capable d’y descendre ie serois personne sans doute, à ne me le point pardonner.

AGLANTE.

Prenez garde, Madame, l’amour sçait se vanger des mespris que l’on fait de luy, & peut-estre...

LA PRINCESSE.

Non, non, ie brave tous ses traits, & le grand pouvoir qu’on luy dõne n’est rien qu’vne chimere, qu’vne excuse des foibles cœurs qui le font invincible pour authoriser leur foiblesse.

CINTHIE.

Mais enfin toute la terre reconnoist sa puissance, & vous voyez que les Dieux mesmes sont assuiettis à son empire : on nous fait voir que Jupiter n’a pas aimé pour vne fois, & que Diane mesme dont vous affectez tant l’exemple n’a pas rougi de pousser des soûpirs d’amour.

LA PRINCESSE.

Les croyances publiques sont touiours meslées d’erreur : Les Dieux ne sont point faits comme se les fait le vulgaire, & c’est leur manquer de respect que de leur attribuer les foiblesses des hommes.

SCENE II.

MORON, LA PRINCESSE, AGLANTE, CINTHIE, PHILIS.

AGLANTE.

VIen, approche Moron, vien nous aider à deffendre l’amour contre les sentimens de la Princesse.

LA PRINCESSE.

Voila vostre party fortifié d’vn grand deffenseur.

MORON.

Ma foy, Madame, ie croy qu’apres mon exemple il [p. 48] n’y a plus rien à dire, & qu’il ne faut plus mettre en doute le pouvoir de l’Amour. I'ay bravé ses armes assez long-temps, & fait de mon drole comme vn autre; mais enfin ma fierté a baissé l’oreille, & vous avez vne traitresse qui m’a rendu plus doux qu’vn Agneau : Apres cela on ne doit plus faire aucun scrupule d’aimer, & puis que i'ay bien passé par là, il peut bien y en passer d’autres.

CINTHIE.

Quoy ? Moron se mesle d’aimer?

MORON.

Fort bien.

CINTHIE.

Et de vouloir estre aimé?

MORON.

Et pourquoy non? Est-ce qu’on n’est pas assez bien fait pour cela? Ie pense que ce visage est assez passable, & que pour le bel air, Dieu mercy, nous ne le cedons à personne.

CINTHIE.

Sans doute on auroit tort…

SCENE III.

LYCAS, LA PRINCESSE, AGLANTE, CINTHIE, PHILIS, MORON.

LYCAS.

MAdame, le Prince vostre Pere vient vous trouver icy, & conduit avec luy les Princes de Pyle, & d’Ithaque, & celuy de Messene.

LA PRINCESSE.

O Ciel ! que pretend-il faire en me les amenant? Auroit-il resolu ma perte, & voudroit il bien me forcer au choix de quelqu’vn d’eux?

[p. 49]

SCENE IV.

LE PRINCE, EVRIALE, ARISTOMENE, THEOCLE, LA PRINCESSE, AGLANTE, CINTHIE, PHILIS, MORON.

LA PRINCESSE.

SEigneur, ie vous demande la licence de prevenir par deux paroles, la declaration des pensees que vous pouvez avoir. II y a deux veritez Seigneur, aussi constantes l’vne que l’autre, & dont ie puis vous asseurer également : l’vne, que vous avez vn absolu pouvoir sur moy, & que vous ne sçauriez m’ordonner rien où ie ne réponde aussi-tost par vne obeïssance aveugle : l’autre que ie regarde l’Hymenée ainsi que le trépas, & qu’il m’est impossible de forcer cette aversion naturelle : Me donner vn mary & me donner la mort c’est vne mesme chose ; mais vostre volonté va la premiere, & mon obeïssance m’est bien plus chere que ma vie : Apres cela parlez, Seigneur, prononcez librement ce que vous voulez.

LE PRINCE.

Ma fille, tu as tort de prendre de telles allarmes, & ie me plains de toy, qui peux mettre dans ta pensée, que ie sois assez mauvais Pere pour vouloir faire violence à tes sentimens, & me servir tyranniquement de la puissance que le Ciel me donne sur toy. Ie souhaite, à la vérité, que ton coeur puisse aimer quelqu’vn : Tous mes voeux seroient satisfaits si cela pouvoit arriver, & ie n’ay proposé les Festes & les Ieux que ie fais celebrer icy, qu’afin d’y pouvoir attirer tout ce que la Grece a d’illustre ; & que parmy cette noble ieunesse tu puisse enfin rencontrer où arrester tes [p. 50] yeux & determiner tes pensées. Ie ne demande, dis ie, au Ciel autre bonheur que celuy de te voir vn Espoux. I'ay, pour obtenir cette grace fait encore ce matin vn sacrifice à Venus; & si ie sçay bien expliquer le langage des Dieux, elle m’a promis vn miracle : mais quoy qu’il en soit, ie veux en vser auec toy en pere qui cherit sa fille : Si tu trouves où attacher tes vœux, ton choix sera le mien, & ie ne considereray ny interests d’Estat, ny avantage d’alliance. Si ton coeur demeure insensible, ie n’entreprendray point de le forcer. Mais au moins sois complaisante aux civilitez qu’on te rend, & ne m’oblige point à faire les excuses de ta froideur : Traitte ces Princes avec l’estime que tu leur dois, reçois avec reconnoissance les témoignages de leur zele, & viens voir cette course où leur adresse va paroistre.

THEOCLE.

Tout le monde va faire des efforts pour emporter le prix de cette course ; mais à vous dire vray, i'ay peu d’ardeur pour la victoire, puisque ce n’est pas vostre coeur qu’on y doit disputer.

ARISTOMENE.

Pour moy, Madame, vous estes le seul prix que ie me propose par tout : C'est vous que ie croy disputer dans ces combats d’adresse, & ie n’aspire maintenant à remporter l’honneur de cette course, que pour obtenir vn degré de gloire qui m’aproche de vostre coeur.

EVRIALE.

Pour moy Madame, ie n’y vais point du tout avec cette pensée : Comme i'ay fait toute ma vie profession de ne rien aimer, tous les soins que ie prends ne vont point où tandent les autres : Ie n’ay aucune pretention sur vostre cœur, & le seul honneur de la course est tout l’advantage où i'aspire. Ils la quittent.

LA PRINCESSE.

D'où sort cette fierté où l’on ne s’attendoit point? [p. 51]Princesses, que dites-vous de ce Ieune Prince? avez-vous remarqué de quel ton il l’a pris ?

AGLANTE.

II est vray que cela est vn peu fier.

MORON.

Ah ! quelle brave botte il vient là de luy porter !

LA PRINCESSE.

Ne trouvez-vous pas qu’il y auroit plaisir d’abaisser son orgueil, & de soûmettre vn peu ce coeur qui tranche tant du brave ?

CINTHIE.

Comme vous estes accoustumée à ne iamais recevoir que des hommages & des adorations de tout le monde, vn compliment pareil au sien doit vous surprendre à la vérité.

LA PRINCESSE.

Ie vous avouë que cela m’a donné de l’émotion, & que ie souhaitterois fort de trouver les moyens de chastier cette hauteur. Ie n’avois pas beaucoup d’ẽvie de me trouver à cette Course; mais i'y veux aller exprés, & employer toute chose pour luy donner de l’amour.

CINTHIE.

Prenez garde, Madame, l’entreprise est perilleuse, & lors qu’on veut donner de l’amour on court risque d’en recevoir.

LA PRINCESSE.

Ah ! n’apprehendez rien, ie vous prie, allons, ie vous réponds de moy.

Fin du II. Acte.

TROISIESME INTERMEDE.

SECENE I.

MORON, PHILIS.

MORON.

PHilis, demeure icy ?

[p. 52]

PHILIS.

Non, laisse-moy suivre les autres.

MORON.

Ah ! cruelle, si c’estoit Tircis qui t’en priast, tu demeurerois bien viste.

PHILIS.

Cela se pourroit faire, & ie demeure d’accord que ie trouve bien mieux mon conte avec l’vn qu’avec l’autre ; car il me divertit avec sa voix, & toy tu m’étourdis de ton caquet. Lors que tu chanteras aussi bien que luy, ie te promets de t’écouter.

MORON.

Eh ! demeure vn peu.

PHILIS.

Ie ne sçaurois.

MORON.

De grace ?

PHILIS.

Point te dis-je.

MORON.

Ie ne te laisseray point aller.

PHILIS.

Ah ! Que de façons.

MORON.

Ie ne te demande qu’vn moment à estre avec toy.

PHILIS.

Et bien, oüy, i'y demeureray, pourveu que tu me promette une chose.

MORON.

Et quelle?

PHILIS.

De ne me point parler du tout.

MORON.

Eh ! Philis ?

PHILIS.

A moins que de cela ie ne demeureray point avec toy.

MORON.

Veux-tu me…

[p. 53]

PHILIS.

Laisse-moy aller ?

MORON.

Et bien, ouy, demeure, ie ne te diray mot.

PHILIS.

Prends-y bien garde au moins; car à la moindre parole, ie prends la fuitte.

MORON. Il fait vne Scene de gestes.

Soit. Ah ! Philis…. Eh…. Elle s’enfuit, & ie ne sçaurois l’attraper. Voila ce que c’est, si ie sçavois chãter i'en ferois bien mieux mes affaires. La pluspart des femmes aujourd’huy se laissent prendre par les oreilles : elles sont cause que tout le monde se mesle de Musique, & l’on ne reüssit aupres d’elles, que par les petites chansons, & les petits vers qu’on leur fait entendre. Il faut que i'apprenne à chanter, pour faire comme les autres. Bon, voicy iustement mon homme.

SCENE II.

SATYRE.

LA, la, la.

MORON.

Ah ! Satyre mon amy, tu sçais bien ce que tu m’as promis il y a long-temps, apprends-moy à chanter, ie te prie ?

SATYRE.

Ie le veux; mais auparavant écoute vne chanson que ie viens de faire.

MORON.

II est si accoustumé à chanter qu’il ne sçauroit parler d’autre façon. Allons, chante, j’écoute.

SATYRE.

Ie portois…

MORON.

Vne chanson, dis-tu?

SATYRE.

Ie port…

MORON.

Vne chanson à chanter?

[p. 54]

SATYRE.

Ie port…

MORON.

Chanson amoureuse, peste.

SATYRE.

IE portois dans vne cage
Deux moyneaux que i'avois pris,
Lors que la ieune Cloris
Fit dans vn sombre boccage
Briller, à mes yeux surpris,
Les fleurs de son beau visage :
Helas ! dis-je aux moyneaux, en recevant les coups
De ses yeux si sçavans à faire des conquestes :
Consolez-vous, pauvres petites bestes,
Celuy qui vous a pris est bien plus pris que vous.

Moron ne fut pas satisfait de cette Chanson quoy qu’il la trouvast jolie, il en demanda vne plus passionnée, et priant le Satyre de luy dire celle qu’il lui avoit ouy chãter quelques iours auparavant : il continua ainsi.

DANS vos chants si doux,
Chantez à ma belle,
Oyseaux, chantez tous
Ma peine mortelle :
Mais si la cruelle
Se met en courroux
Au recit fidelle
Des maux que ie sens pour elle :
Oyseaux, taisez-vous.
Oyseaux, taisez-vous.

Cette seconde Chanson ayant touché Moron fort sensiblement, il pria le Satyre de luy apprendre à chanter, et luy dit.

Ah ! qu’elle est belle, apprends-la moy ?

SATYRE.

La, la, la, la.

MORON.

La, la, la, la.

SATYRE.

Fa, Fa, Fa, Fa.

MORON.

Fa, toy-mesme.

[p. 55]

Le Satyre s’en mit en colere, et peu à peu se mettant en posture d’en venir à des coups de poing, les Violons reprirent vn Air sur lequel ils danserent vne plaisante Entrée.

ACTE III.

ARGVMENT

LA Princesse d’Elide estoit cependant dans d’estranges inquietudes : Le Prince d’Ithaque avoit gaigné le prix des Courses, elle avoit dans la suitte de ce divertissement fait des merveilles à chanter et à la danse, sans qu’il parust que ces dons de la nature et de l’art eussent esté quasi remarquez par le Prince d’Ithaque ; elle en fit de grandes plaintes à la Princesse sa parente : elle en parla à Moron, qui fit passer cét insensible pour vn brutal : Et enfin, le voyant arriver luy mesme, elle ne pût s’empescher de luy en toucher fort serieusement quelque chose : Il luy répondit ingénuëment qu’il n’aymoit rien, et qu’hors l’amour de sa liberté, et les plaisirs qu’elle trouvoit si agreables de la solitude et de la Chasse rien ne le touchoit.

SCENE PREMIERE.

LA PRINCESSE, AGLANTE, CINTHIE, PHILIS.

CINTHIE.

IL est vray, Madame que ce Prince a fait voir vne adresse non commune, & que l’air dont il a paru a [p. 56] esté quelque chose de surprenant. Il sort vainqueur de cette course, mais ie doute fort qu’il en sorte avec le mesme coeur qu’il a porté : Car enfin vous luy avez tiré des traits dont il est difficile de se deffendre, & sans parler de tout le reste, la grace de vostre danse, & la douceur de vostre voix ont eu des charmes aujourd’huy à toucher les plus insensibles.

LA PRINCESSE.

Le voicy qui s’entretient avec Moron; nous sçaurons vn peu dequoy il luy parle : Ne rompons point encore leur entretient, & prenons cette route pour revenir à leur rencontre.

SCENE II.

EVRIALE, MORON, ARBATE.

EVRIALE.

AH ! Moron, je te l’advouë, j’ay esté enchanté, & iamais tant de charmes n’ont frappé tout ensemble mes yeux & mes oreilles. Elle est adorable en tout temps, il est vray : mais ce moment l’a emporté sur tous les autres, & des graces nouuelles ont redoublé l’éclat de ses beautez. Iamais son visage ne s’est paré de plus viues couleurs, ny ses yeux ne se sont armez de traits plus vifs & plus perçans. La douceur de sa voix a voulu se faire paroistre dans vn air tout charmant qu’elle a daigné chanter, & les sons merveilleux qu’elle formoit passoient iusqu’au fond de mõ ame, & tenoiẽt tous mes sens dans vn ravissement à ne pouvoir en revenir. Elle a fait éclater en suite vne disposition toute divine, & ses pieds amoureux sur l’émail d’vn tendre gazon traçoient d’aymables caracteres, qui m’enlevoient hors de moy-mesme, & m’attachoient par des noeuds invincibles aux doux & justes mouvemens [p. 57] dont tout son corps suivoit les mouvemens de l’harmonie. Enfin iamais ame n’a eu de plus puissãtes émotions que la mienne, & i'ay pense plus de vingt fois oublier ma resolution pour me ietter à ses pieds, & luy faire vn aveu sincere de l’ardeur que ie sens pour elle.

MORON.

Donnez-vous en bien de garde, Seigneur, si vous m’en voulez croire : Vous avez trouvé la meilleure invention du monde, & ie me trompe fort si elle ne vous reüssit. Les femmes sont des animaux d’vn naturel bizarre, nous les gâtons par nos douceurs, & ie croy tout de bon que nous les verrions nous courir, sans tous ces respects, & ces soûmissions où les hõmes les acoquinent.

ARBATE.

Seigneur, voicy la Princesse qui s’est vn peu éloignée de sa suite.

MORON.

Demeurez ferme, au moins, dans le chemin que vous auez pris : Ie m’en vais voir ce qu’elle me dira ; cependant promenez-vous icy dans ces petites routes, sans faire aucun semblant d’avoir envie de la joindre, & si vous l’abordez, demeurez acec elle le moins qu’il vous sera possible.

SCENE III.

LA PRINCESSE, MORON.

LA PRINCESSE.

TV as donc familiarité, Moron, avec le Prince d’Ithaque ?

MORON.

Ah ! Madame, il y a long-temps que nous nous connoissons.

LA PRINCESSE.

D'où vient qu’il n’est pas venu iusques icy, & qu’il a pris cette autre route quand il m’a veuë?

[p. 58]

MORON.

C'est vn homme bizarre qui ne se plaist qu’à entretenir ses pensees.

LA PRINCESSE.

Estois-tu tantost au compliment qu’il m’a fait?

MORON.

Ouy, Madame, i'y estois, & ie l’ay trouvé vn peu impertinent, n’en déplaise à sa Principauté.

LA PRINCESSE.

Pour moy, ie le confesse, Moron, cette fuite m’à choquée, & i'ay toutes les envies du monde de l’engager pour rabatre vn peu son orgueil.

MORON.

Ma foy, Madame, vous ne feriez pas mal, il le meriteroit bien : mais à vous dire vray, ie doute fort que vous y puissiez reussir.

LA PRINCESSE.

Comment ?

MORON.

Comment ? c’est le plus orgueilleux petit vilain que vous ayez iamais veu. Il luy semble qu’il n’y a personne au monde qui le merite, & que la terre n’est pas digne de le porter.

LA PRINCESSE.

Mais encore, ne t’a-il point parlé de moy?

MORON.

Luy ? non.

LA PRINCESSE.

II ne t’a rien dit de ma voix, & de ma danse ?

MORON.

Pas le moindre mot.

LA PRINCESSE.

Certes, ce mépris est choquant, & ie ne puis souffrir cette hauteur estrange de ne rien estimer.

[p. 59]

MORON.

Nous n’avons point de marbre dans nos moutagnes qui soit plus dur & plus insensible que luy.

LA PRINCESSE.

Le voilà.

MORON.

Voyez-vous comme il passe sans prendre garde à vous?

LA PRINCESSE.

De grace, Moron, va le faire adviser que ie suis icy, & l’oblige à me venir aborder.

SCENE IV.

LA PRINCESSE, EVRIALE, MORON, ARBATE.

MORON.

SEigneur, ie vous donne advis que tout va bien : la Princesse souhaitte que vous l’abordiez: mais songez bien à continuer vostre roole ; & de peur de l’oublier ne soyez pas long-temps avec elle.

LA PRINCESSE.

Vous estes bien solitaire, Seigneur, & c’est vne humeur bien extraordinaire que la vostre, de renoncer ainsi à nostre sexe, & de fuïr, à vostre âge cette Galanterie, dont se piquent tous vos pareils.

EVRIALE.

Cette humeur, Madame, n’est pas si extraordinaire qu’on n’en trouvast des exemples sans aller loin d’icy, & vous ne sçauriez condamner la resolution que i'ay prise de n’aimer iamais rien, sans condamner aussi vos sentimens.

LA PRINCESSE.

II y a grande difference, & ce qui sied bien à vn [p. 60] sexe, ne sied pas bien à l’autre. II est beau qu’vne femme soit insensible, & conserve son coeur exempt des fiâmes de l’amour ; mais ce qui est vertu en elle, devient vn crime dans vn homme. Et comme la beauté est le partage de nostre sexe, vous ne sçauriez ne nous point aimer, sans nous dérober les hommages qui nous sont deus, & commettre vne offense dont nous devons toutes nous ressentir.

EVRIALE.

Ie ne voy pas, Madame, que celles qui ne veulent point aymer, doivent prendre aucun interest à ces sortes d’offenses.

LA PRINCESSE.

Ce n’est pas vne raison, Seigneur, & sans vouloir aimer, on est toujours bien aise d’estre aimée.

EVRIALE.

Pour moy ie ne suis pas de même, & dans le dessein où ie suis, de ne rien aimer, je serois fâché d’estre aymé.

LA PRINCESSE.

Et la raison?

EVRIALE.

C'est qu’on a obligation à ceux qui nous aiment, & que ie serois fasché d’estre ingrat.

LA PRINCESSE.

Si bien donc, que pour fuyr l’ingratitude, vous aimeriez qui vous aimeroit?

EVRIALE.

Moy ? Madame, point du tout. Ie dis bien que ie serois fasché d’estre ingrat : mais ie me resoudrois plûtost de l’estre, que d’aymer.

LA PRINCESSE.

Telle personne vous aymeroit peut estre que vostre cœur…

EVRIALE.

Non, Madame, rien n’est capable de toucher mon cœur, ma liberté est la seule Maistresse à qui ie consacre [p. 61]mes vœux, & quãd le Ciel employeroit ses soins à composer vne beauté parfaite, quand il employeroit en elle tous les dons les plus merveilleux, & du corps & de l’ame ; enfin, quand il exposeroit à mes yeux vn miracle d’esprit, d’adresse, & de beauté, & que cette personne m’aimeroit avec toutes les tendresses imaginables, ie vous l’avouë franchement, ie ne l’aimerois pas.

LA PRINCESSE.

A-t’on iamais rien veu de tel !

MORON.

Peste soit du petit brutal, i'aurois bien envie de luy bailler vn coup de poing.

LA PRINCESSE parlant en soy.

Cét orgueil me confond, & i'ay vn tel dépit, que ie ne me sens pas.

MORON parlant au Prince.

Bon, courage, Seigneur, voila que va le mieux du monde.

EVRIALE.

Ah ! Moron, ie n’en puis plus, & ie me suis fait des efforts estranges.

LA PRINCESSE.

C'est avoir vne insensibilité bien grande, que de parler comme vous faites.

EVRIALE.

Le Ciel ne m’a pas fait d’vne autre humeur : mais Madame, i'interromps vostre promenade, & mon respect doit m’advertir que vous aimez la solitude.

SCENE V.

LA PRINCESSE, MORON, PHILIS, TIRCIS. MORON.

IL ne vous en doit rien, Madame, en dureté de coeur.

[p. 62]

LA PRINCESSE.

Ie donnerois volontiers tout ce que j’ay au monde, pour avoir l’advantage d’en triompher.

MORON.

Ie le croy ?

LA PRINCESSE.

Ne pourrois-tu, Moron, me servir dans vn tel dessein?

MORON.

Vous sçauez bien, Madame, que ie suis tout à vôtre service.

LA PRINCESSE.

Parle-luy de moy dans tes entretiens, vante luy adroitement ma personne, & les avãtages de ma naissance, & tâche d’ébranler ses sentimens, par la douceur de quelque espoir. Ie te permets de dire tout ce que tu voudras, pour tascher à me l’engager.

MORON.

Laissez-moy faire.

LA PRINCESSE.

C'est vne chose qui me tient au cœur, ie souhaitte ardemment qu’il m’ayme.

MORON.

Il est bien fait, ouy, ce petit pendart-là : Il a bon air, bonne physionomie, & ie croy qu’il seroit assez le fait d’vne jeune Princesse.

LA PRINCESSE.

Enfin tu peux tout esperer de moy, si tu trouves moyen d’enflamer pour moy son coeur.

MORON.

Il n’y a rien qui ne se puisse faire ; mais Madame, s’il venoit à vous aimer, que feriez-vous, s’il vous plaist?

LA PRINCESSE.

Ah! ce secroit lors que ie prendrois plaisir à triompher pleinement de sa vanité, à punir son mépris par mes froideurs, & exercer sur luy toutes les cruautez que ie pourrois imaginer.

[p. 63]

MORON.

II ne se rendra jamais.

LA PRINCESSE.

Ah ! Moron, il faut faire en sorte qu’il se rende.

MORON.

Non ? il n’en fera rien, ie le connois, ma peine seroit inutile.

LA PRINCESSE.

Si faut-il pourtant tenter toute chose, & éprouver si son ame est entierement insensible. Allons, ie veux luy parler, & suivre vne pensée qui vient de me venir.

Fin du troisiéme Acte.

QVATRIESME INTERMEDE.

SCENE I.

PHILIS, TIRCIS.

PHILIS.

VIen, Tircis, laissons-les aller, & me dis vn peu ton martyre de la façon que tu sçais faire ? II y a long-temps que tes yeux me parlent; mais ie suis plus aise d’ouïr ta voix.

TIRCIS en chantant.

TV m’écoutes, helas ! dans ma triste langueur;
Mais ie n’ẽsuis pas mieux, ô beauté sans pareille!
Et ie touche ton oreille
Sans que ie touche ton coeur.

PHILIS.

Va, va, c’est desia quelque chose que de toucher l’oreille, & le temps amene tout. Chante moy cependant quelque plainte nouvelle que tu ayez composée pour moy.

[p. 64]

SCENE II.

MORON, PHILIS, TIRCIS.

MORON.

AH ! ah, ie vous y prens, cruelle, vous vous écartez des autres pour oüir mon rival?

PHILIS.

Oüy, ie m’écarte pour cela, ie te le dis encore : Ie me plais avec luy, & l’on écoute volontiers les Amans lors qu’ils se plaignent aussi agreablement qu’il fait. Que ne chantes-tu comme luy? ie prendrois plaisir à t’écouter.

MORON.

Si je ne sçay chanter, ie sçay faire autre chose, & quand....

PHILIS.

Tais-toy ? ie veux l’entendre. Dis, Tircis, ce que tu voudras.

MORON.

Ah ! cruelle…

PHILIS.

Silence, dis-ie, ou ie me mettray en colere.

TIRCIS.

ARbres épais, & vous prez émaillez,
La beauté dont l’Hyver vous avoit dépoüillez,
Par le Printemps vous est renduë :
Vous reprenez tous vos appas :
Mais mon ame ne reprend pas
La ioye, helas ! que i'ay perduë.

MORON.

Morbleu, que n’ay-je de la voix ? ah ! nature marastre ! pourquoy ne m’as-tu pas donné dequoy chanter comme à vn autre?

PHILIS.

En vérité, Tircis, il ne se peut rien de plus agreable, [p. 65] & tu l’emportes sur tous les Rivaux que tu as.

MORON.

Mais pourquoy est-ce que ie ne puis pas chanter? n’ay-ie pas vn estomach, vn gosier, & vne langue comme vn autre? Ouy, ouy, allons, ie veux chanter aussi, & te montrer que l’amour fait faire toutes choses. Voicy vne chanson que i'ay faite pour toy.

PHILIS.

Ouy, dis, ie veux bien t’écouter pour la rareté du fait.

MORON.

Courage, Moron, il n’y a qu’à avoir de la hardiesse.

Moron chante.

Ton extrême rigueur
S'acharne sur mon cœur,
Ah! Philis, ie trépasse !
Daignes me secourir,
En seras-tu plus grasse
De m’avoir fait mourir?
Viuas, Moron.

PHILIS.

Voila qui est le mieux du monde : mais, Moron, ie souhaiterois bien d’avoir la gloire, que quelque Amãt fust mort pour moy ; c’est vn avantage dont ie n’ay pas encor ioüy, & ie trouve que i'aimerois de tout mon coeur vne personne qui m’aimeroit assez pour se donner la mort.

MORON.

Tu aimerois vne personne qui se tueroit pour toy?

PHILIS.

Ouy.

MORON.

II ne faut que cela pour te plaire?

PHILIS. Non.

MORON.

Voila qui est fait, ie te veux montrer que ie me sçay tuer quand ie veux.

[p. 66]

TIRCIS. chante.

Ah ! quelle douceur extrême,
De mourir pour ce qu’on aime. bis.

MORON.

C’est vn plaisir que vous aurez quãd vous voudrez.

TIRCIS chante.

Courage Moron ? meurs promtement
En genereux Amant.

MORON.

Ie vous prie de vous mesler de vos affaires, & de me laisser tuer à ma fantaisie. Allons, ie vais faire honte à tous les Amans ; Tien, ie ne suis pas homme à faire tant de façons, voy ce poignard ? prends bien garde comme ie vais me percer le cœur. Ie suis vostre serviteur, quelque niais. Se riant de Tircis.

PHILIS.

Allons, Tircis, viens-t’en me redire à l’écho, ce que tu m’as chanté.

ACTE IV.

ARGVMENT.

LA Princesse esperant par vne feinte, pouvoir découvrir les sentimens du Prince d’Itaque, elle luy fit confidence qu’elle aimoit le Prince de Messene, au lieu d’en paroistre affligé il luy rendit la pareille, et luy fit connoistre que la Princesse sa parente luy avoit donné dans la veuë, et qu’il la demanderoit en mariage au Roy son Père : A cette atteinte impreveuë cette Princesse perdit toute sa constance; et quoy qu’elle essayast à se contraindre devant luy, aussi-tost qu’il fut sorty, elle demanda avec tant d’empressement à sa cousine de ne [p. 67] recevoir point les services de ce Prince, et de ne l’épouser iamais, qu’elle ne pût le luy refuset : Elle s’en plaignis mesme à Moron, qui luy ayant dit assez franchement qu’elle l’aimoit donc : en fut chassé de sa presence.

SCENE PREMIERE.

EVRIALE, LA PRINCESSE, MORON.

LA PRINCESSE.

PRince, comme iusques icy nous avons fait paroistre vne conformite de sentimens, & que le Ciel a semblé mettre en nous mesmes attachemens pour nostre liberté, & mesme aversion pour l’Amour; ie suis bien aise de vous ouvrir mon coeur, & de vous faire confidence d’vn changement dont vous serez surpris. I'ay toûjours regardé l’Hymen comme vne chose affreuse, & i'avois fait serment d’abandonner plutost la vie, que de me resoudre iamais à perdre cette liberté pour qui i'avois des tendresses si grandes : mais, enfin, vn moment a dissipé toutes ces resolutions, le merite d’vn Prince m’a frappé aujourd’huy les yeux, & mon ame tout d’vn coup, (comme par vn miracle) est devenue sensible aux traits de cette passion que i'avois tousiours mesprisée. I'ay trouvé d’abord des raisons pour authoriser ce changement, & ie puis l’appuyer de la volonté de respondre aux ardentes sollicitations d’vn pere, & aux voeux de tout vn Estat : mais à vous dire vray, ie suis en peine du iugement que vous ferez de moy, & ie voudrois sçavoir si vous condamnerez, ou non le dessein que i'ay de me donner un Espoux.

EVRIALE.

Vous pourriez faire vn tel choix, Madame, que [p. 68] ie l’approuverois sans doute.

LA PRINCESSE.

Qui croyez-vous, à vôtre avis, que ie veüille choisir?

EVRIALE.

Si i'estois dans vostre cœur ie pourrois vous le dire : mais comme ie n’y suis pas, ie n’ay garde de vous répondre.

LA PRINCESSE.

Devinez, pour voir, & nommez quelqu’vn ?

EVRIALE.

I'aurois trop peur de me tromper.

LA PRINCESSE.

Mais encore, pour qui souhaitteriez-vous que ie me declarasse ?

EVRIALE.

Ie sçay bien, à vous dire vray, pour qui ie le souhaitterois : mais avant que de m’expliquer, ie dois sçavoir vostre pensée.

LA PRINCESSE.

Et bien, Prince, ie veux bien vous la découvrir : ie suis seure que vous allez approuver mon choix, & pour ne vous point tenir en suspens davantage, le Prince de Messene est celuy de qui le merite s’est attiré mes voeux.

EVRIALE.

O Ciel!

LA PRINCESSE.

Mon invention a reüssi, Moron, le voilà qui se trouble.

MORON, parlant

à la Princesse. au Prince. à la Princesse.

Bon, Madame. Courage, Seigneur. II en tient.

au Prince. Ne vous défaites pas.

LA PRINCESSE.

Ne trouvez-vous pas que i'ay raison, & que ce Prince a tout le merite qu’on peut avoir.

MORON au Prince.

Remettez-vous, & songez à répondre.

[p. 69]

LA PRINCESSE.

D'où vient Prince, que vous ne dites mot, & semblez interdit?

EVRIALE.

Ie le suis à la vérité, & j’admire Madame, comme le Ciel a pû former deux ames aussi semblables en tout que les nostres : deux ames en qui l’on ait veu vne plus grande conformité de sentimens, qui ayent fait éclater dans le mesme temps vne resolution à braver les traits de l’Amour, & qui dans le même moment ayent fait paroistre vne égale facilité à perdre le nom d’insensibles : Car enfin, Madame, puis que vostre exemple m’authorise, je ne feindray point de vous dire, que l’Amour aujourd’huy s’est rendu maître de mon coeur, & qu’vne des Princesses, vos Cousines, l’aimable & belle Aglante, a renversé d’vn coup d’oeil tous les projets de ma fierté. Ie suis rauy, Madame que par cette égalité de défaite, nous n’ayons rien à nous reprocher l’vn & l’autre; & je ne doute point que cõme ie vous louë infiniment de vostre choix, vous n’approuviez aussi le mien. Il faut que ce miracle éclatte aux yeux de tout le monde, & nous ne devons point differer à nous rendre tous deux contens. Pour moy, Madame, je vous sollicite de vos suffrages, pour obtenir celle que ie souhaitte, & vous trouverez bon que j’aille de ce pas en faire la demande au Prince vôtre Pere.

MORON.

Ah digne ! ah brave coeur !

SCENE II.

LA PRINCESSE. MORON.

LA PRINCESSE.

AH ! Moron, ie n’en puis plus, & ce coup que ie n’attendois pas, triomphe absolument de toute ma fermeté.

[p. 70]

MORON.

II est vray que le coup est surprenant, & j’avois crû d’abord, que vostre stratagême avoit fait son effet.

LA PRINCESSE.

Ah ! ce m’est vn dépit à me desesperer, qu’vne autre ait l’avantage de soûmettre ce cœur que ie voulois soûmettre.

SCENE III.

LA PRINCESSE, AGLANTE, MORON.

LA PRINCESSE.

PRincesse, i'ay à vous prier d’vne chose qu’il faut absolument que vous m’accordiez : Le Prince d’Ithaque vous aime, & veut vous demander au Prince mon Pere.

AGLANTE.

Le Prince d’Ithaque, Madame ?

LA PRINCESSE.

Ouy il vient de m’en asseurer luy-même, & m’a demandé mon suffrage pour vous obtenir ; mais ie vous conjure de rejetter cette proposition, & de ne point prêter l’oreille à tout ce qu’il pourra vous dire.

AGLANTE.

Mais, Madame, s’il estoit vray que ce Prince m’aimast effectivement, pourquoy n’ayant aucun dessein de vous engager, ne voudriez-vous pas soufrir…

LA PRINCESSE.

Non, Aglante, ie vous le demande, faites-moy ce plaisir je vous prie, & trouvez bon que n’ayãt pû avoir l’avantage de le soûmettre, je luy dérobe la joye de vous obtenir.

AGLANTE.

Madame, il faut vous obéir ; mais je croirois que [p. 71]la conqueste d’vn tel cœur ne seroit pas vne victoire à dédaigner.

LA PRINCESSE.

Non, non, il n’aura pas la ioye de me braver entierement.

SCENE IV.

ARISTOMENE, MORON, LA PRINCESSE, AGLANTE.

ARISTOMENE.

MAdame, je viens à vos pieds rendre grace à l’Amour de mes heureux destins, & vous témoigner avec mes transports, le ressentiment où je suis, des bontez surprenantes dont vous daignez favoriser le plus soûmis de vos captifs.

LA PRINCESSE.

Comment?

ARISTOMENE.

Le prince d’Ithaque, Madame, vient de m’asserer tout à l’heure, que vostre coeur avoit eu la bonté de s’expliquer en ma faveur, sur ce celebre choix qu’attend toute la Grece.

LA PRINCESSE.

II vous a dit qu’il tenoit cela de ma bouche?

ARISTOMENE.

Ouy, Madame.

LA PRINCESSE.

C'est vn étourdy, & vous estes vn peu trop credule, Prince, d’adjoûter foy si promtement à ce qu’il vous a dit ; vne pareille nouvelle meriteroit bien, ce me semble qu’on en doutast vn peu de temps, & c’est tout ce que vous pourriez faire de la croire, si ie vous l’avois dite moy-mesme.

ARISTOMENE.

Madame, si i'ay esté trop prompt à me persuader…

[p. 72]

LA PRINCESSE.

De grace, Prince, brisons là ce discours, & si vous voulez m’obliger, souffrez que ie puisse joüir de deux moments de solitude.

SCENE V.

LA PRINCESSE, AGLANTE, MORON.

LA PRINCESSE.

AH ! qu’en cette avãture, le Ciel me traitte avec vne rigueur étrange ; au moins, Princesse, souvenez-vous de la priere que ie vous ay faite ?

AGLANTE.

Ie vous l’ay dit desia, Madame, il faut vous obeïr.

MORON.

Mais, Madame, s’il vous aymoit vous n’en voudriez point, & cependant vous ne voulez pas qu’il soit à vn autre : C'est faire iustement comme le chien du Iardinier.

LA PRINCESSE.

Non, je ne puis souffrir qu’il soit heureux avec vne autre, & si la chose estoit, ie croy que i'en mourrois de déplaisir.

MORON.

Ma foy, Madame, advoüons la dette, vous voudriez qu’il fust à vous, & dans toutes vos actions, il est aisé de voir que vous aimez vn peu ce ieune Prince.

LA PRINCESSE.

Moy, ie l’aime ? O Ciel ! ie l’aime ? avez-vous l’insolence de prononcer ces paroles, sortez de ma veuë, impudent, & ne vous presentez iamais devant moy.

MORON.

Madame…

[p. 73]

LA PRINCESSE.

Retirez-vous d’icy, vous dis-je, ou ie vous en feray retirer d’vne autre maniere.

MORON.

Ma foy son coeur en a sa provision, &…

Il rencontre vn regard de la Princesse qui l’oblige à se retirer.

SCENE VI.

LA PRINCESSE.

DE quelle emotion inconnuë sens-ie mon coeur atteint ! & quelle inquietude secrette est venu troubler tout d’vn coup la tranquillité de mon ame? Ne seroit-ce point aussi, ce qu’on vient de me dire, & sans en rien sçavoir, n’aymerois-ie point ce ieune Prince? Ah! si cela estoit, ie serois personne à me desesperer : mais il est impossible que cela soit, & ie voy bien que je ne puis pas l’aimer. Quoy ? ie serois capable de cette lâcheté. I'ay veu toute la terre à mes pieds, avec la plus grande insensibilité du monde. Les respects, les hommages & les soûmissions n’ont iamais pû toucher mon ame, & la fierté & le dédain en auroient triomphé. I'ay méprisé tous ceux qui m’ont aymée, & i'aimerois le seul qui me méprise ? Non, non, ie sçay bien que ie ne l’aime pas. II n’y a pas de raison à cela : Mais si ce n’est pas de l’amour que ce que ie sens maintenant, qu’est-ce donc que ce peut estre ? & d’où vient ce poison qui me court par toutes les veines, & ne me laisse point en repos avec moy-mesme? Sors de mon coeur, qui que tu sois, ennemy qui te caches, attaque moy visiblement, & deviens à mes yeux la plus affreuse beste de tous nos bois, afin que mon dard & mes flêches me puissent [p. 74] deffaire de toy. O vous ! admirables personnes, qui par la douceur de vos chants avez l’art d’adoucir les plus fascheuses inquietudes, approchez-vous d’icy de grace, & tâchez de charmer avec vostre Musique le chagrin où ie suis.

Fin du quatriéme Acte.

CINQVIESME INTERMEDE.

CLIMENE, PHILIS.

CLIMENE.

CHere Philis, dy-moy, que crois-tu de l’amour?

PHILIS.

Toy-mesme, qu’en crois-tu, ma compagne fidelle?

CLIMENE.

On m’a dit que sa flâme est pire qu’vn Vautour,
Et qu’on souffre en aimant vne peine cruelle.

PHILIS.

On m’a dit qu’il n’est point de passion plus belle,
Et que ne pas aimer c’est renoncer au iour.

CLIMENE.

A qui des deux donnerons nous victoire?

PHILIS.

Qu'en croirons-nous, ou le mal ou le bien?

CLIMENE & PHILIS, ensemble.

Aimons, c’est le vray moyen de sçavoir ce qu’on en doit croire.

PHILIS.

Cloris vante par tout l’amour & ses ardeurs.

CLIMENE.

Amarante pour luy verse en tous lieux des larmes.

PHILIS. 

Si de tant de tourmens il accable les coeurs,
[p. 75]
D'où vient qu’on aime à luy rendre les armes?

CLIMENE.

Si sa flâme, Philis, est si pleine de charmes,
Pourquoy nous deffend-t’on d’ẽ goûter les douceurs?

PHILIS.

A qui des deux donnerons nous victoire?

CLIMENE.

Qu'en croirons-nous, ou le mal ou le bien ?

Toutes deux ensemble.

Aimons, c’est le moyen de sçavoir ce qu’on en doit croire.

La Princesse les interrompt en cét endroit, & leur dit :

Achevez seules si vous voulez, ie ne sçaurois demeurer en repos, & quelque douceur qu’ayent vos chants, ils ne font que redoubler mon inquietude.

ACTE V.

ARGVMENT.

IL se passoit dans le coeur du Prince de Messene des choses bien differentes : la ioye que luy avoit donné le Prince d’Ithaque, en luy apprenãt malicieusement qu’il estoit aimé de la Princesse, l’avoit obligé de l’aller trouver avec vne inconsideration que rien qu’vne extrême amour ne pouvoit excuser; mais il en avoit esté receu d’vne maniere bien differente à ce qu’il esperoit. Elle luy demanda qui luy avoit appris cette nouvelle, et quand elle eut sceu que sçavoit esté le Prince d’Ithaque, cette connoissance augmenta cruellement son mal, et luy fit dire à demy desesperée, c’est vn estourdy; et ce mot étourdit si fort le Prince de Messene, qu’il sortit tout confus sans luy pouvoir répondre.

La Princesse d’vn autre [p. 76] costé alla trouver le Roy son pere, qui venoit de paroistre avec le Prince d’Ithaque, et qui luy témoignoit non-seulement la joye qu’il auroit euë de le voir entrer dans son alliance, mesme l’opinion qu’il commençoit d’avoir que sa fille ne le haïssoit pas : Elle ne fut pas plûtost aupres de luy, que se iettant à ses pieds, elle luy demanda pour la plus grande faveur qu’elle en pût iamais recevoir, que le Prince d’Ithaque n’épousast iamais la Princesse. Ce qui luy promit solemnellement ; mais il luy dit, que si elle ne vouloit point qu’il fust à vn autre, il falloit qu’elle le prist pour elle : elle luy répondit, il ne le voudroit pas; mais d’vne maniere si passionnée, qu’il estoit aisé de connoistre les sentimens de son coeur. Alors le Prince quittant toute sorte de feinte, luy confessa son amour, et le stratagéme dont il s’estoit servi pour venir au point où il se voyoit alors par la connoissance de son humeur : La Princesse luy donnant la main, le Roy se tourna vers les deux Princes de Messene et de Pyle, et leur demanda si ses deux parentes, dont le merite n’estoit pas moindre que la qualité, ne seroient point capables de les consoler de leur disgrace ; ils luy répondirent que l’honneur de son alliance faisant tous leurs souhaits, ils ne pouvoient esperer vne plus heureuse fortune. Alors la ioye fut si grande dans le Palais, qu’elle se répandit par tous les environs.

SCENE PREMIERE.

LE PRINCE, EVRIALE, MORON, AGLANTE, CINTHIE.

MORON.

OVy, Seigneur, ce n’est point raillerie, i'en suis ce qu’on appelle disgracié. II m’a falu tirer mes [p. 77] chausses au plus viste, & iamais vous n’avez veu vn en emportement plus brusque que le sien.

LE PRINCE.

Ah ! Prince, que ie devray de graces à ce stratagême amoureux, s’il faut qu’il ait trouvé le secret de toucher son coeur.

EVRIALE.

Quelque chose, Seigneur, que l’on vienne de vous en dire, ie n’ose encore, pour moy, me flatter de ce doux espoir : mais enfin si ce n’est pas à moy trop de temerité, que d’oser aspirer à l’honneur de vostre alliance, si ma personne, & mes Estats...

LE PRINCE.

Prince, n’entrons point dans ces complimens, ie trouve en vous dequoy remplir tous les souhaits d’vn Père, & si vous avez le coeur de ma fille, il ne vous manque rien.

SCENE II.

LA PRINCESSE, LE PRINCE, EVRIALE, AGLANTE, CINTHIE, MORON.

LA PRINCESSE.

O Ciel ! que vois-je icy ?

LE PRINCE.

Ouy, l’honneur de vostre alliance m’est d’vn prix tres-considerable, & ie souscris aisement de tous mes suffrages à la demande que vous me faites.

LA PRINCESSE.

Seigneur, ie me iette à vos pieds pour vous demander vne grace. Vous m’avez tousiours témoigné vne tendresse extrême, & ie croy vous devoir bien plus par les bontez que vous m’avez fait voir, que par [p. 78] le iour que vous m’avez donné : Mais si iamais pour moy vous avez eu de l’amitié, ie vous en demande aujourd’huy la plus sensible preuve que vous me puissiez accorder; c’est de n’écouter point, Seigneur, la demande de ce Prince, & de ne pas souffrir que la Princesse Aglante soit vnie auec luy.

LE PRINCE.

Et par quelle raison, ma fille, voudrois-tu t’opposer à cette vnion ?

LA PRINCESSE.

Par la raison, que je haïs ce Prince, & que ie veux, si je puis traverser ses desseins.

LE PRINCE.

Tu le haïs, ma Fille?

LA PRINCESSE.

Oüy, & de tout mon coeur, ie vous l’avouë.

LE PRINCE.

Et que t’a-t’il fait?

LA PRINCESSE.

Il m’a méprisée.

LE PRINCE.

Et comment?

LA PRINCESSE.

II ne m’a pas trouvée assez bien faite pour m’adresser ses voeux.

LE PRINCE.

Et qu’elle offense te fait cela ? Tu ne veux accepter personne ?

LA PRINCESSE.

N'importe, il me devoit aymer comme les autres, & me laisser, au moins, la gloire de le refuser : Sa declaration me fait vn affront, & ce m’est vn honte sensible, qu’à mes yeux, & au milieu de vostre Cour il a recherché vne autre que moy.

LE PRINCE.

Mais quel interest dois-tu prendre à luy?

[p. 79]

LA PRINCESSE.

I'en prens, Seigneur, à me venger de son mépris, & comme ie sçay bien qu’il aime Aglante avec beaucoup d’ardeur, je veux empescher, s’il vous plaît, qu’il ne soit heureux avec elle.

LE PRINCE.

Cela te tient donc bien au coeur?

LA PRINCESSE.

Ouy, Seigneur, sans doute, & s’il obtient ce qu’il demande, vous me verrez expirer à vos yeux.

LE PRINCE.

Va, va, ma Fille, advouë franchement la chose. Le merite de ce Prince t’a fait ouvrir les yeux, & tu l’aymes, enfin, quoy que tu puisses dire.

LA PRINCESSE.

Moy, Seigneur ?

LE PRINCE.

Ouy, tu l’aymes ?

LA PRINCESSE.

Ie l’ayme, dites-vous ? & vous m’imputez cette lâcheté. O Ciel ! quelle est mon infortune ! puis-je bien sans mourir entendre ces paroles, & faut-il que je sois si mal-heureuse qu’on me soupçonne de l’aymer. Ah ! si c’estoit vn autre que vous Seigneur, qui me tint ce discours, je ne sçay pas ce que je ne ferois point.

LE PRINCE.

Et bien ? ouy, tu ne l’aymes pas. Tu le haïs, j’y consens, & je veux bien pour te contenter qu’il n’épouse pas la Princesse Aglante.

LA PRINCESSE.

Ah ! Seigneur, vous me donnez la vie.

LE PRINCE.

Mais enfin d’empescher qu’il ne puisse jamais estre à elle, il faut que tu le prennes pour toy.

[p. 80]

LA PRINCESSE.

Vous vous mocquez, Seigneur, & ce n’est pas ce qu’il demande.

EVRIALE.

Pardonnez-moy, Madame, ie suis assez temeraire pour cela, & ie prens à témoin le Prince vostre Pere, si ce n’est pas vous que i'ay demandée. C'est trop vous tenir dans l’erreur, il faut lever le masque, & deussiez-vous vous en prévaloir contre moy, découvrir à vos yeux les veritables sentimens de mon coeur. Ie n’ay jamais aymé que vous, & ie n’aimerai iamais que vous. C’est vous, Madame, qui m’avez enlevé cette qualité d’insẽsible que j’avois toûjours affectée, & tout ce que j’ay pû vous dire, n’a esté qu’vne feinte, qu’vn mouvement secret m’a inspirée, & que ie n’ay suivie qu’avec toutes les violences imaginables. Il falloit qu’elle cessât bien tost, sans doute, & je m’étõne seulement qu’elle ait pû durer la moitié d’vn jour : car enfin ie mourois, ie brûlois dans l’ame quand ie vous déguisois mes sentimẽs, & jamais cœur n’a souffert vne cõtrainte égale à la miẽne. Que si cette feinte, Madame, a quelque chose qui vous offense, ie suis tout prest de mourir pour vous en vanger : Vous n’avez qu’à parler, & ma main sur le champ fera gloire d’exécuter l’Arrest que vous prononcerez.

LA PRINCESSE.

Non, non, Prince, ie ne vous sçay pas mauvais gré de m’avoir abusée, & tout ce que vous m’avez dit, je l’aime bien mieux vne feinte, que non pas vne vérité.

LE PRINCE.

Si bien donc, ma Fille, que tu veux bien accepter ce Prince pour Espoux?

LA PRINCESSE.

Seigneur, je ne sçay pas encore ce que ie veux : dõnez-moy le temps d’y songer, ie vous prie, & [p. 81]m’épargnez vn peu la confusion où je suis.

LE PRINCE.

Vous iugez, Prince, ce que cela veut dire, & vous vous pouvez fonder là dessus.

EVRIALE.

Ie l’attendray tant qu’il vous plairra, Madame, cét Arrest de ma destinée, & s’il me condamne à la mort, je le suivray sans murmure.

LE PRINCE.

Vien, Moron, c’est icy vn iour de paix, & ie te remets en grace avec la Princesse.

MORON.

Seigneur, ie seray meilleur Courtisan vne autre fois, & ie me garderay bien de dire ce que ie pense.

SCENE III.

ARISTOMENE, THEOCLES, LE PRINCE, LA PRINCESSE, AGLANTE, CINTHIE, MORON.

LE PRINCE.

IE crains bien, Princes, que le choix de ma Fille ne soit pas en vostre faveur : mais voila deux Princesses qui peuvent bien vous consoler de ce petit malheur.

ARISTOMENE.

Seigneur, nous sçavons prendre nostre party, & si ces aymables Princesses n’ont point trop de mépris pour les coeurs qu’on a rebutez ; nous pouvons revenir par elles à l’honneur de vostre alliance.

[p. 82]

SCENE IV.

PHILIS, ARISTOMENE, THEOCLE, LE PRINCE, LA PRINCESSE, AGLANTE, CINTHIE. MORON.

PHILIS.

SEigneur, la Deesse Venus vient d’annoncer par tout le changement du coeur de la Princesse : Tous les Pasteurs & toutes les Bergeres en témoignent leur joye par des danses & des chansons, & si ce n’est point vn spectacle que vous méprisiez, vous allez voir l’allegresse publique se répandre jusques icy.

Fin du cinquiéme Acte.

SIXIESME INTERMEDE.

COEVR DE PASTEVRS, & de Bergeres qui dansent.

Quatre Bergers et deux Bergeres Heroïques, representez les premiers par les Sieurs le Gros, Estival, Don et Blondel; et les deux Bergeres par Mademoiselle de la Barre et Mademoiselle Hilaire, se prenans par la main, chanterent cette Chanson à danser à laquelle les autres répondirent.

CHANSON.

Vsez mieux, ô beautez fieres,
Du pouvoir de tout charmer;
Aymez, aymables Bergeres,
[p. 83]Nos coeurs sont faits pour aymer :
Quelque fort qu’on s’en deffende,
Il y faut venir vn jour :
Il n’est rien qui ne se rende
Aux doux charmes de l’Amour.
Songez de bonne heure à suivre
Le plaisir de s’enflamer,
Vn coeur ne commence à vivre
Que du jour qu’il sçait aymer :
Quelque fort qu’on s’en deffende,
Il y faut venir vn jour :
II n’est rien qui ne se rende
Aux doux charmes de l’Amour.

Pendant que ces aymables personnes dansoient, il sortit de dessous le Theatre la machine d’vn grand arbre chargé de seize Faunes, dont les huict joüerent de la Flûte, et les autres du Violon, avec vn concert le plus agreable du monde. Trente Violons leur répõdoient de l’Orchestre, avec six autres concertans de Clavessins et de Thuorbes, qui estoient les Sieurs d’Anglebert, Richard, Itier, la Barre le cadet, Tissin, et le Moine.

Et quatre Bergers et quatre Bergeres vinrent danser vne fort belle entrée, à laquelle les Faunes décendans de l’arbre se meslerent de temps en temps, et toute cette Scene fut si grande, si remplie, et si agreable, qu’il ne s’estoit encore rien veu de plus beau en Ballet.

Aussi fit-elle vne advantageuse conclusion aux divertissemens de ce jour, que toute la Cour ne loüa pas moins que celuy qui l’avoit precedé, se retirant avec vne satisfaction qui luy fit bien esperer de la suite d’vne Feste si complete.

Les Bergers étoient, les Sieurs Chicanneau, du Pron, Noblet, et la Pierre.

Et les Bergeres, les Sieurs Baltazard, Magny, Arnald, et Bonard.

[p. 84]

TROISIESME IOVRNÉE DES PLAISIRS DE L'ISLE ENCHANTÉE.

PLus on s’avançoit vers le grand Rondeau qui representoit le Lac sur lequel estoit autrefois bâty le Palais d’Alcine : plus on s’approchoit de la fin des divertissemens de l’Isle Enchantée comme s’il n’eût pas esté juste que tant de braves Chevaliers demeurassent plus long-temps dans vne oisiveté qui eust fait tort à leur gloire.

On feignoit donc suivant toûjours le premier dessein, que le Ciel ayant resolu de donner la liberté à ces Guerriers : Alcine en eut des pressentimens qui la remplirent de terreur & d’inquietudes : Elle voulut apporter tous les remedes possibles pour prévenir le malheur, & fortifier en toutes manieres vn lieu qui pût renfermer tout son repos & sa joye.

On fit paroistre sur ce Rondeau, dont l’étenduë & la forme sont extraordinaires, vn rocher situé au milieu d’vne Isle couverte de divers animaux, comme s’ils eussent voulu en deffendre l’entrée.

Deux autres Islesplus longues, mais d’vne moindre largeur, paroissoient aux deux costez de la premiere, & toutes trois aussi bien que les bords du Rondeau, estoient si fort éclairées, que ces lumieres faisoient [p. 85] naistre vn nouveau iour dans l’obscurité de la nuict.

Leurs Majestez estant arrivées, n’eurent pas plûtost pris leur place, que l’vne des deux Isles qui paroissoient aux costez de la premiere, fut toute couverte de Violons fort bien vestus. L'autre qui estoit opposée, le fut au mesme temps de Trompettes & de Tymbaliers, dont les habits n’estoient pas moins riches.

Mais ce qui surprit davantage, fut de voir sortir Alcine de derriere le rocher, portée par vn Monstre Marin d’vne grandeur prodigieuse.

Deux des Nymphes de sa suitte, sous les noms de Celie & de Dircé, partirent au mesme temps à sa suite, & se mettant à ses costez sur de grãdes Baleines, elles, s’approcherent du bord du Rondeau, & Alcine commença des Vers ausquels ses compagnes répondirent, & qui furent à la loüange de la Reine Mere du Roy.

ALCINE. CELIE. DIRCE.

ALCINE. 

VOus à qui ie fis part de ma felicité,
Pleurez avecque moy dans cette extremité.

CELIE.

Quel est donc le suiet des soudaines alarmes.
Qui de vos yeux charmans font couler tant de larmes?

ALCINE.

Dans les sombres horreurs d’vn songe menassant,
Si ie pense en parler, ce n’est qu’en fremissant.
Vn spectre m’advertit, d’vne voix éperduë,
Que pour moy des Enfers la force est suspenduë ;
Qu'vn celeste pouvoir arreste leur secours,
Et que ce iour sera le dernier de mes iours.
Ce que versa de triste au point de ma naissance
Des Astres ennemis la maligne influence,
Et tout ce que mon Art m’a predit de malheurs
En ce songe fus peint de si vives couleurs,
Qu'à mes yeux esveillez sans cesse il represente
[p. 86]Le pouvoir de Melisse, et l’heur de Bradamante.
I’avois préveû ces maux, mais les charmans plaisirs
Qui sembloient en ces lieux prevenir nos desirs ;
Nos superbes palais, nos iardins, nos campagnes,
L'agreable entretien de nos cheres compagnes ;
Nos ieux et nos chansons, les concerts des oiseaux,
Le parfum des Zephirs, le murmure des eaux ;
De nos tendres amours les douces avantures,
M'avoient fait oublier ces funestes augures 
Quand le songe cruel dont ie me sens troubler
Avec tant de fureur les vint renouveller.
Chaque instant ie croy voir mes forces terrassées.
Mes gardes esgorgez, et mes prisons forcées ;
Ie croy voir mille amans par mon art tranformez,
D'vne esgale fureur à ma perte animez,
Quitter en mesme temps leurs troncs et leurs feuïllages,
Dans le iuste dessein de vanger leurs outrages,
Et ie croy voir, enfin, mon aymable Roger
De mes fers mesprisez, prest à se dégager.

CELIE.

La crainte en vostre esprit s’est acquis trop d’empire,
Vous regnez seule icy, pour vous seule on soûpire;
Rien n’interrompt le cours de vos contentemens
Que les accens plaintifs de vos tristes amans:
Logistile, et ses gens chassez de nos campagnes
Tremblent encor de peur, cachez dans leurs montagnes,
Et le nom de Melisse, en ces lieux inconnu,
Par vos augures seuls iusqu’à nous est venu.

DIRCE.

Ah ! ne nous flatons point, ce fantosme effroyable
M’a tenu cette nuict vn discours tout semblable.

ALCINE.

Helas ! de nos mal heurs qui peut encor douter ?

CELIE.

I'y vois vn grand remede, et facile à tenter ;
I'y vois vn grand remede, et facile à tenter ;
[p. 87]Vne Reine paroist, dont le secours propice
Nous sçaura garantir des efforts de Melisse ;
Par tout de cette Reyne on vante la bonté,
Et l’on dit que son coeur, de qui la fermeté
Des flots les plus mutins méprisa l’insolence,
Contre les voeux des siens est toûjours sans deffense.

ALCINE.

Il est vray, ie la vois, en ce pressant danger
A nous donner secours taschons de l’engager ;
Disons-luy qu’en tous lieux la voix publique estale
Les charmantes beautez de son ame Royale ;
Disons que sa vertu plus haute que son rang
Sçait relever l’éclat de son auguste sang,
Et que de nostre sexe elle a porté la gloire
Si loin que l’advenir aura peine à le croire;
Que du bon-heur public son grand coeur amoureux,
Fit toûjours des perils vn mépris genereux;
Que de ses propres maux, son ame à peine atteinte,
Pour les maux de l’Estat garda toute sa crainte :
Disons que ses bien-faits versez à pleines mains
Luy gaignent le respect et l’amour des humains,
Et qu’au moindre danger dont elle est menacée
Toute la terre en deuil se montre interessée :
Disons qu’au plus haut point de l’absolu pouvoir,
Sans faste et sans orgueil sa grandeur s’est fait voir;
Qu'aux temps les plus fascheux, sa sagesse constante ;
Sans crainte a soustenu l’authorité penchante;
Et dans le calme heureux, par ses travaux acquis,
Sans regret la remit dans les mains de son Fils.
Disons par quels respects par quelle complaisance
De ce Fils glorieux, l’amour la recompense;
Vantons les longs travaux, vantons les iustes Loix
De ce Fils reconnu pour le plus grand des Rois;
Et comment cette Mere, heureusement seconde
Ne donnant que deux fois a donné tant au monde.
[p. 88]Enfin, faisons parler nos soûpirs et nos pleurs,
Pour la rendre sensible à nos vives douleurs,
Et nous pourrons trouver au fort de nostre peine
Vn refuge paisible aux pieds de cette Reyne.

DIRCE.

Ie sçay bien que son coeur, noblement génereux,
Escoute avec plaisir la voix des mal-heureux :
Mais on ne voit iamais éclatter sa puissance,
Qu’à repousser le tort qu’on fait à l’innocence ;
Ie sçay qu’elle peut tout, mais je n’ose penser
Que iusqu’à nous deffendre on la vit s’abaisser.
De nos douces erreurs elle peut estre instruite
Et rien n’est plus contraire à sa rare conduite ;
Son zele si connu pour le culte des Dieux
Doit rendre à sa vertu nos respects odieux,
Et loin qu’à son abord mon effroy diminuë,
Malgré moy ie le sens qui redouble à sa veuë.

ALCINE.

Ah ! ma propre frayeur suffit pour m’affliger !
Loin d’aigrir mon ennuy, cherche à le soulager,
Et tasche de fournir à mon ame oppressée
Dequoy parer aux maux dont elle est menacée.
Redoublons cependant les Gardes du Palau,
Et s’il n’est point pour nous d’azile desormais,
Dans nostre desespoir cherchons nostre deffense,
Et ne nous rendons pas au moins sans resistance.

Alcine. Mademoiselle du Parc.

Celie. Mademoiselle de Brie.

Dircé. Mademoiselle Moliere.

LOrsqu’ils furent achevé, & qu’Alcine se fut retirée, pour aller redoubler les Gardes du Palais, le concert des Violons se fit entendre; pendant que le Frontispice du Palais venant à s’ouvrir avec vn merveilleux artifice, & des tours à s’éleuer à veûë d’œil. Quatre Geants d’vne grandeur démesurée, vinrent [p. 89] à paroistre avec quatre Nains ; qui par l’opposition de leur petite taille, faisoient paroistre celle des Geants encore plus excessive. Ces Colosses estoient commis à la garde du Palais, & ce fut par eux que commença la premiere Entrée du Ballet.

BALLET DV PALAIS D'ALCINE.

PREMIERE ENTREE.

QVatre Geants & quatre Nains.

Geants.Les sieurs Manceau, Vagnard, Pesan, & Joubert.

Nains. Les deux petits Des-Airs, le petit Vagnard, & le petit Tutin.

II. ENTREE.

HVIct Maures chargez par Alcine de la garde du dedans, en font vne exacte visite, avec chacun deux flambeaux.

Maures. Messieurs d’Heureux, Beauchamp, Molier, la Marre, les sieurs le Chantre, de Gan, Du Pron, & Mercier.

III. ENTREE.

CEpendant vn dépit amoureux oblige six des Chevaliers qu’Alcine retenoit aupres d’elle, à tenter la sortie de ce Palais : mais la fortune ne [p. 90]secondant pas les efforts qu’ils font dans leur desespoir, ils sont vaincus, apres vn grand combat par autant de Monstres qui les attaquent.

Six Chevaliers, et six Monstres.

Chevaliers. Monsieur de Souville, les Sieurs Raynald, Des-Airs l’aisné, Des-Airs le second, de Lorge, & Balthasard.

Monstres. Les Sieurs Chicanneau, Noblet, Arnald, Desbrosses, Desonets, & la Pierre.

IV. ENTREE.

ALcine allarmée de cét accident, invoque de nouveau tous ses Esprits, & leur demande secours : il s’en presente deux à elle, qui font des sauts avec vne force, & vne agilité merveilleuse.

Demons Agiles. Les sieurs S. André & Magny.

V. ENTREE.

D'Autres Demons viennent encore, & semblent asseurer la Magicienne qu’ils n’oublieront rien pour son repos.

Autres Demons sauteurs. Les sieurs Turin, La Brodiere, Pesan, & Bureau.

VI. ET DERNIERE ENTREE.

MAis à peine commence-t’elle à se rasseurer, qu’elle voit paroistre aupres de Roger, & de quelques Chevaliers de sa suite, la sage Melisse, sous la forme d’Athlas ; Elle court aussi-tost pour empescher l’effet de son intention; mais elle arrive trop tard : Melisse a desia mis au doigt de ce brave Chevalier la fameuse bague qui détruit les enchantemens. Lors vn coup de tonnerre, suivy de plusieurs éclairs, marque la détructiõ du Palais, qui est aussi-tost reduit [p. 91] en cendres par vn feu d’artifice, qui met fin à cette advanture, & aux divertissemens de l’Isle Enchantée.

Alcine. Mademoiselle du Parc. Melisse. M. de Lorge. Roger. M. Beauchamp.

Chevaliers. Messieurs d’Heureux, Raynal, du Pron, & Desbrosses.

Ecuyers. Messieurs, la Marre, le Chantre, de Gan, & Mercier. Fin du Ballet.

IL sembloit que le Ciel la Terre & l’Eau fussent tous en feu, & que la destruction du superbe Palais d’Alcine, comme la liberté des Chevaliers qu’elle y retenoit en prison, ne se pût accomplir que par des prodiges & des miracles : La hauteur & le nombre des fusées volantes, celles qui rouloient sur le riuage, & celles qui resortoient de l’eau apres s’y estre enfoncées faisoiẽt vn spectacle si grãd & si magnifique, que rien ne pouvoit mieux terminer les Enchantemens, qu’vn si beau Feu d’artifice ; lequel ayant enfin cessé apres vn bruit & vne lõgueur extraordinaire, les coups de boëtes qui l’avoient commencé redoublerent encore.

Alors toute la Cour se retirant, confessa qu’il ne se pouvoit rien voir de plus achevé que ces trois Festes : Et c’est assez advoüer qu’il ne s’y pouvoit rien ajoûter, que de dire que les trois Iournées ayans eu chacune ses partisans, cõme chacũ auoit eu ses beautez particulieres, on ne convint pas du prix qu’elles devoient emporter entre elles ; bien qu’on demeurast d’accord qu’elles pouvoient justement le disputer à toutes celles qu’on avoit veuës jusques alors, & les surpasser peut estre.

Mais quoy que les Fêtes comprises dans le sujet des Plaisirs de l’Isle Enchantée fussent terminées, tous les divertissemens de Versailles ne l’estoient pas; & la magnificẽce & la galanterie du Roy, en avoit encore reservé [p. 92]pour les autres, qui n’estoient pas moins agreables.

Le Samedy dixiéme, Sa Majesté voulut courre les testes ; c’est vn exercice que peu de gens ignorent, & dont l’vsage est venu d’Allemagne, fort bien inventé, pour faire voir l’adresse d’vn Cavalier ; tant à bien mener son cheval dãs les passades de guerre, qu’à bien se servir d’vne lance, d’vn dard, & d’vne épée. Si quelqu’vn ne les a point veu courre, il en trouvera icy la description, estant moins communes que la bague, & seulement icy depuis peu d’années, & ceux qui en ont eu le plaisir, ne s’ennuyent pas pourtant d’vne narration si peu étenduë.

Les Chevaliers entrent l’vn apres l’autre dans la Lice, la lance à la main, & vn dard sous la cuisse droite; et apres que l’vn d’eux a couru & emporté vne Teste de gros carton peinte, & de la forme de celle d’vn Turc, il donne sa lance à vn Page, & faisant la demy-volte, il revient à toute bride à la seconde Teste, qui a la couleur & la forme d’vn More, l’emporte avec le dard qui luy jette en passant; puis reprenant vne javeline, peu differẽte de la forme du dard, dans vne troisiéme passade il la darde dans vn bouclier où est peinte vne teste de Meduse; & achevant sa demy-volte il tire l’épée, dont il emporte, en passant toûjours à toute bride vne teste élevée à vn demy pied de terre; puis faisant place à vn autre, celuy qui en ses courses en a emporté le plus, gaigne le prix.

Toute la Cour s’estant placée sur vne balustrade de fer doré, qui regnoit autour de l’agreable maison de Versailles, & qui regarde sur le fossé, dans lequel on auoit dressé la Lice, avec des Barrieres.

Le Roy s’y rendit, suivy des mêmes Chevaliers qui avoient couru la Bague : Les Ducs de S.Aignan & de Noailles y continuans leurs premieres fonctions, l’vn de Maréchal de Camp, & l’autre de Iuge des Courses :

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Il s’en fit plusieurs fort belles & heureuses; mais l’addresse du Roy luy fit emporter hautement, en suitte du prix de la Course des Dames, encore celuy que donnoit la Reyne ; c’estoit vne rose de Diamans de grand prix, que le Roy, apres l’avoir gagnée, redonna liberalement à courre aux autres Chevaliers, & que le Marquis de Coaslin disputa contre le Marquis de Soyecourt, & la gaigna.

Le Dimanche au lever du Roy, quasi toute la conversation tourna sur les belles Courses du jour precedent, & donna lieu à vn grand deffy entre le Duc de S. Aignan, qui n’avoit point encore couru, & le Marquis de Soyecourt, qui fut remise au lendemain, pource que le Maréchal Duc de Grãmont, qui parioit pour ce Marquis, estoit obligé de partir pour Paris, d’où il ne devoit revenir que le jour d’apres.

Le Roy mena toute la Cour cette apresdinée à sa Mesnagerie, dont on admira les beautez particulieres, & le nombre presque incroyable d’oyseaux de toutes sortes ; parmy lesquels il y en a beaucoup de fort rares. II seroit inutile de parler de la collation qui suivit ce divertissement, puis que huict jours durant chaque repas pouvoit passer pour un Festin des plus grands qu’on puisse faire.

Et le soir Sa Majesté fit representer sur l’vn de ces Theatres doubles de son Sallon, que son Esprit vniversel a luy-même inventez, la Comedie des Fâcheux faite par le Sr. de Moliere, mêlée d’entrées de Ballet, & fort ingenieuse.

Le bruit du deffy qui se devoit courir le Lũdy douziéme, fit faire vne infinité de gageures d’assez grande valeur ; quoy que celle des deux Chevaliers ne fût que de cent pistolles : Et comme le Duc par vne heureuse audace donnoit vne Teste à ce Marquis fort adroit beaucoup tenoient pour ce dernier ; qui s’êtant [p. 94] rendu vn peu plus tard chez le Roy, y trouva vn cartel pour le presser, lequel pour n’estre qu’en prose, on n’a point mis en ce discours.

Le Duc de S. Aignan avoit, aussi fait voir à quelques-vns de ses amis, comme vn heureux présage de sa victoire, ces quatre Vers.

AVX DAMES.

Belles vous direz en ce jour
Si vos sentimens sont les nostres,
Qu'estre vainqueur du grand Soyecourt
C'est estre vainqueur de dix autres.

Faisant toûjours allusion à son nom de Guidon le Sauvage, que l’advanture de l’Isle perilleuse rendit victorieux de dix Chevaliers.

Aussi tost que le Roy eust dîné, il conduisit les Reynes, Monsieur, Madame, & toutes les Dames dans vn lieu où l’on devoit tirer vne Loterie, afin que rien ne manquast à la galãterie de ces Festes ; c’estoit des pierreries, des ameublemens, de l’argenterie, & autres choses semblables : Et quoy que le sort ait accoustumé de decider de ces presens, il s’accorda sans doute avec le desir de S M quand il fit tomber le gros lot entre les mains de la Reyne; chacun sortant de ce lieu là fort content, pour aller voir les Courses qui s’alloient commencer.

Enfin Guidon & Olivier parurent sur les rangs, à cinq heures du soir, fort proprement vestus & bien montez.

Le Roy avec toute la Cour les honora de sa presence; & Sa Majesté leut mesme les Articles des Courses, afin qu’il n’y eust aucune contestation entr’eux. Le succez en fut heureux au Duc de S. Aignan, qui gaigna le deffi.

Le soirSa Majesté fit ioüer vne Comedie nommée Tartuffe, que le Sieur de Moliere avoit fait contre [p. 95] les Hypocrites ; mais quoy qu’elle eust esté trouvée fort divertissante, le Roy connut tant de conformité entre ceux qu’vne veritable devotion met dans le chemin du Ciel, & ceux qu’vne vaine ostentation des bonnes oeuvres n’empesche pas d’en commettre de mauvaises ; que son extrême delicatesse pour les choses de la Religion ne pust souffrir cette ressemblance du vice avec la vertu, qui pouvoient estre prise l’vne pour l’autre : Et quoy qu’on ne doutast point des bonnes intentions de l’Autheur, il la deffendit pourtant en public, & se priva soy-mesme de ce plaisir, pour n’en pas laisser abuser à d’autres, moins capables d’en faire vne iuste discernement.

Le Mardy treiziéme, le Roy voulut encore courre les Testes, comme à vn jeu ordinaire que devoit gaigner celuy qui feroit le plus : Sa Majesté eut encore celuy de la Course des Dames, le Duc de S. Aignan celuy du jeu ; & ayant eu l’honneur d’entrer pour le second à la dispute avec sa Majesté : L’adresse incomparable du Roy luy fit encore avoir ce prix ; & ce ne fut pas sans vn estonnement, duquel on ne pouvoit se deffendre, qu’on en vit gaigner quatre à Sa Majesté en deux fois qu’elle avoit couru les Testes.

On joüa le méme soir la Comedie du Mariage Forcé, encore dela façon du même Sr. de Moliere, mélée d’entrées de Balet, & de Recits. Puis le Roy prit le chemin de Fontaine-bleau le Mercredy quatorziéme ; toute la Cour se trouvant si satisfaite de ce qu’elle avoit veu, que chacun crût qu’on ne pouvoit se passer de le mettre par écrit, pour en donner la cõnoissance à ceux qui n’avoiẽt pû voir des Festes si diversifiées & si agreables ; où l’on a pû admirer tout à la fois le projet avec le succez, la liberalité auec la politesse, le grãd nombre auec l’ordre, & la satisfaction de tous. Où [p. 96]les soins infatigables de Mr. Colbert s’employerent en tous ces divertissemens, malgré ses importantes affaires, où le Duc de S. Aignan, joignit l’action à l’invention du dessein ; où les beaux vers du President de Perigny à la loüange des Reynes, furent si justemẽt pẽsez, si agreablemẽt tournez, & recitez avec tant d’Art ; où ceux que Mr. de Bẽsserade fit pour les Chevaliers, eurent vne approbation generable, où la vigilance exacte de Mr. Bontemps, & l’application de Mr de Launay, ne laisserent manquer d’aucune des choses necessaires : Enfin où chacun a marqué si advantageusement son dessein de plaire au Roy, dans le temps où sa Majesté ne pensoit elle-mesme qu’à plaire ; & où ce qu’on a veu ne sçauroit iamais se perdre dans la memoire des spectateurs, quand on n’auroit pas pris le soin de conserver par écrit le souvenir de toutes ces merveilles.

FIN.