Sommaire
- LES PLAISIRS DE L'ISLE ENCHANTÉE. COVRSE DE BAGVE, Collation ornée de Machines, Comedie meslée de Danse et de Musique, Ballet du Palais d'Alcine, Feu d'Artifice : Et Autres Festes galantes & magnifiques ; faites par le Roy à Versailles,le 7. May 1664 . Et continuées plusieurs autres Iours.
- [7 mai 1664]
- SECONDE IOVRNÉE DES PLAISIRS DE L’ISLE ENCHANTÉE.
- TROISIESME IOVRNÉE DES PLAISIRS DE L’ISLE ENCHANTÉE.
- [10 mai 1664]
- [11 mai 1664]
- [12 mai 1664]
- [13 mai 1664]
Personnes
Personnages
Lieux
Lieux | nb | |
---|---|---|
◀ | Versailles | 6 |
◀ | Versailles, Bassin des Cygnes/Lac d'Alcine | 2 |
◀ | Paris | 1 |
◀ | Versailles, Ménagerie | 1 |
◀ | Fontainebleau | 1 |
Techniques
Techniques | nb | |
---|---|---|
◀ | Costumes | 21 |
◀ | [construction] | 18 |
◀ | Animaux et créatures | 15 |
◀ | [lumieres] | 6 |
◀ | [decor] | 4 |
◀ | [machine_vol] | 3 |
◀ | [machine_temps] | 2 |
◀ | [machine_eau] | 2 |
◀ | Bruitages | 2 |
◀ | [feux-artifice] | 2 |
◀ | [trappe] | 1 |
◀ | [machine_musique] | 1 |
◀ | [musique] | 1 |
Les Plaisirs de l'île enchantée : Course de bague, collation ornée de machines, comédie mêlée de danse et de musique, ballet du palais d'Alcine, feu d'artifice, et autres fêtes galantes et magnifiques, faites par le roi à Versailles, le 7 mai 1664
AVEC PRIVILEGE DE SA MAIESTÉ.
LES PLAISIRS DE L'ISLE ENCHANTÉE. COVRSE DE BAGVE, Collation ornée de Machines, Comedie meslée de Danse et de Musique, Ballet du Palais d'Alcine, Feu d'Artifice : Et Autres Festes galantes & magnifiques ; faites par le Roy à Versailles,le 7. May 1664. Et continuées plusieurs autres Iours.
LE ROY voulant donner aux Reynes, & à toute sa Cour le plaisir de quelques Festes peu communes, dans vn lieu orné de tous les agrements qui peuuent faire admirer vne Maison de Campagne, choisit Versailles, à quatre lieuës de Paris. C’est vn Chasteau qu’on peut nommer vn Palais Enchanté, tant les adjustements de l’art ont bien secondé les soins que la Nature a pris pour le rendre parfait: Il charme en toutes manieres, tout y rit dehors & dedans, l’or & le marbre y disputent de beauté et d’esclat : Et quoy qu’il n’ayt pas cette grande estenduë qui se remarque en quelques autres Palais de sa Majesté: Toutes choses y sont si polies, si bien entenduës p. 4 & si acheuées, que rien ne le peut esgaler. Sa symetrie, la richesse de ses meubles, la beauté de ses promenades, & le nombre infiny de ses fleurs, comme de ses orangers, rendent les enuirons de ce lieu dignes de sa rareté singuliere: La diuersité des bestes contenuës dans les deux Parcs, & dans la Menagerie, ou plusieurs courts en Estoilles sont accompagnées de Viuiers pour les animaux aquatiques, auec de grands bastiments, joignent le plaisir auec la magnificence, & en font vne maison accomplie.
CE fut en ce beau lieu ou toute la Cour se rendit le cinquiesme de May, que le Roy traitta plus de six cent personnes jusques au quatorziesme; outre vne infinité de gens necessaires à la danse & à la Comedie, & d’Artisans de toutes sortes venus de Paris; si bien que cela paroissoit vne petite armée.
Le Ciel mesme sembla fauoriser les desseins de sa Majesté, puis qu’en vne saison presque toûjours pluuieuse on en fut quitte pour vn peu de vent, qui sembla n’auoir augmenté, qu'afin de faire voir que la preuoyance & la puissance du Roy, estoient à l’espreuve des plus grandes incommoditez; de hautes toilles, des bastimens de bois faits presque en vn instant, & vn nombre prodigieux de flambeaux de cire blanche, pour suppléer à plus de quatre mille bougies chaque journée, resisterent à ce vent; qui par tout ailleurs eust rendu ces diuertissements comme impossibles à acheuer.
Monsieur de Vigarini, Gentilhomme Modenois, fort sçauant en toutes ces choses, inuenta & proposa celles-cy ; & le Roy commanda au Duc de S. Aignan, qui se trouua lors en fonction de premier Gentilhomme de sa Chambre, & qui auoit déjà donné plusieurs sujets de Ballet fort agreables; de faire vn dessein ou elles fussent toutes comprises auec liaison & auec ordre; de sorte qu’elles ne pouuoient manquer de bien reussir.
Il prit pour sujet le Palais d’Alcine, qui donna lieu au Tiltre des Plaisirs de l’Isle Enchantée; puis que selon l’Arioste, le braue Roger & plusieurs autres bon Cheualliers y furent retenus par les doubles charmes de la beauté, quoy p. 5 qu'empruntée, & du sçauoir de cette Magicienne; & en furent déliurez apres beaucoup de temps consommé dans les delices, par la bague qui destruisoit les enchantemens: C’estoit celle d’Angelique, que Melisse sous la forme du vieux Atlas, mit enfin au doigt de Roger.
On fit donc en peu de jours orner vn Rond, ou quatre grandes allées aboutissent entre de hautes palissades; de quatre Portiques de trente-cinq pieds d’éleuation, & de vingt-deux en quarré d’ouuerture; de plusieurs festons enrichis d’or, & de diuerses peintures auec les armes de sa Majesté.
Toute la cour s’y étant placée le septiesme, il entra dans la place, sur les six heures du soir vn Heraut d’Armes, representé par , vestu d’vn habit à l’antique, couleur de feu en broderie d’argent, & fort bien monté.
Il estoit suiuy de trois Pages: celuy du Roy, M. d’Artagnan, marchoit à la teste des deux autres, fort richement habillé de couleur de feu, liurée de sa Majesté, portant sa lance & son Escu, dans lequel brilloit vn Soleil de pierreries auec ces mots.
Faisant allusion à l’attachement de sa Majesté aux affaires de son Estat, & la maniere auec laquelle il agit, ce qui estoit encore representé par ces quatre vers du President de Perigny, autheur de la mesme Deuise.
Les deux autres pages estoient aux Ducs de S. Aignan & de Noailles; Le premier Mareschal de Camp, & l’autre Iuge des Courses.
Celuy du Duc de S. Aignan portoit l’Escu de sa Deuise, & estoit habillé de sa liurée de toille d’argent enrichie d’or, auec les plumes incarnates & noires & les rubans de mesme: Sa Deuise estoit telle. Vn Tymbre d’Horloge, auec ces mots.
p. 6 Le Page du Duc de Noailles estoit vestu de couleur de feu, argent & noir; & le reste de la liurée semblable: La Deuise qu’il portoit dans son Escu, estoit vn Aigle auec ces mots.
Quatre Trompettes & deux Tymballiers, marchoient apres ces Pages, habillez de satin couleur de feu, & argent; leurs plumes de la mesme liurée, & les carapaçons de leurs cheuaux couuerts d’vne pareille broderie, auec des Soleils d’or fort esclatants aux banderolles des Trompettes, & les couuertures des Tymballes.
Le Duc de S. Aignan Mareschal de Camp, marchoit apres eux armé à la Grecque, d’vne cuirasse de toille d’argent couuerte de petites escailles d’or; aussi bien que son bas de saye, & son Casque estoit orné d’vn Dragon, & d’vn grand nombre de plumes blanches, meslées d’incarnat & de noir: Il montoit vn cheval blanc, bardé de mesme, & representoit Guidon le Sauuage.
Pour le Duc de
Saint-Aignan,
representant Guidon le Sauuage
MADRIGAL
Pour le même
p. 7 Huit Trompettes & deux Tymballiers, vestus comme les premiers, marchoient apres le Mareschal de Camp.
LE ROY representant Roger, les suiuoit, montant vn des plus beaux cheuaux du monde, dont le harnois couleur de feu esclattoit d’or, d’argent & de pierreries: Sa Majesté estoit armée à la façon des Grecs comme tous ceux de sa Quadrille, & portoit vne cuirasse de lame d’argent, couuerte d’vne riche broderie d’or & de diamans. Son port & toute son action estoient dignes de son rang ; son Casque tout couuert de plumes couleur de feu, auoit vne grace incomparable ; & jamais vn air plus libre, ny plus guerrier, n’a mis vn mortel au dessus des autres hommes.
SONNET
Pour LE ROY,
Representant Roger.
Le Duc de Noailles, Iuge du Camp sous le nom d’ Oger le Danois, marchoit apres le Roy, portant la couleur de feu & le noir sous vne riche broderie d’argent, & ces plumes aussi bien que tout le reste de son esquipage estoient de cette mesme liurée.
p. 8Le duc de Noailles.
Oger le Danois Iuge du Camp.
Le Duc de Guise & le Comte d’Armagnac marchoient ensemble apres luy. Le premier portant le nom d’Aquilant le Noir, auoit vn habit de cette couleur en broderie d’or & de geaix ; ses plumes, son cheual, & sa lance assortissoient à sa liurée: Et l’autre, representant Griffon le Blanc, portoit sur vn habit de toille d’argent plusieurs rubis, & montoit vn cheual blanc bardé de la mesme couleur.
Le Duc de
Guise.
Aquilant le Noir.
Le Comte d’Armagnac.
Griffon le Blanc.
Les Ducs de Foix & de Coaslin, qui paroissoient en suite, estoient vestus l’vn d’incarnat auec or & argent; & l’autre de vert, blanc & argent: Toute leur liurée & leurs cheuaux estant dignes du reste de leur équipage.
Pour le Duc de
Foix.
Renaud.
Le Duc de Coaslin. Dudon.
Apres eux marchoient le Comte du Lude& le Prince de Marsillac, le premier vestu d’incarnat & blanc; et l’autre de jaune, blanc & noir, enrichis de broderie d’argent, leur liurée de mesme, & fort bien montez.
Le Comte du Lude. Astolphe.
Le Prince de Marsillac. Brandimart.
Les Marquis de Villequier & de Soyecourt marchoient en suite, l’vn portoit le bleu & argent ; & l’autre le bleu, blanc, & noir auec or & argent : leurs plumes, & les harnois de leurs cheuaux estoient de la mesme couleur, & d’vne pareille richesse.
Le Marquis de Villequier. Richardet.
Le Marquis de Soyecourt. Oliuier.
p. 10 Les Marquis d’Humieres & de la Valliere les suiuoient : Ce premier portant la couleur de chair & argent; & l’autre le gris de lin, blanc & argent: toute leur liurée estant la plus riche, & la mieux assortie du monde.
Le Marquis d’Humieres. Ariodant.
Le marquis de la Valliere. Zerbin.
Monsieur le DVCmarchoit seul, portant pour sa liurée la couleur de feu, blanc & argent : vn grand nombre de Diamants estoient attachez sur la magnifique broderie, dont sa cuirasse, & son bas de saye estoient couuerts; son casque, & le harnois de son cheual en estoient aussi enrichis.
Monsieur le Duc . Roland.
ROland fera bien loin son grand Nom retentir,
VN char de dix-huit pieds de haut, de vingt-quatre de long, & de quinze de large; paroissoit en suite esclatant d’or & de diuerses couleurs: Il representoit celui d’Apollon, en l’honneur duquel se celebroient autrefois les Ieux Pythiens, que ces Cheualiers s’estoient proposez d’imiter en leurs Courses & en leur équipage: Cette Diuinité brillante de lumieres estoit assise au plus p. 11 haut du Char, ayant à ses pieds les quatre Aages ou Siecles, distinguez par de riches habits, & par ce qu’ils portoient à la main.
Le Siecle d’Or orné de ce précieux metail, estoit encore paré des diuerses Fleurs, qui faisoient vn des principaux ornemens de cét heureux Aage.
Ceux d’Argent et d’Airain, auoient aussi leurs remarques particulieres.
Et celuy de Fer, estoit représenté par vn Guerrier d’vn regard terrible, portant d’vne main l’espée, & de l’autre le bouclier.
Plusieurs autres grandes Figures de relief paroient les costez de ce Char magnifique: Les Monstres Celestes, le Serpent Python, Daphné, Hyacinthe; & les autres Figures qui conuiennent à Apollon, auec vn Atlas portant le Globe du Monde, y estoient aussi releuez d’vne agreable sculpture: Le Temps représenté par le Sieur Millet, auec sa faux, ses aisles, & cette vieillesse decrepite dont on le peint toûjours accablé, en estoit le conducteur: Quatre cheuaux d’vne taille & d’vne beauté peu communes, couuerts de grandes housses semées de Soleils d’Or, & attelez de front, tiroient cette Machine.
Les douze Heures du jour, & les douze Signes du Zodiaque, habillez fort superbement, comme les Poëtes les dépeignent, marchoient en deux files aux deux costez de ce Char.
Tous les Pages des Cheualiers le suiuoient deux à deux, apres celuy de Monsieur le Duc, fort proprement vestus de leurs liurées, auec quantité de plumes; portant leurs lances & les Escus de leurs Deuises.
Le Duc de Guise, representant Aquilant le Noir, ayant pour Deuise vn Lyon qui dort, auec ces mots.
Et quiescente pauescunt.
Le Comte d’Armagnac, representant Griffon le Blanc, ayant pour Deuise vne Hermine, auec ces mots.
p. 12Le Duc de Foix, representant Renaud, ayant pour Deuise vn Vaisseau dans la Mer, auec ces mots.
Le Duc de Coaslin, representant Dudon, ayant pour Deuise vn Soleil, & l’Heliotrope ou Tournesol, auec ces mots.
Le Comte du Lude , representant Astolphe, ayant pour Deuise vn chiffre en forme de nœud, auec ces mots.
Le Prince de Marsillac, representant Brandimart, ayant pour Deuise vne Montre en relief dont on voit tous les ressorts, auec ces mots.
Le Marquis de Villequier, representant Richardet, ayant pour Deuise vn Aigle qui plane deuant le Soleil, auec ces mots.
Le Marquis de Soyecourt, representant Oliuier, ayant pour Deuise la Massuë d’Hercule, auec ces mots.
Le Marquis d’Humieres, representant Ariodant, ayant pour Deuise toutes sortes de Couronnes, auec ces mots.
Le Marquis de la Valliere, representant Zerbin, ayant pour Deuise vn Phoenix sur vn bucher allumé par le Soleil, auec ces mots.
Monsieur le Dvc, representant Roland, ayant pour Deuise vn Dard entortillé de Lauriers, auec ces mots.
p. 13VIngt Pasteurs, chargez des diuers pieces de la Barrière, qui deuoit estre dressée pour la Course de Bague, formoient la derniere Troupe qui entra dans la Lice. Ils portoient des vestes couleur de feu enrichie d’argent, & des coiffures de mesmes.
Aussi-tost que ces Troupes furent entrées dans le Camp, elles en firent le tour, & apres auoir salüé les Reynes, elles se separerent, & prirent chacun son poste: Les Pages de la teste, les Trompettes & les Tymballiers se croisants, s’allerent poster sur les aisles: Le Roy s’aduançant au milieu, prit sa place vis à vis du haut Dais: Monsieur le Duc, proche de Sa Majesté: Les Ducs de S. Aignan & de Noailles à droit & à gauche: Les dix Cheualiers en haye aux deux costéez du Char: Leurs Pages au mesme Ordre derriere eux: Les Signes & les Heures, comme ils estoient entrez.
Lors qu’on eut fait alte en cet estat, vn profond silence causé tout ensemble par l’attention & par le respect; donna le moyen à Mlle. de Brie, qui representoit le Siecle d’Airain, de commencer ces Vers à la loüange de la Reyne, addressez à Apollon.
LE SIECLE D'AIRAIN à Apollon.
APOLLON.
LE SIECLE D'ARGENT.
LE SIECLE D'OR.
LE SIECLE DE FER.
APOLLON
TOus ces Recits acheuez, la Course de bague commença, en laquelle apres que le Roy eut fait admirer l’addresse & la grace qu’il a en cét exercice, comme en tous les autres, & plusieurs belles Courses ; & de tous ces Cheualiers, le Duc de Guise, les Marquis de Soyecourt & de la Valliere demeurerent à la dispute, dont ce dernier emporta le prix; qui fut vne espée d’or enrichie de Diamans, auec des boucles de baudrier de grande valeur, que donna la Reyne Mere, & dont elle l’honora de sa main.
La nuit vint cependant à la fin des Courses, par la justesse qu’on auoit eu à les commencer : Et vn nombre infiny de lumieres ayant esclairé tout ce beau lieu; l’on vis entrer dans la mesme place.
Trente-quatre Concertans fort bien vestus, qui deuoient p. 16 preceder les Saisons; & faisoient le plus agreable concert du monde.
Pendant que les Saisons se chargeoient des mets delicieux qu’elles deuoient porter, pour seruir deuant leurs Majestez la magnifique collation qui estoit préparée: Les douze Signes du Zodiaque, & les quatre Saisons danserent dans le rond vne des plus belles entrées de Ballet, qu’on eust encore veuë.
Le Printemps parut en suite sur vn Cheual d’Espagne, representé par Mlle. du Parc; qui auec le sexe et les aduantages d’vne femme, faisoit voir l’addresse d’vn homme: Son habit estoit vert en broderie d’argent, & de fleurs au naturel.
L’Esté le suiuoit, representé par le Sieur du Parc, sur vn Elephant, couuert d’vne riche housse.
L’Automne aussi duantageusement vestuë, representée par le Sieur de la Thorilliere, venoit apres monté sur vn Chameau.
L’Hyuer suiuoit sur vn Ours, representé par le Sieur Bejard.
Leur suite estoit composée de quarante-huit personnes, qui portoient toutes sur leurs testes de grands bassins pour la collation.
Les douze premiers couuerts de fleurs, portoient, comme des Iardiniers, des Corbeilles peintes de vert & d’argent, garnies d’vn grand nombre de porcelaines, si remplies de confitures & d’autres choses delicieuses de la Saison, qu’ils estoient courbez sous cét agreable faix.
Douze autres, comme Moissonneurs, vestus d’habits conformes à cette profession, mais fort riches, portoient des bassins de cette couleur incarnate, qu’on remarque au Soleil Leuant, & suiuoient l’Esté.
Douze vestus en Vandangeurs, estoient couuerts de feuilles de vignes & de grappes de raisins; & portoient dans des paniers feuille-morte, remplis de petits bassins de cette mesme couleur, diuers autres fruits & confitures, à la suite de l’Automne.
Les douze derniers, estoient des Vieillards gelez, dont les fourrures & la desmarche marquoient la froideur & la foiblesse portant, dans des bassins couuerts d’vne glace & p. 17 d’vne neige si bien contrefaites, qu’on les eust pris pour la chose mrsme, ce qu’ils deuoient contribüer à la Collation, & suiuoient l’Hyuer.
Quatorze Concertans de Pan & de Diane precedoient ces deux Diuinitez, auec vne agreable Harmonie de Flustes & de musettes.
Elles venoient en suite sur vne Machine fort ingenieuse en forme d’vne petite Montagne ou Roche ombragée de plusieurs arbres ; mais ce qui estoit plus surprenant, c’est qu’on la voyoit portée en l’air, sans que l’artifice qui la faisoit mouuoir se peust descouurir à la veuë..
Vingt autres personnes les suiuoient, portant des viandes de la Mesnagerie de Pan, & de la chasse de Diane.
Dix-huit Pages du Roy, fort richement vestus, qui deuoient seruir les Dames à Table, faisoient les derniers de cette Troupe ; laquelle estant rangée, Pan, Diane & les Saisons se presentant deuant la Reyne: Le Printemps luy addressa le premier ces Vers.
LE PRINTEMPS.
L'ESTÉ.
L'AUTOMNE.
L'HYVER
DIANE.
PAN.
CEs Recits acheuez, vne grande Table en forme de Croissant, rond d’vn costé, ou l’on deuoit couurir & garnir de fleurs de celuy où elle estoit creuze, vint à se decouurir.
Trente-six Viollons tres bien vestus, parurent derriere sur vn petit Theatre; pendant que Messieurs de la Marche, & Parfait Pere, Frere, & Fils Controlleurs Generaux, sous les noms de l’Abondance, de la Ioye, de la Propreté, & de la Bonne-Chere; l'a firent couurir par les Plaisirs, par les Ieux, par les Ris & par les Delices.
Leurs Majestez s’y mirent en cét Ordre, qui preuint tous les embarras, qui eussent pû naistre pour les rangs.
- La Reyne Mereestoit assise au milieu de la Table; & auoit à sa main droite.
- LE ROY
- Mademoiselle d’Alençon
- Madame la Princesse.
- Mademoiselle d’Elbeuf.
- Madame de Bethune.
- Madame la Duchesse de Crequy.
- MONSIEUR
- Madame la duchesse de S. Aignan.
- Madame la Mareschalle Du Plessis.
- Madame la Mareschalle d’Estampes.
- Madame de Gourdon.
- Madame de Montespan.
- Madame d’Humieres.
- Mademoiselle de Brancas.
- Madame d’Armagnac.
- Madame la Comtesse de Soissons.
- Madame la Princesse de Bade.
- Mademoiselle de Grançay.
DE L'AVTRE COSTÉ, ESTOIENT ASSISES.
- LA REYNE.
- Madame de Carignan.
- Madame de Flaix.
- Madame la Duchesse de Foix.
- Madame de Brancas.
- Madame de Froulay. p. 20
- Madame la Duchesse de Nauailles.
- Mademoiselle d’Ardennes.
- Mademoiselle de Cologon.
- Madame de Crussol.
- Madame de Montauzier.
- MADAME
- Madame la Princesse Benedicte.
- Madame la Duchesse.
- Madame de Rouuroy.
- Mademoiselle de la Mothe.
- Madame de Marsé.
- Mademoiselle de la Valliere.
- Mademoiselle d’Artigny.
- Mademoiselle du Bellay.
- Mademoiselle de Dampierre.
- Mademoiselle de Fiennes.
La sumptuosité de cette Collation passoit tout ce qu’on en pourroit escrire, tant par l’abondance que par la delicatesse des choses qui y furent seruies: Elle faisoit aussi le plus bel objet qui puisse tomber sous les sens; puis que dans la nuit aupres de la verdeur de ces hautes palissades, vn nombre infiny de Chandeliers peints de vert & d’argent, portant chacun vingt-quatre bougies, & deux cent flambeaux de cire blanche, tenus par autant de personnes vestus en Masques, rendoient vne clarté presque aussi grande & plus agreable que celle du jour. Tous les Cheualiers, auec leurs Casques couuerts de plumes de differentes couleurs, & leurs habits de la Course, estoient appuyez sur la Barriere ; & ce grand nombre d’Officiers richement vestus, qui seruoient, en augmentoient encore la beauté, & rendoient ce rond vne chose enchantée, duquel apres la Collation, leurs Majestez & toute la Cour, sortirent par le Portique opposé à la Barrière, & dans vn grand nombre de Galesches fort adjustées, reprirent le chemin du Chasteau.
Fin de la premiere Iournée.
SECONDE IOVRNÉE DES PLAISIRS DE L’ISLE ENCHANTÉE.
LORS que la nuit du second jour fut venuë, Leurs Majestez se rendirent dans vn autre rond enuironné de palissades comme le premier, & sur la mesme ligne, s’auançant toûjours vers le Lac, où l’on feignoit que le Palais d’Alcine estoit basty.
Le dessein de cette seconde Feste, estoit que Roger & les Cheualiers de sa Quadrille, apres auoir fait des merueilles aux Courses, que par l’ordre de la belle Magicienne ils auoient fait en faueur de la Reyne, continüoient en ce mesme dessein pour le diuertissement suiuant; & que l’Isle flotante n’ayant point esloigné le riuage de la France, ils donnoient à Sa Majesté le plaisir d’vne Comedie dont la Scene estoit en Elide.
Le Roy fit donc couurir de toilles, en si peu de temps qu’on auoit lieu de s’en estonner, tout ce rond d’vne espece de Dome, pour deffendre contre le vent le grand nombre de Flambeaux & de Bougies qui deuoient esclairer le Theatre, dont la decoration estoit fort agreable.
Aussi-tost qu’on eut tiré la toille, vn grand Concert de plusieurs instruments se fit entendre: Et l’Aurore representée par Mademoiselle Hilaire, ouurit la Scene, & chanta ce Recit.
p. 22PREMIERE INTERMEDE.
SCENE PREMIERE.
RECIT DE L'AVRORE.
SCENE DEVXIESME.
Valets de chiens, & Musiciens.
PEndant que l’Aurore chantoit ce Recit, quatre Valets de Chiens estoient couchez sur l’Herbe, dont l’vn (sous la figure de Liciscas, representé par le Sieur de Moliere, excellent Acteur, de l’inuention duquel estoient les Vers & toute la piece) se trouuoit au milieu de deux, & vn autre à ses pieds : Qui estoient les Sieurs Estiual, Don, & Blondel de la Musique du Roy, dont les voix estoient admirables.
Ceux-cy en se reueillant à l’arriuée de l’Aurore, si-tost qu’elle eut chanté, s’ecrierent en Concert.
Ier.
IIme.
IIIme.
TOVS ENSEMBLE.
LYCISCAS
MVSICIENS.
LYCISCAS.
Hé ! laissez-moi dormir encore vn peu je vous conjure.
MVSICIENS.
Non, non debout, Lyciscas debout.
LYCISCAS.
Je ne vous demande plus qu'vn petit quart d'heure.
MVSICIENS.
Point, point debout, viste debout.
LYCISCAS.
Hé ! je vous prie ?
p. 24MVSICIENS.
Debout.
LYCISCAS.
Vn moment.
MVSICIENS.
Debout.
LYCISCAS.
De grace.
MVSICIENS.
Debout.
LYCISCAS.
Eh.
MVSICIENS.
Debout.
LYCISCAS.
Je...
MVSICIENS.
Debout.
LYCISCAS.
J'auray fait incontinent.
MVSICIENS.
LYCISCAS.
Et bien laissez-moy, je vais me leuer : Vous estes d'estranges gens de me tourmenter comme cela : Vous serez cause que je ne me porteray pas bien de toute la journée ; car voyez-vous, le sommeil est necessaire à l'homme, & lors qu'on ne dort pas sa refection, il arriue... que... on est ...
Ier.
Lyciscas.
IIme.
Lyciscas.
IIIme.
Lyciscas.
TOVS ENSEMBLE.
Lyciscas
LYCISCAS.
Diable soit les brailleurs, je voudrois que vous eussiez la gueulle pleine de bouillie bien chaude.
MVSICIENS.
Debout, debout viste debout, despeschons debout.
LYCISCAS.
Ah ! qu'elle fatigue de ne pas dormir son sou.
Ier.
Hola ? oh.
IIme.
Hola ? oh.
IIIme.
Hola ? oh.
TOVS ENSEMBLE.
Oh ! oh ! oh ! oh ! oh.
LYCISCAS.
Oh ! oh ! oh ! oh ! oh. La peste soit des gens avec leurs chiens de hurlemens, je me donne au Diable si je ne vous assomme : Mais voyez vn peu quel diable d'entousiasme il leur prend, de me venir chanter aux oreilles comme cela, je.......
MVSICIENS.
Debout.
LYCISCAS.
Encore.
MVSICIENS.
Debout.
LYCISCAS.
Le diable vous emporte.
MVSICIENS.
Debout.
p. 26LYCISCAS.
Quoy toûjours ? A-t'on jamais veu vne pareille furie de chanter : par le sang bleu j'enrage, puisque me voila esueillé il faut que j'éueille les autres, et que je les tourmente comme on m'a fait. Allons ho ? Messieurs, debout, debout, viste c'est trop dormir. Ie vais faire vn bruit de Diable par tout, debout, debout, debout: Allons viste, ho, ho, ho ? Debout, debout, pour la Chasse ordonnée il faut preparer tout, debout, debout, Lyciscas debout ? ho ! ho ! ho ! ho ! ho.
NOMS DES ACTEVRS de la Comedie
- LA PRINCESSE D'ELIDE. Mademoiselle de Moliere.
- AGLANTE, cousine de la Princesse. Mademoiselle du Parc.
- CINTHIE, Cousine de la Princesse. Mademoiselle de Brie.
- PHILIS, suiuante de la Princesse. Mademoiselle Bejart.
- IPHITAS, Pere de la Princesse. Le Sieur Hubert.
- EVRIALE, ou le Prince d'Ithaque. Le Sieur la Grange.
- ARISTOMENE, ou le Prince de Messene.. Le Sieur du Croisy.
- THEOCLE, ou le Prince de Pyle.. Le Sieur Bejart.
- ARBATE, Gouuerneur du Prince d'Ithaque.. Le Sieur de La Thorilliere.
- Moron, plaisant de la Princesse.. Le Sieur de Moliere.
- Vn suivant.. Le Sieur Preuost.
ACTE PREMIER
ARGVMENT
CEtte Chasse qui se preparoit ainsi, estoit celle d’vn Prince d’Elide, lequel estant d’humeur galante & magnifique, & souhaittant que la Princesse sa fille se resolust à aymer & à penser au mariage, qui estoit fort contre son inclination, auoit fait venir en sa Cour les Princes d’Ithaque, de Messene et de Pyle ; afin que dans l’exercice de la Chasse qu’elle aymoit fort, & dans d’autres jeux, comme des Courses de Chars & semblables magnificences, quelqu’vn de ces Princes peust lui plaire & deuenir son espoux.
SCENE PREMIERE
EVriale Prince d’Ithaque amoureux de la Princesse d’Elide, & Arbate son Gouuerneur, lequel indulgent à la passion du Prince, le loüa de son amour au lieu de l’en blasmer, en termes forts galands.
ARBATE.
EVRIALE.
arbate.
EVRIALE.
arbate.
EVRIALE.
arbate.
EVRIALE.
arbate.
Moron, Seigneur.
Euriale.
SCENE DEVXIESME.
Moron, representé par le Sieur de Moliere, arriue, & ayant le souuenir d’vn furieux Sanglier, deuant lequel il auoit fuy à la Chasse, demande secours, & rencontrant Euriale & arbate se met au milieu d’eux pour plus de seureté, apres auoir tesmoigné sa peur et leur disant cent choses plaisantes sur son peu de brauoure.
Moron. arbate. EVRIALE.
Moron sans estre veu.
AV secours ! sauuez-moy de la beste cruelle !
EVRIALE.
Ie pense ouïr sa voix?
Moron sans estre veû.
A moy de grace, à moy?
EVRIALE.
C'est luy-mesme, ou court-il auec vn tel effroy?
Moron.
EVRIALE.
Qu'as-tu?
Moron.
Euriale.
Qu'est-ce?
Moron.
EVRIALE.
Dy-nous donc ce que c'est ?
Moron, en se tournant.
EVRIALE.
Tu parlois d'exercice penible.
p. 34Moron.
EVRIALE.
Qu'est-ce?
Moron.
arbate.
Et tu l'as de pié ferme attendu?
Moron.
arbate.
Moron.
arbate.
Mais par quelques exploits, si l'on ne s'éternise……
Moron.
EVRIALE.
Fort bien….
Moron.
EVRIALE.
Moron.
SCENE TROISIESME.
La Princesse d’Elide parut en suite, auec les Princes de Messene & de Pyle, lesquels firent remarquer en eux des caracteres bien differens de celuy du Prince d’Ithaque; & luy cederent dans le cœur de la Princesse tous les auantages qu’il y pouuoit desirer : Cette aymable Princesse ne tesmoigna pas pourtant que le merite de ce Prince eust fait aucune impression sur son esprit, & qu’elle l’eust quasi remarqué; elle tesmoigna toûjours, comme vne autre Diane, n’aymer que la Chasse & les Forests, & lors que le Prince de Messenne voulut lui faire valoir le seruice qui luy auoit rendu, en la desfaisant d’vn fort grand sanglier qui l’auoit attaquée; elle luy dit que sans rien diminüer de sa reconnoissance; elle trouuoit son secours d’autant moins considerable, qu’elle en auoit tué toute seule d’aussi furieux, & fut peut-estre bien encore venuë à bout de celuy-cy.
LA PRINCESSE & sa suite. Aristomene, Theocle, EVRIALE, arbate, Moron.
Aristomene.
Theocle.
LA PRINCESSE.
Theocle.
Mais, Madame....
LA PRINCESSE.
SCENE QVATRIESME.
EVRIALE. Moron. arbate.
Moron.
arbate
Moron.
EVRIALE.
arbate.
Tu le vas voir, allons, & garde le silence.
Fin du premier Acte.
DEVXIESME INTERMEDE.
L’Agreable Moron laissa aller le Prince pour parler de sa passion naissante aux bois & aux rochers, & faisant retentir par tout le beau nom de sa Bergere Philis, vn Echo ridicule luy respondant bizarement, il y prit si grand plaisir, que riant en cent manieres, il fit respondre autant de fois cét Echo, sans tesmoigner d’en estre ennuyé: Mais vn Ours vint interrompre ce beau diuertissement, & le surprit si fort par cette veuë peu attenduë, qu’il lui donna des sensibles marques de sa peur: Il luy fit faire deuant l’Ours toutes les soûmmissions dont il se pût auiser pour l’adoucir: Enfin se jettant à vn arbre pour y monter, comme il vit que l’Ours y vouloit grimper aussi bien que luy; il cria au secours d’vne voix si haute, qu’elle attira huit Paysans armez de bastons à deux bouts & d’espieux, pendant qu’vn autre Ours parut en suite du premier. Il se fit vn Combat qui finit par la mort d’vn des Ours, & par la fuite de l’autre.
SCENE PREMIERE.
Moron.
IVsqu'au reuoir; pour moy je este icy, & j'ay vne petite conversation à faire auec ces arbres & ces rochers.
Voilà vn echo qui est boufon! hom hom hom. ha ha ha ha ha. vh vh vh. Voilà vn echo qui est boufon!
SCENE DEVXIESME.
VN OVRS. Moron.
Moron.
AH! monsieur l'Ours, je suis vostre seruiteur de tout mon coeur: de grace epargnez-moy? je vous asseure que je ne vaux rien du tout à manger, je n'ay que la peau & les os, & je voy de certaines gens la bas qui seroient bien mieux vostre affaire. Eh! Eh! Eh! monseigneur, tout doux s'il vous plaist. La la la la. ah! monseigneur que vostre altesse est jolie & bien faite; elle a tout à fait l'air galand & la taille la plus mignonne du monde. Ah beau poil! belle teste! beaux yeux brillans et bien fendus! ah beau petit nez! belle petite bouche, petites quenotes jolies! ah belle gorge! belles petites menottes! petits ongles bien faits. A l'aide, au secours, je suis mort, misericorde, pauure Moron, ah mon Dieu! & viste, à moy à moy, je suis perdu! Eh, messieurs ayez pitié de moy? bon messieurs tuez moy ce vilain animal là. O Ciel! daigne les assister. Bon le voila vn qui vient de luy donner vn coup dans la gueule. Les voila tous à lentour de luy. Courage, ferme, allons mes amis. Bon, poussez fort, descendons maintenant pour luy donner cent coups. Seruiteur Messieurs, je vous rends grace de m'auoir deliuré de cette beste, maintenant que vous l'auez tuée je m'en vais l'acheuer, et en triompher avec vous.
p. 42Ces heureux Chasseurs, n'eurent pas plustost remporté cette victoire, que Moron deuenu braue par l'esloignement du peril, voulut aller donner mille coups à la beste, qui n'estoit plus en estat de se deffendre, & fit tout ce qu'vn fanfaron, qui n'auroit pas esté trop hardy, eust pû faire en cette occasion; & les Chasseurs pour tesmoigner leur joye, danserent vne fort belle Entrée: C'esttoient les Sieurs Chicanneau, Baltasard, Noblet, Bonard, Mançeau, Magny, & la Pierre.
ACTE DEVXIESME.
ARGVMENT.
LE Prince d’Ithaque & la Princesse eurent vne conuersation fort galante sur la Course des Chars qui se preparoit: Elle auoit dit auparauant à ’vne des Princesses ses Parentes, que l’insensibilité du Prince d’Ithaque luy donnoit de la peine & luy estoit honteuse: qu’encore qu’elle ne voulust rien aymer, il estoit bien fascheux de voir qu’il n’aymoit rien; & que quoy qu’elle eust resolu de n’aller point voir les Courses, elle s’y vouloit rendre, dans le dessein de tascher à triompher de la liberté d’vn homme qui la cherissoit si fort. Il estoit facile de juger que le merite de ce Prince produisoit son effet ordinaire, que ses belles qualitez auoient touché se cœur superbe: & commencé à fondre vne partie de cette glace qui auoit resisté jusques alors à toutes les ardeurs de l’Amour, & plus il affectoit, (par le conseil de Moron qu’il auoit gagné, & qui connoissoit fort le cœur de la Princesse), de paroistre insensible, quoy qu’il ne fut que trop amoureux, plus la Princesse se mettoit dans la tete de l’engager, quoy qu’elle n’eust pas fait dessein de s’engager elle-mesme. Les Princes de Messene & de Pyle prirent lors congé d’elle pour s’aller preparer aux Courses, & luy parlant de l’esperance qu’ils auoient de vaincre, par le desir qu’ils sentoient de luy plaire: Celuy d’Ithaque luy tesmoigna au contraire, que n’ayant jamais rien aymé, il allait essayer à vaincre pour sa propre satisfaction, ce qui la picqua encore d’auantage, & qui l’engagea à vouloir soûmettre vn cœur déjà assez soûmis, mais qui sçauoit déguiser ses sentiments le mieux du monde.
p. 44SCENE PREMIERE.
LA PRINCESSE, Aglante, Cinthie.
LA PRINCESSE.
Aglante.
LA PRINCESSE.
Cinthie.
ADVIS.
LE dessein de l’Autheur estoit de traiter ainsi toute la Comedie; mais vn commandement du Roy qui pressa cette affaire, l’obligea d’acheuer tout le reste en prose, & de passer legerement sur plusieurs Scenes, qu’il auroit etenduës d’auantage, s’il auoit eu plus de loisir.
Aglante.
Pour moy je tiens que cette passion est la plus agreable affaire de la vie, qu'il est necessaire d'aymer pour viure heureusement, & que tous les plaisirs sont fades s'il ne s'y mesle vn peu d'amour.
LA PRINCESSE.
Pouuez-vous bien toutes deux, estant ce que vous estes, prononcer ces paroles; & ne deuez-vous pas rougir d'appuyer vne passion qui n'est qu'erreur, que foiblesse & qu'emportement, et dont tous les desordres ont tant de repugnance auec la gloire de nostre sexe. I'en pretens soustenir l'honneur jusqu'au dernier moment de ma vie: Et ne veux point du tout me commettre à ces gens qui font les esclaves aupres de nous, pour deuenir vn jour nos tyrans: Toutes ces larmes, tous ces p. 46 soûpirs, tous ces hommages, tous ces respects sont des embusches qu'on tend à nostre coeur, & les bassesses épouuantables ou cette passion rauale les personnes sur qui elle étend sa puissance: Ie sens tout mon coeur qui s'émeut: et je ne puis souffrir qu'vne ame qui fait profession d'vn peu de fierté, ne trouue pas vne honte horrible à de telles foiblesse.
Cinthie
Eh! Madame, il est de certaines foiblesses qui ne sont point honteuses, & qu'il est beau mesme d'auoir dans les plus hauts degrez de gloire. I'espere que vous changerez vn jour de pensée, et s'il plaist au Ciel nous verrons vostre coeur auant qu'il soit peu....
LA PRINCESSE.
Arrestez, n'acheuez pas ce souhait estrange, j'ay vne horreur trop inuincible pour ces sortes d'abbaissemens, & si jamais j'estois capable d'y descendre, je serois personne sans doute à ne me le point pardonner.
Aglante.
Prenez garde; Madame, l'Amour sçait se vanger des mespris que l'on fait de luy, et peut-estre....
LA PRINCESSE.
Non, non je braue tous ses traits, & le grand pouuoir qu'on luy donne n'est rien qu'vne chimere, qu'vne excuse des foibles coeurs qui le font inuincible pour authoriser leur foiblesse.
Cinthie.
Mais enfin toute la terre reconnoist sa puissance, & vous voyez que les Dieux mesme sont assujettis à son empire: On nous fait voir que Iupiter n'a pas aymé pour vne fois; & que Diane mesme dont vous affectez tant l'exemple n'a pas rougy de pousser des soûpirs d'amour.
p. 47LA PRINCESSE.
Les croyances publiques sont toûjours meslées d'erreur: Les Dieux ne sont point faits comme se les fait le vulgaire, & c'est leur manquer de respect que de leur attribüer les foiblesses des hommes.
SCENE DEVXIESME.
Moron, LA PRINCESSE, Aglante, Cinthie, Philis.
Aglante.
VIen, approche Moron, vien nous ayder à deffendre l'Amour contre les sentimens de la Princesse.
LA PRINCESSE.
Voila vostre party fortifié d'vn grand deffenseur.
Moron.
Ma foy, Madame, je croy qu'apres mon exemple il n'y a plus rien à dire, & qu'il ne faut plus mettre en doute le pouuoir de l'Amour. I'ay braué ses armes assez long-temps, et fait de mon drole comme vn autre; mais enfin ma fierté a baisé l'oreille, & vous auez vne traitresse qui m'a rendu plus doux qu'vn Agneau: Apres cela on ne doit plus faire aucun scrupule d'aymer, et puisque j'ay bien passé par là, il peut bien y en passer d'autres.
Cinthie.
Quoy? Moron se mesle d'aymer?
Moron.
Fort bien.
Cinthie.
Et de vouloir estre aymé?
p. 48Moron.
Et pourquoy non? Est-ce qu'on n'est pas assez bien fait pour cela? Ie pense que ce visage est assez passable, & que pour le bel air, dieu mercy, nous ne le cedons à personne.
Cinthie.
Sans doute on auroit tort.....
SCENE TROISIESME.
LYCAS, LA PRINCESSE, Aglante, Cinthie, Philis, Moron.
LYCAS.
MAdame, le Prince vostre Pere vient vous trouuer icy, & conduit auec luy les Princes de Pyle, & d'Ithaque, & celuy de Messene.
LA PRINCESSE.
O Ciel!que pretent-il faire en me les amenant? Auroit-il resolu ma perte, & voudroit-il me forcer au choix de quelqu'vn d'eux?
SCENE QVATRIESME.
LE PRINCE, EVRIALE, Aristomene, Theocle, LA PRINCESSE, Aglante, Cinthie, Philis, Moron.
LA PRINCESSE.
SEigneur, je vous demande la licence de preuenir par deux paroles la declaration des pensées que vous pouuez auoir. Il y a deux veritez, Seigneur, aussi constantes l'vne que l'autre, et dont je puis vous asseurer également: L'vne que vous auez vn absolu pouuoir sur moy, & que vous ne sçauriez m'ordonner rien ou je ne responde aussi-tost par vne obeissance p. 49 aueugle. L'autre que je regarde l'Hymenée ainsi que le trespas, & qu'il m'est impossible de forcer cette auersion naturelle: Me donner vn Mary, & me donner la mort c'est vne mesmes chose; mais vostre volonté va la premiere, et mon obeïssance m'est bien plus chere que ma vie: Apres cela parlez, Seigneur, prononcez librement ce que vous voulez.
LE PRINCE.
Ma Fille, tu as tort de prendre de telles allarmes, & je me plains de toy, qui peux mettre dans ta pensée que je sois assez mauuais Pere pour vouloir faire violence à tes sentimens, & me seruir tiranniquement de la puissance que le Ciel me donne sur toy. Ie souhaite à la verité que ton coeur puisse aymer quelqu’vn: Tous mes voeux seroient satisfaits si cela pouuoit arriuer, & je n’ay proposé les Festes & les Jeux que je fais celebrer icy, qu’afin d’y pouuoir attirer tout ce que la Grece a d’illustre; & que parmy cette noble jeunesse, tu puisse enfin rencontrer ou arrester tes yeux, & determiner tes pensées. Ie ne demande, dy-je, au Ciel autre bonheur que celuy de te voir vn espoux: J'ay pour obtenir cette grace fait encor ce matin vn sacrifice à Venus; et si je sçais bien expliquer le langage des Dieux, elle m’a promis vn miracle: mais quoy qu’il en soit je veux en vser auec toy en Pere, qui cherit sa Fille: Si tu trouue ou attacher tes vœux, ton choix sera le mien, & je ne considereray ny interests d’estat, ny avantages d’alliance. Si ton coeur demeure insensible, je n’entreprendray point de le forcer: Mais au moins sois complaisante aux ciuilitez qu'on te rend, & ne m'oblige point à faire les excuses de ta froideur:Traite ces Princes auec l'estime que tu leur dois, reçois auec reconnoissance les tesmoignages de leur zele, & viens voir cette Course ouleur adresse va paroistre.
Theocle.
Tout le monde va faire des efforts pour remporter le prix de cette Course; mais à vous dire vray j'ay peu d'ardeur pour la victoire, puisque ce n'est pas vostre coeur qu'on y doit disputer.
Aristomene.
Pour moy, Madame, vous estes le seul prix que je me propose par tout: C'est vous que je croy disputer dans ces combats p. 50 d'adresse, et je n'aspire maintenant à remporter l'honneur de cette Course, que pour obtenir vn degré de gloire qui m'approche de vostre coeur.
EVRIALE.
Pour moy, Madame, je n'y vais point du tout auec cette pensée: Comme j'ay fait toute ma vie profession de ne rien aymer, tous les soins que je prens ne vont point ou tendent les autres: Ie n'ay aucune pretention sur vostre coeur, & le seul honneur de la Course est tout l'auantage où j'aspire.
LA PRINCESSE.
D'où sort cette fierté ou l'on ne s'attendoit point? Princesses, que dites-vous de ce jeune Prince? auez-vous remarqué de quel ton il l'a pris?
Aglante.
Il est vray que cela est vn peu fier.
Moron.
Ah! qu'elle braue botte il vient là de luy porter!
LA PRINCESSE.
Ne trouuez-vous pas qu'il y auroit plaisir d'abaisser son orgueil, & de soûmettre vn peu ce coeur qui tranche tant du braue?
Cinthie.
Comme vous estes accoustumée à ne jamais receuoir que des hommages et des adorations de tout le monde, vn compliment pareil au sien doit vous surprendre à la verité.
LA PRINCESSE.
Ie vous auouë que cela m'a donné de l'émotion, & que je souhaiterois fort de trouuer les moyens des chastier cette hauteur. Ie n'auois pas beaucoup d'enuie de me trouuer à cette Course; mais j'y veux aller expres, & employer toute chose pour luy donner de l'amour.
Cinthie.
Prenez garde, Madame, l'entreprise est perilleuse, et lors qu'on veut donner de l'amour, on court risque d'en receuoir.
LA PRINCESSE.
Ah! n'aprehendez rien, je vous prie, allons je vous respons de moy.
Fin du deuxiesme Acte.
TROISIESME INTERMEDE.
SCENE PREMIERE.
Moron, Philis.
Moron.
Philis demeure icy?
Philis.
Non laisse-moy suiure les autres.
Moron.
Ah! cruelle, si c'estoit Tircis qui t'en priast, tu demeurerois bien viste.
Philis.
Cela se pourroit faire, & je demeure d’accord que je trouue bien mieux mon conte avec l’vn qu’auec l’autre; car il me diuertit auec sa voix; & toy, tu m’estourdis de ton cacquet. Lors que tu chanteras aussi bien que luy, je te promets de t’écouter.
Moron.
Eh! demeure vn peu?
Philis.
Je ne sçaurois.
Moron.
De grace?
Philis.
Point te dis-je.
Moron.
Ie ne te laisseray point aller.
Philis.
Ah! que de façons.
Moron.
Ie ne te demande qu'vn moment à estre auec toy?
p. 52Philis.
Et bien!ouy, j'y demeureray, pourueu que tu me promette vne chose?
Moron.
Et qu'elle?
Philis.
De ne point parler du tout.
Moron.
Eh! Philis?
Philis.
A moins que de cela je ne demeureray point auec toy.
Moron.
Veux-tu me.....
Philis.
Laisse-moy aller?
Moron.
Et bien, ouy, demeure, je ne diray mot.
Philis.
Prens-y bien garde au moins; car à la moindre parole je prends la fuitte.
Moron.
Soit. Ah ! Philis…. Eh…. Elle s’enfuit, & je ne sçaurois l’atrapper. Voyla ce que c’est, si je sçauois chanter j’en ferois bien mieux mes affaires. La plus part des Femmes aujourd’huy se laissent prendre par les oreilles: Elles sont cause que tout le monde se mesle de Musique, & l’on ne reüssit aupres d’elles, que par les petites chansons, & les petits vers qu’on leur fait entendre. II faut que j’aprenne à chanter pour faire comme les autres. Bon voicy justement mon homme.
p. 53SCENE DEVXIESME.
SATYRE, Moron.
SATYRE.
LA la la.
Moron.
Ah! Satyre mon amy, tu sçais bien ce que tu m'as promis il y a long-temps, aprens moy à chanter, je te prie?
SATYRE.
Je le veux; mais auparauant escoute vne chanson que je viens de faire.
Moron.
Il est si accoustumé à chanter qu'il ne sçauroit parler d'autre façon. Allons chante, j'escoute.
SATYRE.
Je portois....
Moron.
Vne chanson, dis-tu?
SATYRE.
Je port....
Moron.
Vne chanson à chanter?
SATYRE.
Je port.....
Moron.
Chanson amoureuse, peste.
SATYRE.
Moron ne fut pas satisfait de cette Chanson, quoy qu’il la trouuast jolie, il en demanda vne plus passionnée, & priant le Satyre de luy dire celle qu’il luy auoit ouy chanter quelques jours auparauant, il continua ainsi.
Cette seconde Chanson ayant touché Moron fort sensiblement, il pria le Satyre de luy apprendre à chanter; & luy dit
Ah qu'elle est belle! apprens la moy?
SATYRE.
La, la, la, la.
Moron.
La, la, la, la.
SATYRE.
Fa, Fa, Fa, Fa.
Moron.
Fa, toy-mesme.
Le Satyre s’en mit en colere, & peu à peu se mettant en posture d'en venir à des coups de poing, les Violons reprirent vn Air, sur lequel ils danserent vne plaisante entrée.
ACTE TROISIESME.
ARGVMENT
La Princesse d’Elide estoit cependant dans d’estranges inquietudes: le Prince d’Ithaque auoit gagné le prix des Courses, elle auoit dans la suite de ce diuertissement fait des merueilles à chanter & à la danse, sans qu’il parust que les dons de la nature & de l’art eussent esté quasi remarquez par le Prince d’Ithaque; elle en fit de grandes plaintes à la Princesse sa parente; elle en parla à Moron, qui fit passer cet insensible pour vn brutal: Et enfin le voyant arriuer luy-mesme, elle ne pût s’empescher de luy en toucher fort serieusement quelque chose: Il luy respondit ingenuement qu’il n’aymoit rien, & qu’hors l’amour de sa liberté, & les plaisirs qu’elle trouuoit si agreables de la solitude & de la Chasse rien ne le touchoit.
SCENE PREMIERE.
LA PRINCESSE, Aglante, Cinthie, Philis.
Cinthie.
IL est vray, Madame, que ce jeune Prince a fait voir vne adresse non commune, et que l’air dont il a paru a esté quelque chose de surprenant. Il sort vainqueur de cette course; mais je doute fort qu’il en sorte auec le mesme coeur qu’il y a porté. Car enfin, vous luy auez tiré des traits dont il est difficile de se deffendre, & sans parler de tout le reste, la grace de vostre danse, & la douceur de vostre voix ont eu des charmes aujourd’huy à toucher les plus insensibles.
LA PRINCESSE.
Le voicy qui s’entretient auec Moron; nous sçaurons vn peu de quoy il luy parle: Ne rompons point encore leur entretien, et prenons cette route pour reuenir à leur rencontre.
p. 56SCENE DEVXIESME.
EVRIALE, Moron, arbate.
EVRIALE.
AH! Moron, je te l’auouë, j’ay esté enchanté, et jamais tant de charmes n’ont frappé tout ensemble mes yeux et mes oreilles. Elle est adorable en tout temps, il est vray: mais ce moment l’a emporté sur tous les autres, & des graces nouuelles ont redoublé l’éclat de ses beautez. Iamais son visage ne s’est paré de plus viues couleurs, ny ses yeux ne se sont armez de traits plus vifs et plus perçans. La douceur de sa voix à voulu se faire paroistre dans vn air tout charmant qu’elle a daigné chanter, & les sons merueilleux qu’elle formoit passoient jusqu’au fond de mon ame, & tenoient tous mes sens dans un rauissement à ne pouuoir en reuenir. Elle a fait éclater en suite vne disposition toute diuine, & ses piez amoureux sur l’émail d’vn tendre gazon traçoient d’aymables caracteres, qui m’enlevoient hors de moy-mesme, & m’attachoient, par des noeuds inuaincibles aux doux & justes mouuemens dont tout son corps suiuoit les mouuemens de l’harmonie. Enfin jamais ame n’a eu de plus puissantes émotions que la mienne, et j’ay pense plus de vingt fois oublier ma resolution pour me jetter à ses pieds, & luy faire vn aueu sincere de l’ardeur que je sens pour elle.
Moron.
Donnez-vous en bien de garde, Seigneur, si vous m’en voulez croire. Vous auez trouué la meilleure inuention du monde, & je me trompe fort si elle ne vous reussit. Les femmes sont des animaux d’vn naturel bizarre, nous les gastons par nos douceurs, & je croy tout de bon que nous les verrions nous courir, sans tous ces respects, et ces soûmissions, où les hommes les acoquinent.
arbate.
Seigneur voicy la Princesse qui s'est un peu eloigné de sa suite.
p. 57Moron.
Demeurez ferme, au moins, dans le chemin que vous auez pris. Ie m’en vais voir ce qu’elle me dira: cependant promenez-vous icy dans ces petites routes sans faire aucun semblant d'auoir euie de la joindre, et si vous l'abordez, demeurez auec elle le moins qu'il vous sera possible.
SCENE TROISIESME.
LA PRINCESSE, Moron.
LA PRINCESSE.
TV as donc familiarité, Moron, auec le Prince d'Ithaque?
Moron.
Ah! Madame il y a long-temps que nous nous connoissons.
LA PRINCESSE.
D'où vient qu'il n'est pas venu jusqu'icy, et qu'il a pris cette autre route quand il ma veuë?
Moron.
C'est vn homme bizare qui ne se plaist qu'à entretenir ses pensées.
LA PRINCESSE.
Estois-tu tantost au compliment qu’il m’a fait?
Moron.
Ouy, Madame, j’y estois, & je l’ay trouué vn peu impertinent, n’en deplaise à sa Principauté.
LA PRINCESSE.
Pour moy je le confesse, Moron, cette fuite ma choquée, & j’ay toutes les enuies du monde de l’engager pour rabatre vn peu son orgueil.
Moron.
Ma foy, Madame, vous ne feriez pas mal, il le meriteroit bien: mais à vous dire vray, je doute fort que vous y puissiez reüssir.
p. 58LA PRINCESSE.
Comment!
Moron.
Comment! c’est le plus orgueilleux petit vilain que vous ayez jamais veu. Il luy semble qu’il n’y a personne au monde qui le merite, et que la terre n’est pas digne de le porter.
LA PRINCESSE.
Mais encore, ne t'a-til point parlé de moy.
Moron.
Luy? non,
LA PRINCESSE.
Il ne t'a rien dit de ma voix, et de ma danse?
Moron.
Pas la moindre mot.
LA PRINCESSE.
Certes ce mespris est choquant, et je ne peux souffrir cette hauteur estrange de ne rien estimer.
Moron.
Il n'estime, & n'ayme que luy.
LA PRINCESSE.
Il n'y a rien que je ne fasse, pour le soûmettre comme il faut.
Moron.
Nous n'auons point de marbre dans nos montagnes qui soit plus dur, & plus insensible que luy.
LA PRINCESSE.
Le voila.
Moron.
Voyez-vous comme il passe, sans prendre garde à vous?
LA PRINCESSE.
De grace, Moron, va le faire auiser que je suis icy, & l'oblige à venir aborder.
p. 59SCENE QVATRIESME.
LA PRINCESSE, EVRIALE, Moron, arbate.
Moron.
SEigneur, je vous donne auis que tout va bien? la Princesse souhaite que vous l’abordiez: mais songez bien à continuer vostre roole, & de peur de l'oublier ne soyez pas long-temps auec elle.
LA PRINCESSE.
Vous estes bien solitaire, Seigneur, & c’est vne humeur bien extraordinaire que la vostre, de renoncer ainsi à nostre sexe, & de fuyr à vostre age, cette galanterie, dont se piquent tous vos pareils.
EVRIALE.
Cette humeur, Madame, n’est pas si extraordinaire qu’on n’en trouuast des exemples sans aller loin d’icy, & vous ne sçauriez condamner la resolution que j’ay prise de n’aymer jamais rien, sans condamner aussi vos sentimens.
LA PRINCESSE.
Il y a grande difference ; & ce qui sied bien à vn sexe, ne sied pas bien à l’autre. II est beau qu’vne femme soit insensible, & conserue son coeur exempt des flames de l’amour; mais ce qui est vertu en elle, deuient vn crime dans vn homme. Et comme la beauté est le partage de nostre sexe, vous ne sçauriez ne nous point aymer, sans nous derober les hommages qui nous sont deus, & commettre vne offence dont nous deuons toutes nous ressentir.
EVRIALE.
Ie ne voy pas, Madame, que celles qui ne veulent point aymer, doiuent prendre aucun interest à ces sortes d'offences.
LA PRINCESSE.
Ce n'est pas vne raison, Seigneur, et sans vouloir aymer, on est toûjours bien-ayse d'estre aymée.
p. 60EVRIALE.
Pour moy je ne suis pas de mesme, & dans le dessein où je suis, de ne rien aymer, je serois fasché d'estre aymé.
LA PRINCESSE.
Et la raison?
EVRIALE.
C'est qu'on a obligation à ceux qui nous ayment, & que je serois fasché d'estre ingrat.
LA PRINCESSE.
Si bien donc, que pour fuyr l'ingratitude, vous aymeriez qui vous aymeroit?
EVRIALE.
Moy? Madame, point du tout. Ie dis bien que je serois faché d'estre ingrat: mais je me resoudrois plustost de l'estre, que d'aymer.
LA PRINCESSE.
Telle personne vous aymeroit, peut-estre que vostre coeur....
EVRIALE.
Non? Madame, rien n’est capable de toucher mon cœur, ma liberté est la seule maistresse à qui je consacre mes vœux, & quand le Ciel employeroit ses soins à composer vne beauté parfaite, quand il assembleroit en elle tous les dons les plus merueilleux, & du corps et de l’ame. Enfin quand il exposeroit à mes yeux vn miracle d’esprit, d’adresse, & de beauté, & que cette personne m’aymeroit auec toutes les tendresses imaginables, je vous l’auouë franchement, je ne l’aymerois pas.
LA PRINCESSE.
A-t'on jamais rien veu de tel!
Moron.
Peste soit du petit brutal, j'aurois enuie de luy bailler un coup de poing.
p. 61LA PRINCESSE parlant en soy.
Cet orgeuil me confond, & j'ay vn tel d'espit, que je ne me sens pas.
Moron parlant au Prince.
Bon courage, Seigneur, voilà qui va le mieux du monde.
EVRIALE.
Ah! Moron, je n'en puis plus, et je me suis fait des efforts estranges.
LA PRINCESSE.
C'est auoir vne insensibilité bien grande, que de parler comme vous faites.
EVRIALE.
Le Ciel ne m'a pas fait d'vne autre humeur: mais, Madame, j'interomps vostre promenade, & mon respect doit m'aduertir que vous aymez la solitude.
SCENE CINQVIESME.
LA PRINCESSE, Moron, Philis, TIRCIS.
Moron.
IL ne vous en doit rien, Madame, en dureté de coeur.
LA PRINCESSE.
Ie donnerois volontiers tout ce que j'ay au monde, pour auoir l'auantage d'en triompher.
Moron.
Ie le croy?
LA PRINCESSE.
Ne pourrois-tu, Moron, me seruir dans vn tel dessein?
Moron.
Vous açauez bien, Madame, que je suis tout à vostre seruice.
p. 62LA PRINCESSE.
Parle luy de moy dans tes entretiens, vante luy adroitement ma personne, & les auantages de ma naissance, & tache débranler ses sentimens, par la douceur de quelque espoir. Ie te permets de dire tout ce que tu voudras, pour tacher à me l’engager.
Moron.
Laissez-moy faire.
LA PRINCESSE.
C'est vne chose qui me tient au cœur, je souhaite ardamment qu’il m’ayme.
Moron.
Il est bien fait? oüy, ce petit pendart là: II a bon air, bonne phisionomie, & je croy qu’il seroit assez le fait d’vne jeune Princesse.
LA PRINCESSE.
Enfin tu peux tout esperer de moy, si tu trouues moyen d’enflammer pour moy son coeur.
Moron.
Il n’y a rien qui ne se puisse faire; mais, Madame, s’il venoit à vous aymer, que feriez-vous, s'il vous plaist?
LA PRINCESSE.
Ah! ce seroit lors que je prendrois plaisir à triompher pleinement de sa vanité, à punir son mépris par mes froideurs, & exercer sur luy toutes les cruautez que je pourrois imaginer.
Moron.
Il ne se rendra jamais.
LA PRINCESSE.
Ah! Moron, il faut faire en sorte qu'il se rende.
Moron.
Non? Il s'en fera rien, je le connois, ma peine sera inutile.
LA PRINCESSE.
Si faut-il pourtant tenter toute chose, & esprouver si son ame est entierement insensible. Allons, je veux luy parler, & suiure vne pensée qui vient de me venir.
Fin du troisiesme Acte.
QVATRIESME INTERMEDE.
SCENE PREMIERE.
Philis, TIRCIS.
Philis.
VIen, Tircis, laissons les aller, et me dis vn peu ton martyre de la façon que tu sçais faire? II y a long-temps que tes yeux me parlent; mais je suis plus ayse d’ouyr ta voix.
TIRCIS en chantant.
Philis.
Va, va, c’est de-ja quelque chose que de toucher l’oreille, & le temps amene tout. Chante moy cependant quelque plainte nouuelle que tu ayes composée pour moy.
SCENE DEVXIESME.
Moron. Philis. TIRCIS.
Moron.
AH ! ah ! je vous y prens, cruelle; vous vous écartez des autres pour ouyr mon rival?
Philis.
Oüy, je m’écarte pour cela; je te le dis encore. Je me plais auec luy, et l’on écoute volontiers les amans, lors qu’ils se plaignent aussi agreablement qu’il fait. Que ne chante-tu comme luy? je prendrois plaisir à t’écouter.
Moron.
Si je ne sçay chanter, je sçay faire autre chose, & quand....
p. 64Philis.
Tais-toy? je veux l’entendre. Dis, Tircis, ce que tu voudras.
Moron.
Ah ! cruelle….
Philis.
Silence, dis-je, ou je me mettray en colere.
TIRCIS.
Moron.
Morbleu que n’ay-je de la voix? ah! nature marastre! pourquoy ne m’as-tu pas donné dequoy chanter comme à vn autre?
Philis.
En verité, Tircis, il ne se peut rien de plus agreable, & tu l’emportes sur tous les Riuaux que tu as.
Moron.
Mais pourquoy est-ce que je ne puis pas chanter? N'ay-je pas vn estomach, vn gosier, & vne langue comme vn autre? Oüy, oüy, allons, je veux chanter aussi, et te montrer que l’Amour fait faire toutes choses. Voicy vne chanson que j’ay faite pour toy.
Philis.
Oüy, dis? je veux bien t’écouter pour la rareté du fait.
Moron.
Courage, Moron? il n’y a qu’à auoir de la hardiesse.
p. 65Moron chante.
Vivat, Moron.
Philis.
Voila qui est le mieux du monde: mais, Moron, je souhaiterois bien d’auoir la gloire, que quelque Amant fut mort pour moy; c'est vn auantage dont je n’ay pas encore joüy, et je trouue que j’aymerois de tout mon coeur vne personne qui m’aymeroit assez pour se donner la mort.
Moron.
Tu aymerois vne personne qui se tuëroit pour toy?
Philis.
Oüy.
Moron.
II ne faut que cela pour te plaire?
Philis.
Non.
Moron.
Voilà qui est fait, je te veux montrer que je me sçay tuër quand je veux.
TIRCIS chante.
Moron.
C’est vn plaisir que vous aurez quand vous voudrez.
p. 66TIRCIS chante.
Moron.
Ie vous prie de vous mesler de vos affaires, & de me laisser tuër à ma fantaisie. Allons je vais faire honte à tous les Amans; Tien? je ne suis pas homme à faire tant de façons, voy ce poignard? prens bien garde comme je vais me percer le cœur? Ie suis vostre seruiteur, quelque niais.
Philis.
Allons, Tircis, viens t’en me redire à l’echo, ce que tu m’a chanté.
IV
La Princesse esperant par vne feinte pouuoir descouurir les sentimens du Prince d’Ithaque, elle luy fit confidence qu’elle aymoit le Prince de Messene: Au lieu d’en paroistre affligé il luy rendit la pareille, & luy fit connoistre que la Princesse sa parente luy auoit donné dans la veuë, & qu’il la demanderoit en Mariage au Roy son Pere: A cette atteinte impreueuë cette Princesse perdit toute sa constance; & quoy qu’elle essayast à se contraindre deuant luy, aussi-tost qu’il fut sorty, elle demanda auec tant d’empressement à sa Cousine de ne receuoir point les seruices de ce Prince, & de ne l’espouser jamais, qu’elle ne pût le luy refuser: Elle s’en plaignit mesme à Moron, qui luy ayant dit assez franchement qu’elle l’aymoit donc, en fut chassé de sa presence.
SCENE PREMIERE.
EVRIALE, LA PRINCESSE, Moron.
LA PRINCESSE.
PRince, comme jusques icy nous auons fait paroistre vne conformité de sentimens, & que le Ciel a semblé mettre en nous mesmes attachemens pour nostre liberté, & mesme auersion pour l’Amour; je suis bien ayse de vous ouurir mon coeur, & de vous faire confidence d’vn changement dont vous serez surpris. I'ay toûjours regardé l’Hymen comme vne chose affreuse ; et j’auois fait serment d’abandonner plutost la vie, que de me resoudre jamais à perdre cette liberté pour qui j’auois des tendresses si grandes: mais, enfin, vn moment a dissipé toutes ces resolutions, le merite d’vn Prince m’a frapé aujourd’huy les yeux, & mon ame tout d’vn coup (comme par vn miracle) est deuenuë sensible aux traits de cette passion que j’auois p. 68 toûjours mesprisée. I'ay trouué d’abord des raisons pour authoriser ce changement, & je puis l’apuyer de la volonté de respondre aux ardantes sollicitations d’vn Pere, et aux voeux de tout vn Estat; mais, à vous dire vray, je suis en peine du jugement que vous ferez de moy, & je voudrois sçauoir si vous condamnerez ou non le dessein que j'ay de me donner vn Espoux.
EVRIALE.
Vous pourriez faire vn tel choix, Madame, que je l’approuuerois sans doute.
LA PRINCESSE.
Qui croyez-vous, à vostre auis, que je veüille choisir?
EVRIALE.
Si j’estois dans vostre cœur, je pourrois vous le dire: mais comme je n’y suis pas, je n’ay garde de vous respondre.
LA PRINCESSE.
Deuinez pour voir, et nommez quelqu’vn.
EVRIALE.
I'aurois trop peur de me tromper.
LA PRINCESSE.
Mais, encore, pour qui souhaiteriez-vous que je me declarasse ?
EVRIALE.
Ie sçay bien, à vous dire vray, pour qui je le souhaiterois: mais auant que de m’expliquer, je dois sçauoir vostre pensée.
LA PRINCESSE.
Et bien Prince, je veux bien vous la descouvrir: je suis seure que vous allez aprouuer mon choix, & pour ne vous point tenir en suspent dauantage, le Prince de Messene est celuy de qui le merite s’est attiré mes voeux.
EVRIALE.
O Ciel!
LA PRINCESSE.
Mon inuention à reussi, Moron, le voila qui se trouble.
p. 69Moron. parlant à la Princesse. au Prince. à la Princesse. au Prince.
Bon, Madame. Courage, Seigneur. II en tient. Ne vous defaites pas.
LA PRINCESSE.
Ne trouuez-vous pas que j’ay raison, & que ce Prince à tout le merite qu’on peut auoir?
Moron au Prince.
Remettez-vous, et songez à respondre.
LA PRINCESSE.
D'où vient, Prince, que vous ne dites mot, et semblez interdit?
EVRIALE.
Ie le suis à la vérité, & j’admire, Madame, comme le Ciel a pû former deux ames aussi semblables en tout que les nostres: deux ames en qui l’on ait veu vne plus grande conformité de sentimens, qui ayent fait éclater dans le mesme temps vne resolution à brauer les traits de l’Amour, & qui dans le mesme moment ayent fait paroistre vne égale facilité à perdre le nom d’insensibles: Car enfin, Madame, puis que vostre exemple m’authorise, je ne feindray point de vous dire, que l’Amour aujourd’huy s’est rendu maistre de mon coeur, et qu’vne des Princesses, vos Cousines, l’aymable & belle Aglante, a renuersé d’vn coup d’oeil tous les projets de ma fierté. Ie suis rauy, Madame, que par cette égalité de défaite, nous n’ayons rien à nous reprocher l’vn & l’autre; & je ne doute point, que comme je vous louë infiniement de vostre choix, vous n’aprouuiez aussi le mien. II faut que ce miracle éclate aux yeux de tout le monde, & nous ne deuons point differer à nous rendre tous deux contens. Pour moy, Madame, je vous sollicite de vos suffrages, pour obtenir celle que je souhaite, & vous trouuerez bon que j’aille de ce pas en faire la demande au Prince vostre Pere.
Moron.
Ah digne ! ah braue coeur !
p. 70SCENE DEVXIESME.
LA PRINCESSE, Moron.
LA PRINCESSE.
AH ! Moron, je n’en puis plus, & ce coup que je n’attendois pas, triomphe absolument de toute ma fermeté.
Moron.
II est vray que le coup est surprenant, et j’auois creu d’abord, que vostre stratageme auoit fait son effet.
LA PRINCESSE.
Ah ! ce m’est vn despit à me desesperer, qu’vne autre ait l’auantage de soûmettre ce cœur que je voulois soûmettre.
SCENE TROISIESME.
LA PRINCESSE, Aglante, Moron.
LA PRINCESSE.
PRincesse, j’ay à vous prier d’vne chose qu’il faut absolument que vous m’accordiez: Le Prince d’Ithaque vous ayme, & veut vous demander au Prince mon Pere.
Aglante.
Le Prince d’Ithaque, Madame !
LA PRINCESSE.
Oüy, il vient de m’en asseurer luy-mesme, et m’a demandé mon suffrage pour vous obtenir, mais je vous conjure de rejetter cette proposition, et de ne point prester l’oreille à tout ce qu’il pourra vous dire.
Aglante.
Mais, Madame, s’il estoit vray que ce Prince m’aymast effectiuement, pourquoy n’ayant aucun dessein de vous engager, ne voudriez-vous pas soufrir….
p. 71LA PRINCESSE.
Non, Aglante, je vous le demande, faites-moy ce plaisir, je vous prie, & trouuez bon que n’ayant pû auoir l’auantage de le soûmettre, je luy dérobe la joye de vous obtenir.
Aglante.
Madame, il faut vous obéïr; mais je croirois que la conqueste d’vn tel cœur ne seroit pas vne victoire à dédaigner.
LA PRINCESSE.
Non, non, il n’aura pas la joye de me brauer entierement.
SCENE QUATRIESME.
Aristomene, Moron, LA PRINCESSE, Aglante.
Aristomene.
MAdame, je viens à vos pieds rendre grace à l’Amour de mes heureux destins, & vous tesmoigner auec mes transports, le ressentiment où je suis, des bontez surprenantes dont vous daignez fauoriser le plus soûmis de vos captifs.
LA PRINCESSE.
Comment?
Aristomene.
Le prince d’Ithaque, Madame, vient de m’asseurer tout à l’heure, que vostre coeur auoit eu la bonté de s’expliquer en ma faueur, sur ce celebre choix qu’attend toute la Grece.
LA PRINCESSE.
II vous a dit qu’il tenoit cela de ma bouche?
Aristomene.
Oüy, Madame.
LA PRINCESSE.
C'est vn estourdy, et vous estes vn peu trop credule, Prince, p. 72 d’ajouster foy si promptement à ce qu’il vous a dit; vne pareille nouuelle meriteroit bien, ce me semble, qu’on en doutast vn peu de temps, et c’est tout ce que vous pourriez faire de la croire, si je vous l’auois dite moy-mesme.
Aristomene.
Madame, si j’ay esté trop promt à me persuàder….
LA PRINCESSE.
De grace, Prince, brisons là ce discours, & si vous voulez m’obliger, souffrez que je puisse joüyr de deux momens de solitude.
SCENE CINQVIESME.
LA PRINCESSE, Aglante, Moron.
LA PRINCESSE.
AH ! qu’en cette avanture, le Ciel me traite auec vne rigueur estrange ! au moins, Princesse, souuenez-vous de la priere que je vous ay faite?
Aglante.
Je vous l’ay dit des-ja, Madame, il faut vous obeïr.
Moron.
Mais, Madame, s’il vous aymoit vous n’en voudriez point, et cependant vous ne voulez pas qu’il soit à vn autre: C'est faire justement comme le chien du Jardinier.
LA PRINCESSE.
Non, je ne puis souffrir qu’il soit heureux auec vne autre, & si la chose estoit, je croy que j’en mourrois de deplaisir.
Moron.
Ma foy, Madame, auüons la dette, vous voudriez qu’il fût à vous, et dans toutes vos actions, il est aysé de voir que vous aymez vn peu, ce jeune Prince.
LA PRINCESSE.
Moy, je l’ayme? O Ciel ! je l’ayme? auez-vous l’insolence de prononcer ces paroles, sortez de ma veuë impudent, & ne vous presentez jamais deuuant moy.
p. 73Moron.
Madame….
LA PRINCESSE.
Retirez-vous d’icy, vous dis-je, ou je vous en feray retirer d’vne autre maniere.
Moron.
Ma foy son coeur en a sa prouision, &….
SCENE SIXIESME.
LA PRINCESSE.
DE quelle émotion inconnuë sens-je mon coeur atteint! & qu'elle inquietude secrette est venu troubler tout d’vn coup la tranquillité de mon ame? Ne seroit-ce point aussi, ce qu’on vient de me dire, et sans en rien sçauoir, n’aymerois-je point ce jeune Prince? Ah! si cela estoit je serois vne personne à me desesperer: mais il est impossible que cela soit, & je voy bien que je ne puis pas l’aymer. Quoy? je serois capable de cette lascheté. J'ay veu toute la Terre à mes pieds, auec la plus grande insensibilité du monde. Les respects, les hommages & les soûmissions n’ont jamais pû toucher mon ame, & la fierté et le dédain en auroient triomphé. J'ay mesprisé tous ceux qui m’ont aymée, & j’aymerois le seul qui me mesprise? Non, non, je sçay bien que je ne l’ayme pas. II n’y a pas de raison à cela: Mais si ce n’est pas de l’amour que ce que je sens maintenant, qu’est-ce donc que ce peut estre? et d’où vient ce poison qui me court par toutes les veines, et ne me laisse point en repos auec moy-mesme? Sors de mon coeur, qui que tu sois, ennemy qui te caches, attaque moy visiblement, & deuiens à mes yeux la plus affreuse beste de tous nos bois, afin que mon dart & mes fleches me puissent deffaire de toy. O vous? admirables personnes, qui par la douceur de vos chants auez l’art d’adoucir les plus fascheuses inquietudes, approchez-vous d’icy de grace, & tachez de charmer auec vostre musique le chagrin où ie suis.
Fin du quatriesme Acte.
CINQVIESME INTERMEDE.
CLIMENEPhilis.
CLLIMENE.
CHere Philis, dis-moy, que crois-tu de l’Amour?
Philis.
Toy-mesme, qu’en crois-tu, ma compagne fidelle,
CLIMENE.
Philis.
CLIMENE.
A qui des deux donnerons-nous victoire?
Philis.
Qu'en croyrons-nous, ou le mal ou le bien?
CLIMENE, ET Philis. ensemble.
Philis.
CLIMENE.
Philis.
CLIMENE.
Philis.
A qui des deux donnerons-nous victoire?
CLIMENE.
TOVTES DEVX ENSEMBLES.
LA Princesse les interrompit en cet endroit, & leur dit, Acheuez seules si vous voulez, je ne sçaurois demeurer en repos & quelque douceur qu’ayent vos chants, ils ne font que redoubler mon inquietude.
ACTE CINQVIESME.
ARGVMENT.
Il se passoit dans le cœur du Prince de Messene des choses bien differentes; la joye que lui auoit donnée le prince d’Ithaque, en luy apprenant malicieusement qu’il estoit aymé de la Princesse, l’auoit obligé de l’aller trouuer auec vne inconsideration que rien qu’vne extréme amour ne pouuoit excuser; mais il en auoit esté receu d’vne maniere bien differente à ce qu’il esperoit. Elle luy demanda qui luy auoit appris cette nouuelle, & quand elle eut sçeu que sçauoit esté le Prince d’Ithaque, cette connoissance augmenta cruellement son mal, & luy fit dire à demy desespérée, c’est vn estourdy; & ce mot estourdit si fort le Prince de Messene, qu’il sortit tout confus sans lui pouuoir respondre. La Princesse d’vn autre costé alla trouuer le Roy son Pere, qui venoit de paroistre auec le Prince d’Ithaque, & qui luy tesmoignoit, non seulement la joye qu’il auroit euë de le voir entrer dans son alliance, mais l’opinion qu’il commençoit d’auoir que sa fille ne le haissoit pas: Elle ne fut pas plustot aupres de luy, que se jettant à ses pieds, elle luy demanda pour la plus grande faueur qu’elle en pust jamais receuoir, que le prince d’Ithaque n’espousast jamais la Princesse.
Ce qu’il luy promit solemnellement; mais il luy dit que si elle ne vouloit point qu’il fut à vne autre, il falloit qu’elle le prit pour elle : Elle luy respondit, il ne le voudroit pas; mais d’vne maniere si passionée, qu’il estoit aisé de connoistre les sentiments de son cœur. Alors le Prince quittant toute sorte de feinte, luy confessa son amour, & le stratageme dont il s’estoit seruy pour venir au point ou il se voyoit alors par la connoissance de son humeur: La Princesse luy donnant la main, le Roy se tourna vers les deux Princes de Messene & de Pyle, & leur demanda si ses deux parentes, dont le merite n’estoit pas moindre que la qualité, ne seroient point capables de les consoler de leur disgrace; ils luy resp. 76pondirent que l’honneur de son alliance faisant tous leurs souhaits, ils ne pouuoient esperer vne plus heureuse fortune. Alors la joye fut si grande dans le Palais, qu’elle se respandit par tous les enuirons.
SCENE PREMIERE.
LE PRINCE, EVRIALE, Moron, Aglante, Cinthie.
Moron.
OVy, Seigneur, ce n’est point raillerie, j’en suis ce qu’on appelle disgracié. II m’a falu tirer mes chausses au plus viste, & jamais vous n’auez veu vn en emportement plus brusque que le sien.
LE PRINCE.
Ah ! Prince, que je deuray de graces à ce stratageme amoureux, s’il faut qu’il ait trouué le secret de toucher son coeur.
EVRIALE.
Quelque chose, Seigneur, que l’on vienne de vous en dire, je n’ose encore, pour moy, me flatter de ce doux espoir: mais enfin si ce n’est pas à moy trop de temerité, que d’oser aspirer a l’honneur de vostre alliance, si ma personne, & mes Estats...
LE PRINCE.
Prince, n’entrons point dans ces complimens, je trouue en vous dequoy remplir tous les souhaits d’vn pere, & si vous auez le coeur de ma fille, il ne vous manque rien.
SCENE DEVXIESME.
LA PRINCESSE, LE PRINCE EVRIALE, Aglante, Cinthie, Moron.
LA PRINCESSE.
O Ciel ! que vois-je icy ?
p. 77LE PRINCE.
Oüy, l’honneur de vostre alliance m’est d’vn prix tres-considerable, & je souscris aysement de tous mes suffrages à la demande que vous me faites.
LA PRINCESSE.
Seigneur, je me jette à vos pieds pour vous demander vne grace. Vous m’auez toûjours tesmoigné vne tendresse extréme, & je croy vous deuoir bien plus par les bontez que vous m'auez fait voir, que par le jour que vous m'auez donné: Mais si jamais pour moy vous auez eu de l'amitié, je vous en demande aujourd'huy la plus sensible preuue que vous me puissez accorder; c'est de n'écouter point, Seigneur, la demande de ce Prince, & de ne pas souffrir que la Princesse Aglante soit vnie auec luy.
LE PRINCE.
Et par quelle raison, ma Fille, voudrois-tu t’opposer à cette vnion ?
LA PRINCESSE.
Par la raison, que je hais ce Prince, et que je veux, si je puis, trauerser ses desseins.
LE PRINCE.
Tu le hais, ma Fille?
LA PRINCESSE.
Oüy, & de tout mon coeur, je vous l’auouë.
LE PRINCE.
Et que ta-t'il fait?
LA PRINCESSE.
Il ma mesprisée.
LE PRINCE.
Et comment?
p. 78LA PRINCESSE.
II ne m’a pas trouuée assez bien faite pour m’addresser ses voeux.
LE PRINCE.
Et quelle offence te fait cela ? Tu ne veux accepter personne ?
LA PRINCESSE.
N'importe, il me deuoit aimer comme les autres, et me laisser, au moins, la gloire de le refuser: Sa declaration me fait vn affront, & ce m’est vne honte sensible, qu’à mes yeux, & au milieu de vostre Cour il a recherché vne autre que moy.
LE PRINCE.
Mais quel interest dois-tu prendre à luy?
LA PRINCESSE.
I'en prens, Seigneur, à me vanger de son mespris, & comme je sçay bien qu’il ayme Aglante auec beaucoup d’ardeur, je veux empescher, s’il vous plaist, qu’il ne soit heureux auec elle.
LE PRINCE.
Cela te tient donc bien au coeur?
LA PRINCESSE.
Oüy, Seigneur, sans doute, & s’il obtient ce qu’il demande, vous me verrez expirer à vos yeux.
LE PRINCE.
Va, va ma Fille, auouë franchement la chose. Le merite de ce Prince t’a fait ouurir les yeux, & tu l’aymes, enfin, quoy que tu puisse dire.
LA PRINCESSE.
Moy, Seigneur?
LE PRINCE.
Oüy, tu l’aymes.
LA PRINCESSE.
Ie l’ayme, dites-vous? & vous m’imputez cette lascheté, O Ciel ! quelle est mon infortune? puis-je bien, sans mourir, entendre p. 79 ces paroles, & faut-il que je sois si malheureuse qu’on me soupçonne de l’aymer. Ah ! si c’estoit vn autre que vous, Seigneur, qui me tint ce discours, je ne sçay pas ce que je ne ferois point.
LE PRINCE.
Et bien? oüy, tu ne l’aymes pas. Tu le hais, j’y consens, & je veux bien pour te contenter qu’il n’espouse pas la Princesse Aglante.
LA PRINCESSE.
Ah ! Seigneur, vous me donnez la vie.
LE PRINCE.
Mais afin d’empescher qu’il ne puisse jamais estre à Elle, il faut que tu le prenne pour toy.
LA PRINCESSE.
Vous vous mocquez, Seigneur, & ce n’est pas ce qu’il demande.
EVRIALE.
Pardonnez-moy, Madame, je suis assez temeraire pour cela, & je prens à tesmoin le Prince vostre Pere, si ce n’est pas vous que j’ay demandée. C'est trop vous tenir dans l’erreur, il faut lever le masque, & deussiez-vous vous en preualoir contre moy, descouvrir à vos yeux les veritables sentimens de mon coeur. Ie n’ay jamais aymé que vous, & jamais je n’aymeray que vous. C’est vous, Madame, qui m’auez enlevé cette qualité d’insensible, que j’auois toûjours affectée, et tout ce que j’ay pû vous dire, n’a esté qu’vne feinte qu’vn mouuement secret m’a inspirée, et que je n’ay suiuie qu’auec toutes les violences imaginables. Il falloit qu’elle cessast bien-tost, sans doute, & je m’estonne seulement qu’elle ait pû durer la moitié d’vn jour; car enfin je mourois, je bruslois dans l’ame quand je vous déguisois mes sentimens, & jamais cœur n’a souffert vne contrainte égale à la mienne. Que si cette feinte, Madame, à quelque chose qui vous offence je suis tout prest de mourir pour vous en vanger: Vous n’auez qu’à parler, et ma main sur le champ fera gloire d’executer l’Arrest que vous prononcerez.
p. 80LA PRINCESSE.
Non, non, Prince, je ne vous sçay pas mauuais gré de m’auoir abusée, et tout ce que vous m’auez dit, je l’ayme bien mieux vne feinte, que non pas vne verité.
LE PRINCE.
Si bien donc, ma Fille, que tu veux bien accepter ce Prince pour Espoux?
LA PRINCESSE.
Seigneur, je ne sçay pas encore ce que je veux: donnez-moy le temps d’y songer, je vous prie, et m’épargnez vn peu la confusion où je suis.
LE PRINCE.
Vous jugez, Prince, ce que cela veut dire, & vous vous pouuez fonder la dessus.
EVRIALE.
Ie l’attendray tant qu’il vous plaira, Madame, cet arrest de ma destinée, & s’il me condamne à la mort, je le suiuray sans murmure.
Vien, Moron, c’est icy vn jour de paix, & je te remets en grace auec la Princesse.
Moron.
Seigneur, je seray meilleur Courtisan vne autre fois, et je me garderay bien de dire ce que je pense.
p. 81SCENE TROISIESME.
Aristomene, THEOCLES, LE PRINCE, LA PRINCESSE, Aglante, Cinthie, Moron.
LE PRINCE.
IE crains bien, Princes, que le choix de ma Fille ne soit pas en vostre faueur; mais voila deux Princesses qui peuuent bien vous consoler de ce petit malheur.
Aristomene.
Seigneur, nous sçauons prendre nostre party, & si ces aymables Princesses n’ont point trop de mespris pour les coeurs qu’on a rebutez; nous pouuons reuenir par elles, à l’honneur de vostre alliance.
SCENE QVATRIESME.
Philis, Aristomene, THEOCLES, LE PRINCE, LA PRINCESSE, Aglante, Cinthie, Moron.
Philis.
SEigneur, la Deesse Venus vient d’annoncer par tout le changement du coeur de la Princesse: Tous les Pasteurs & toutes les Bergeres en tesmoignent leur joye par des dances & des chansons, & si ce n’est point vn spectacle que vous méprisiez, vous allez voir l’allegresse publique se repandre jusques icy.
Fin du cinquiesme Acte.
SIXIESME INTERMEDE.
CHOEVR DE PASTEVRS ET DE BERGERES QVI DANSENT.
Quatre Bergers & deux Bergeres Heroïques, representez les premiers par les Sieurs le Gros, Estiual Don & Blondel, & les deux Bergeres par & Madlle. Hilaire se prenant la main, chanterent cette Chanson à danser à laquelle les autres respondirent.
CHANSON.
Pendant que ces aymables personnes dansoient, il sortit de dessous le Theatre la machine d’vn grand arbre chargé de seize p. 83Faunes, dont les huit joüerent de la Fluste, & les autres du Violon auec vn concert le plus agreable du monde. Trente Violons leur respondoient de l’Orchestre, auec six autres concertans de Clauessins & de Theorbes, qui estoient les Sieurs D’Anglebert, Richard, Itier, , Tissu & le Moine.
Et quatre Bergers & quatre Bergeres vinrent danser vne fort belle entrée, à laquelle les Faunes descendans de l’arbre se meslerent de temps en temps, & toute cette Scene fust si grande, si remplie & si agreable, qu’il ne s’estoit encore rien veu de plus beau en Ballet.
Aussi fit-elle vne aduantageuse conclusion aux diuertissemens de ce jour, que toute la Cour ne loüa pas moins que celuy qui l’auoit precedé, se retirant auec vne satisfaction qui luy fit bien esperer de la suite d’vne Feste si complette.
Les Bergers estoient. Les Sieurs Chicanneau, du Pron, Noblet, & la Pierre.
Et les Bergeres. Les Sieurs Baltazard, Magny, Arnald, & Bonnard.
TROISIESME IOVRNÉE DES PLAISIRS DE L’ISLE ENCHANTÉE.
PLVS on s’auançoit vers le grand Rondeau qui representoit le Lac, sur lequel estoit autresfois basty le Palais d’Alcine: Plus on s’approchoit de la fin des diuertissemens de l’Isle Enchantée, comme s’il n’eust pas été juste que tant de braues Cheualiers demeurassent plus long-temps dans vne oysiueté qui eust fait tort à leur gloire.
On feignoit donc, suiuant toûjours le premier dessein, que le Ciel ayant resolu de donner la liberté à ces Guerriers; Alcine en eut des pressentimens qui la remplirent de terreur & d’inquietudes: Elle voulut apporter tous les remedes possibles pour preuenir ce malheur, & fortifier en toutes manieres vn lieu qui pût renfermer tout son repos & sa joye.
On fit paroistre sur ce Rondeau, dont l’estenduë & la forme sont extraordinaires, vn Rocher situé au milieu d’vne Isle couuerte de diuers animaux, comme s’ils eussent voulu en deffendre l’entrée.
Deux autres Isles plus longues, mais d’vne moindre largeur, paroissoient aux deux costez de la premiere, & toutes trois aussi bien que les bords du Rondeau, estoient si fort esclairées, que ces lumieres faisoient naistre vn nouueau jour dans l’obscurité de la nuit.
Leurs Majestez estant arriuées, n’eurent pas plustost pris npleur place, que l’vne des deux Isles qui paroissoient aux costez de la premiere, fut toute couuerte de Violons fort bien vestus.
L’autre qui luy estoit opposée, le fut en mesme temps de Trompettes & de Tymballiers, dont les habits n’estoient pas moins riches.
Mais ce qui surprit dauantge, fut de voir sortir Alcine de derriere le Rocher, portée par vn Monstre-Marin d’vne grandeur prodigieuse.
Deux des Nymphes de sa suite, sous les noms de Celie et de Dircé, partirent au mesme temps à sa suite; & se mettant à ses costez sur de grandes Baleines, elles s’approcherent du bord du Rondeau, & Alcine commença des Vers, ausquels ses Compagnes respondirent, & qui furent à la loüange de la Reyne Mere du Roy.
ALCINE.
CÉLIE.
ALCINE.
CELIE.
DIRCÉ.
ALCINE.
CELIE.
ALCINE.
DIRCÉ
ALCINE.
- Alcine. Madlle. du Parc.
- Celie. Madlle. de Brie.
- Dircé. Madlle. Moliere.
LOrs qu’ils furent acheuez, & qu’Alcine se fut retirée pour aller redoubler les Gardes du Palais, le concert des Violons se fit entendre; pendant que le Frontispice du Palais venant à s’ouurir auec vn merueilleux artifice, & des Tours à s’esleuer à veuë d’œil.
Quatre Geants d’vne grandeur desmesurée, vinrent à paroistre auec quatre Nains; qui par l’opposition de leur petite taille, faisoient paroistre celle des Geants encore plus excessiue. Ces Colloses estoient commis à la garde du Palais, & ce fut par eux que commença la premiere Entrée du Ballet.
npBALLET DV PALAIS D'ALCINE
PREMIERE ENTRÉE
- Geants. Les Sieurs Mançeau, Vagnard, Pesan, & Ioubert.
- Nains. Les deux petits Des-Airs, le petit Vagnard, & le petit Tutin.
II. ENTRÉE
- Maures. Messieurs d’Heureux, Beauchamp, Molier, La Marre, Les Sieurs Le Chantre, de Gan, Du Pron, & Mercier.
III. ENTRÉE
CEpendant vn despit amoureux oblige six Cheualiers qu’Alcine retenoit aupres d’elle, à tenter la sortie de ce Palais; mais la fortune ne secondant pas les efforts qu’ils font dans leur desespoir, ils sont vaincus apres vn grand combat, par autant de Monstres qui les attaquent.
Six Cheualiers, & six Monstres.
- Cheualiers. Messieurs de Souuille, Raynal, Des-Airs l’aisné, Des-Airs le second, De Lorge, & Balthasard.
- Monstres. les Sieurs Chicanneau, Noblet, Arnald, Desbrosses, Desonets, & la Pierre.
IV. ENTRÉE
- Demons agilles. Les Sieurs S. André, & Magny.
V. ENTRÉE
- Autres Demons Sauteurs. Les Sieurs Tutin, La Brodiere, Pesan,& Bureau.
VI. ET DERNIERE ENTRÉE.
- Alcine. Madlle. du Parc.
- Melisse. De Lorge.
- Roger. M. Beauchamp.
- Cheualiers. Messieurs d’Heureux, Raynal, Du Pron, & Desbrosses.
- Escuyers. Messieurs La Marre, Le Chantre, De Gan, & Mercier.
FIN DV BALLET.
IL sembloit que le Ciel, la Terre & l’Eau fussent tous en feu, & que la destruction du superbe Palais d’Alcine, comme la liberté des Cheualiers qu’elle y retenoit en prison, ne se pût accomplir que par des prodiges & des miracles: La hauteur & le nombre des fusées volantes, celles qui rouloient sur le riuage, & celles qui ressortoient de l’eau apres s’y estre enfoncées, faisoient vn spectacle si grand & si magnifique, que rien ne pouuoit mieux terminer les enchantemens qu’vn si beau Feu d’Artifice; lequel ayant enfin cessé apres vn bruit & vne longueur extraordinaires, les coups de boëttes qui l’auoient commencé redoublerent encore.
Alors toute la Cour se retirant, confessa qu’il ne se pouuoit rien voir de plus acheué que ces trois Festes: Et c’est assez aduoëer qu’il ne s’y pouuoit rien adjouster, que de dire que les trois Iournées ayant eu chacune ses partisans, comme chacun auoit eu ses beautez particuliers, on ne conuint pas du prix qu’elles deuoient emporter entre-elles; bien qu’on demeurast d’accord qu’elles pouuoient justement le disputer à toutes celles qu’on auoit veuës jusques alors, & les surpasser peut-estre.
Mais quoy que les Festes comprises dans le sujet des Plaisirs de l’Isle Enchantée fussent terminées, tous les diuertissemens de Versailles ne l’estoient pas; & la magnificence & la galanterie du Roy, en auoit encore réserué pour les autres jours, qui n’estoient pas moins agreables.
Le Samedy dixiesmeSa Majesté voulut courir les testes; c’est vn exercice que peu de gens ignorent, & dont l’vsage est venu d’Allemagne, fort bien inuenté, pour faire voir l’addresse d’vn Caualier; tant à bien mener son cheual dans les passades de guerre, qu’à bien se seruir d’vne lance, d’vn dard, & d’vne espée. Si quelqu’vn ne les a point veu courre, il en trouuera icy la description, estant moins communes que la bague, & seulement icy depuis peu d’années, & ceux qui en ont eu le plaisir, ne s’ennuyent pas pourtant d’vne narration si peu estenduë.
Les Cheualiers entrent l’vn apres l’autre dans la Lice la lance à la main, & vn dard sous la cuisse droite; & apres np que l’vn d’eux a couru & emporté vne Teste de gros carton peinte, & de la forme de celle d’vn Turc, il donne sa lance à vn Page, & faisant la demy-volte il reuient à toute bride à la seconde Teste, qui a la couleur & la forme d’vn Maure, l’emporte auec le dard qui luy jette en passant; puis reprenant vne jaueline, peu diferente de la forme du dard, dans vne troisiesme passade il la darde dans vn bouclier où est peinte vne teste de Meduse; & acheuant sa demy-volte il tire l’espée, dont il emporte en passant toûjours à toute bride vne teste esleuée à vn demy pied de terre; puis faisant place à vn autre, celuy qui en ses courses en a emporté le plus, gagne le prix.
Toute la Cour s’estant placée sur vne balustrade de fer doré, qui regnoit autour de l’agreable maison de Versailles, & qui regarde sur le fossé, dans lequel on auoit dressé la Lice auec des barrieres.
Le Roy s’y rendit suiuy des mesmes Cheualiers qui auoient couru la bague: Les Ducs de S. Aignan & de Noailles y continäns leurs premieres fonctions; l’vn de Mareschal de Camp, & l’autre de Iuge des Courses: Il s’en fit plusieurs fort belles & heureuses; mais l’addresse du Roy luy fit emporter hautement en suitte du prix de la Course des Dames, encore celuy que donnoit la Reyne; c’estoit vne rose de Diamans de grand prix, que le Roy, apres l’auoir gagnée, redonna liberalement à courre aux autres Cheualiers, & que le Marquis de Coaslin disputa contre le Marquis de Soyecourt& la gagna.
Le Dimanche au leuer du Roy, quasi toute la conuersation tourna sur les belles Courses du jour precedent, & donna lieu à vn grand deffy entre le Duc de S. Aignan, qui n’auoit point encore couru, & le Marquis de Soyecourt, qui fut remise au lendemain, pource que le Mareschal Duc de Grammont, qui parioit pour ce Marquis, estoit obligé de partir pour Paris, d’où il ne deuoit reuenir que le jour d’apres.
Le Roy mena toute la Cour cette apresdinée à sa Mesnagerie, dont on admira les beautez particulieres, & le nombre presque incroyable d’oyseaux de toutes sortes; parmy np lesquels il y en a beaucoup de fort rares. Il seroit inutile de parler de la collation qui suiuit ce diuertissement, puis que huit jours durant chaque repas pouuoit passer pour vn Festin des plus grands qu’on puisse faire.
Et le soir Sa Majesté, fit representer sur l’vn des theatres doubles de son Sallon, que son Esprit vniuersel a luy-mesme inuentez, la Comedie des Fascheux faite par le Sieur de Moliere, meslée d’entrées de Ballet, & fort ingenieuse.
Le bruit du deffy qui se deuoit courir le Lundi douziesme, fit faire vne infinité de gageures d’assez grande valeur; quoy que celle des deux Cheualiers ne fut que de cent pistolles: Et comme le Duc par vne heureuse audace donnoit vne Teste à ce Marquis fort adroit, beaucoup tenoient pour ce dernier; qui s’estant rendu vn peu plus tard chez le Roy, y trouua vn cartel pour le presser, lequel pour n’estre qu’en prose, on n’a point mis en ce discours.
Le Duc de S. Aignan, auoit aussi fait voir à quelques vns de ses amis, comme vn heureux presage de sa victoire, ces quatre Vers.
AVX DAMES.
Faisant toûjours allusion à son nom de Guidon le Sauvage, que l’aventure de l’île perilleuse rendit vainqueur de dix chevaliers.
Aussi-tost que le Roy eust disné, il conduisit les Reynes, Monsieur, Madame, & toutes les Dames dans vn lieu ou on deuoit tirer vne Loterie, afin que rien ne manquast à la galanterie de ces Festes; c’estoit des pierreries, des ameublemens, de l’argenterie & autres choses semblables: Et quoyque le sort ait accoustumé de decider de ces presens, il s’accorda sans doute auec le desir de S. M. quand il fit tomber le gros lot entre les mains de la Reyne; chacun sortant de ce lieu là fort content, pour aller voir les Courses qui s’alloient commencer.
npEnfin Guidon & Oliuier parurent sur les rangs à cinq heures du soir, fort proprement vestus & bien montez.
Le Roy auec toute la Cour les honora de sa presence; & Sa Majesté leust mesme les Articles des Courses, afin qu’il n’y eust aucune contestation entre-eux. Le succés en fut heureux au Duc de S. Aignan, qui gagna le deffy.
Le soir, Sa Majesté fit joüer vne Comedie, nommée Tartuffe, que le Sieur de Molliere auoit fait contre les Hypocrites; mais quoy qu’elle eut esté trouuée fort diuertissante, le Roy connut tant de conformité entre ceux qu’vne veritable devotion met dans le chemin du Ciel, & ceux qu’vne vaine ostentation des bonnes œuures n’empesche pas d’en commettre de mauuaises; que son extréme délicatesse pour les choses de la Religion, ne put souffrir cette ressemblance du vice auec la vertu, qui pouuoient estre prise l’vne pour l’autre: Et quoy qu’on ne doutast point des bonnes intentions de l’Autheur, il la deffendit pourtant en public, & se priua soy-mesme de ce plaisir, pour n’en pas laisser abuser à d’autres, moins capables d’en faire vn juste discernement.
Le Mardy treiziesme, le Roy voulut encore courre les Testes, comme à vn jeu ordinaire que deuoit gagner celuy qui en feroit le plus: Sa Majesté eut encore le prix de la Course des Dames, le Duc de S. Aignan celuy du jeu; & ayant eu l’honneur d’entrer pour le second à la dispute auec Sa Majesté: L’addresse incomparable du Roy luy fit encore auoir ce prix, & ce ne fut pas sans vn estonnement duquel on ne pouuoit se deffendre, qu’on en vit gagner quatre à Sa Majesté en deux fois qu’elle auoit couru les testes.
On joäa le mesme soir la Comedie du Mariage Forcé, encore de la façon du mesme Sieur de Molliere, meslée d’entrées de Balets, & de Recits: Puis le Roy prit le chemin de Fontainebleau le Mercredy quatorziesme; toute la Cour se trouuant si satisfaite de ce qu’elle auoit veu, que chacun crut qu’on ne pouuoit se passer de le mettre par escrit, pour en donner connoissance à ceux qui n’auoient pû voir des Festes si diuersifiées & si agreables; où l’on a pû admirer tout à la fois le projet auec le succés, la liberalité auec la politesse, le grand nombre auec l’ordre, & la np satisfaction de tous: Où les soins infatigables de Monsieur de Colbert s’employerent dans tous ces diuertissemens, malgré ses importantes affaires; où le Duc de S. Aignan, joignit l’action à l’inuention du dessein; où les beaux vers du President de Perigny à la loüange des Reynes, furent si justement pensez, si agreablement tournez, & récitez auec tant d’Art; où ceux que Monsieur de Bensserade fit pour les Cheualiers, eurent vne approbation generalle; où la vigilance exacte de Monsieur Bontemps, & l’application de Monsieur de Launay, ne laisserent manquer d’aucune des choses necessaires: Enfin, où chacun à marquer si aduantageusement son dessein de plaire au Roy; dans le temps où Sa Majesté ne pensoit elle-mesme qu’à plaire; & où ce qu’on a veu ne sçauroit jamais se perdre dans la memoire des Spectateurs, quand on n’auroit pas pris le soin de conseruer par cét escrit le souuenir de toutes ces merueilles.
FIN.