« Régalante », La Muze historique, Lettre XXXI, Lettre en vers à Son Altesse Madame la Duchesse de Nemours. Du samedi 9 août 1664.

Loret Jean (1595 ?-1665).
Paris, P. Daffis, 1878, t. IV, p. 231-233.

Responsables : Mathilde Nicolas, Transcription et balisage — Clément Cadiot, Balisage.

[p. 231]

LETTRE TRENTE-UNE
Du [samedi] neuviéme Aoust.
RÉGALANTE.

COMME on tient quazy pour certain
Que le Légat viendra demain
Faire icy sa superbe Entrée,
Des Gens-de-bien si dézirée,
J'ay Peur d’être réduit au point
De ne travailler du tout point ;
Car voulant de cette Eminence
Remarquer la magnificence,
Et les honneurs qu’on luy fera
Quand dans Paris il entrera,
Il faut que je cherche une place,
Non point parmy la populace,
En ne payant qu’un patagon :
Mais en balustrade, ou balcon,
Ou dans une chambre, à mon aize,
Ainsi sur une bonne chaize,
Bien apuyé, bien acoudè,
Et point du tout incommodé,
Comme si j’êtois un riche Homme,
M’en dût-il coûter bonne somme:
Chacun sçait que mes revenus
Sont assez rares et menus,
Mais, pour bien voir de beaux spectacles,
Je suis libéral à miracles.
Ainsi donc, si c’est Samedy,
Sans remétre jusqu’à Lundy,
Que cette Entrée extr'ordinaire
Se doive infailliblement faire:
O Bien-aimez Lecteurs divers,
Et vous, Princesse, que mes Vers
Reconnoissent pour souveraine
De leur assez féconde veine,
Je ne scay comment je feray ,
Je ne sçay pas si j’écriray,
J'en suis fort dans l’incertitude :
Toutefois, bornons ce Prélude,
Et de cét Eminent Prélat
Dont le mérite a tant d’éclat,
Et dont vole par tout la gloire,
Reprenons le fil de l’histoire.
Vendredy dernier, nôtre Roy
Luy fit voir en moult noble aroy,
En une large et vaste Plaine,
Une Revûë entiere et pleine,
Et dans un ordre merveilleux,
Tous les Rougets et tous les Bleus,
Tous les François et tous les Suisses
Qui, comme ordinaires Milices,
En tout lieu, voyage et saizon,
Suivent sa Cour et sa Maizon,
A tous lesquels la solde il donne
Pour la garde de sa Personne,
Dont ils ont un soin spécial ;
Et cét Exercite Royal,
Ce Camp ambulant et fidelle,
Dont la marche est toûjours fort belle,
Tant Fantassins, que Cavaliers,
Se monte à plus de dix milliers.
Le Roy, dont si riche est la taille,
Les rangea luy-mesme en bataille,
Et tous les Corps, d’un cœur ardant,
Sous un si digne Commandant,
Marchérent, campérent, tirérent,
Et finalement défilérent,
Ayans rendu les spectateurs
Cent et cent fois admirateurs
De leur adresse et promptitude,
Et de la noble lestitude
Des Oficiers, en génèral,
Jusques au moindre Caporal.
Ce Chef, depuis peu (que Dieu garde)
Des Chevaux-légers de la Garde,
Monsieur de Chaune, Duc et Pair,
Fit, en cetuy-jour, du bel-air,
La fonction vraye et réelle
De cette Charge illustre et belle,
Et laquelle il a mérité
D'obtenir de Sa Majesté,
Pour ses vertus, pour sa Naissance,
Et les services qu’à la France,
Avec courage, avec honneur,
A rendus ce brave Seigneur.

Ensuite, Sadite Eminence
Admira la magnificence
(Le lendemain, ou jour d’aprés)
D'un grand Bal, pour luy fait exprés,
Où toute la Maison Royale,
Qui n’a point au Monde d’égale
En Noblesse, pompe et grandeur,
Parut dans toute sa splendeur:
Où nos belles Dames parées,
Dignes cent fois d’être admirées,
Avec leurs apas sans-pareils.
Paroissoient autant de Soleils ;
Bref, où les Courtizans de France,
Bons pour la guerre et pour la dance,
Plaizoient aux yeux, à tout moment,
En dansant cavaliérement.
Dimanche, le Roy nôtre Sire,
Et je le sçay par oüyr-dire,
(Car, hélas ! je n’êtois pas-là,)
Le Légat susdit régala
D'un Festin vrayment admirable,
N'étant qu’eux-d’eux seuls à la table,
Où servirent, avec respect,
Et dans un ordre circonspect,
Non des Oficiers bas et minces,
Mais des grands Seigneurs et des Princes,
Chacun selon leur qualité
Comme aux jours de solennité.
Le lendemain, la Reine-Mére,
Que toute l’Europe révére,
Entre toutes ses Majestez,
Pour ses illustres qualitez
De belle, de bonne, de juste,
De sage, d’aimable et d’auguste,
Par pure et sainte afection,
Luy fit une Colation
Dans une Chambre, ou grande sale,
Si magnifique et si Royale,
Que ledit Monseigneur Chizy,
Fut d’admiration saizy,
Autant qu’en nul jour de sa vie
De voir une Table servie
De fruits assez délicieux
Pour régaler des Demy-Dieux;
Et (ce qui combloit de merveilles)
Dans de si galantes corbeilles,
Et dans un si rare apareil,
Que jamais rien ne fut pareil
A cette agréable dépence
Faite exprés pour Son Eminence :
Car outre les fruits délicats,
Coûtant des milliers de Ducats,
J'ay sceu de diverses personnes
Qu'autour des corbeilles mignonnes
Mille beaux rubans ajustez
Y formoient des jolivetez,
Non seulement si surprenantes,
Mais si belles et si brillantes,
Qu'elles cauzoient à tout moment
De l’aize et du ravissement
Si, selon mon dézir extresme,
J'avois vû ces chozes moy-mesme,
Possible, au gré des curieux,
En parlerois-je aujourd’huy mieux ;
Car l’objet, l’esprit subtilitize,
Mais il faut que cecy sufise :
Puis je croy que dans quelques jours
On fera de plus longs discours,
Que l’on poura métre en lumiére,
Sur cette excélente matière.
J’ai sceu d’un Officier à Sel
Que, Mardy, certain Carozel
Se fit en la propre prézence
De sadite Illustre Eminence,
Où le Roy, Prince haut et droit,
De tous les Roys le plus adroit,
Fit plusieurs courses, qu’admirérent
Les Etrangers qui s’y trouvérent,
Charmant les cœurs de tout chacun,
Et du Légat plus que pas un :
Auquel Legat on oüit dire,
Que, pour bien régir un Empire,
Pour bien courre, pour bien chasser,
Pour galantizer, pour danser,
Pour raizonner avec prudence
En des chozes de conséquence,
Pour paix, pour guerre, pour conseil,
Ce Grand Roy n’a point de pareil.
Enfin, aprés tant de Régales,
Et tant de preuves sans égales,
De l’afection qu’aujourd’huy
Nôtre Souverain a pour luy,
Mardy, ce Prélat d’importance
Eut de toute la Cour de France
(Selon un mémoire que j’ay)
Son Audiance de congé;
Et sans être plus diférée,
Il fait aujourd’huy son Entrée
Dans Paris la grande Cité,
Où d’un beau dézir excité,
Je vais chercher une fenêtre
Pour voir, en sa gloire parêtre,
Cét Illustre Prince Romain,
Qui doit deux jours après demain,

Plus gay, plus satisfait, plus libre,
Retrograder devers le Tybre.
Enfin, commodément placé
Comme à peu-prés j’avois pensé,
Dans un honnête domicile,
J’ay l’Entrée, en cette Ville,
Du Seigneur Cardinal-Légat,
Sous un Poële de grand éclat;
Entrée, en vérité, si belle,
Que pour Parler dignement d’elle,
Quand j’aurois le talent charmant
De feu Monsieur de Saint-Amand,
Quand j’écrirois d’un ton superbe
Comme Chapelain ou Malerbe,
Ou comme le grand du Perron,
Quand j’aurois l’esprit de Scarron,
Quand j’aurois receu tablature
De défunt Monsieur de Voiture,
Quand j’aurois trente jours de temps
Pour rendre mes Lecteurs contens,
Et que je fisse dix Gazettes
Toutes longues, toutes complettes,
Tu ne pourois certainement,
Discourir assez pleinement
De cette trionfante Entrée
Et ce qui rend mon ame outrée
D’une espéce de dézespoir,
C’est qu’il est neuf heures du soir,
Et que mon Imprimeur me presse
De sacrifier à sa Presse
Les Vers, qu’à force de réver,
Je vien maintenant d’achever.
Le jour a rompu mes mèzures,
Et j’ay dit au Sort des injures
D'avoir permis qu’un Samedy,
Et non un Dimanche, ou Lundy,
Cette solennelle journée
Se soit si soudain terminée
Sans avoir le moindre loizir,
De parler, selon mon dézir,
D'une matiére qui mérite
D'être bien dite et bien écrite.
Je feray, donc, peu mention
D'une si célébre Action ;
Princesse, de moy respectée,
L'heure est, sans mentir, trop hâtée,
Pour en dire aujourd’huy le quart,
Et Dimanche il seroit trop tard.
Tout-de-bon, la Lettre prézente
Ne me semble guére excélente :
Mais, ô vous, Gens d’entendement,
Eussay-je pû faire autrement
Dans un embaras de la sorte ?
C’est à vous que je m’en raporte.
Fait le jour que Monsieur Chizy,
Pour son Entrée avoit choizy.