« Curieuse », La Muze historique, Lettre XXX, Lettre en vers à Son Altesse Madame la Duchesse de Nemours. Du samedi 2 août 1664.

Loret Jean (1595 ?-1665).
Paris, P. Daffis, 1878, t. IV, p. 228-229.

Responsables : Mathilde Nicolas, Transcription et balisage.

[p. 228]

LETTRE TRENTIÉME
Du [samedi] deuxième Aoust.
CURIEUZE.

PRINCESSE, d’esprit rare et beau,
Revenant de Fontainebleau
Dans un Carosse de loüage,
Quoy que fatigué du voyage,
Je vais prendre la plume en main
Pour, aujourd’huy mesme, et demain,
Tâcher à déduire des chozes
Qui sont dans ma mémoire enclozes,
Des chozes dignes de sçavoir,
Qu'on sera bien-aize de voir,
Mais qui ne seront pas écrites
Selon leurs dégrez et mérites,
Ne leur donnant pas ce beau tour
Qu'on leur donneroit à la Cour,
Où l’on me void fort peu parêtre,
Et dont je n’ay pas l’honneur d’être,
Quoy que j’aye toûjours été
Trés-zélé pour Sa Majesté,
Et plein d’une ardeur sans égale
Pour toute la Maizon Royale;
C'est ce que pluzieurs Gens-de-bien
Sçavent et reconnoissent bien:
Mais, pour décharger ma mémoire,
Ecrivons en stile d’Histoire.
Monseigneur le Légat Chizy,
Vêtu d’un fort beau cramoisy,
Avec sa brillante Livrée,
Lundi dernier fit son Entrée
Dans un éclat pompeux et beau,
Au Palais de Fontainebleau.
Monsieur, du Roy le Frére unique,
Prince charmant et magnifique,
Prince digne de tout bon-heur,
Accompagné de maint Seigneur,
Et d’un flot de leste Noblesse,
Tous Serviteurs de son Altesse,
Fut (à ce qu’on met en avant)
Une bonne lieüe au-devant,
Luy donnant, dans toute la Traite,
Ce que l’on appelle la Droite.
Mardy, qui fut le lendemain,
Cét aimable Prince Romain,
Gardant une sage décence,
Eut, du Roy, bénigne Audiance,
Auquel humblement il parla
Du sujet qui l’amenoit-là.
Ensuite de son doux langage,
Le Roy, qui fit sur son vizage
Parêtre un air tout engageant,
Luy tint maint discours obligeant,
Et receut de fort bonne grace
Deux jeunes Seigneurs de sa Race,
Et tous ceux qui l’avoient suivy,
(Dont chacun eut le coeur ravy,)
Evesques, Abbez, Gentilhommes,
Qui sont tous de fort sages Hommes,
Ayans des esprits, non communs ;
J’en ay pratiqué quelques-uns,
Gens de mérite et de naissance,
Et j’en parle avec connoissance.
Ensuite de ce grand moment,
Il vizita pareillement
Nos deux judicieuzes Reines,
Nos deux illustres Souveraines,
Qui d’un air noble et gracieux

L’accueillirent, dit-on, des mieux ;
Puis, il vid le Daufin de France,
Dont l’aimable et Royale Enfance,
La gentillesse et l’agrément
Lui plûrent merveilleuzement.
Mercredy, quoy que jour de pluye,
Qui volontiers les Gens ennuye,
Il alla, pour se divertir,
(Car je les vis tous deux partir)
A la Chasse avec nôtre Sire,
Lequel Légat, qui fort bien tire,
Tüa quatre ou cinq Lap(e)reaux,
Avec autant de Perd(e)reaux.
Sur le soir, une Comédie
Trés-abondante en mélodie,
Sujet parfaitement joly,
Où les sieurs Moliére et Lully,
Deux rares Hommes, ce me semble,
Ont joint leurs beaux talens ensemble ;
Lully payant d’acords divers,
L’autre d’intrigues et de Vers :
Cette Piéce (dis-je) galante,
Qui me parut toute charmante,
Et de laquelle, à mon avis,
Les Spectateurs furent ravis,
Fut joüée avec excélence
Devant cette noble Eminence.
Ces deux Filles qui par leurs voix
Ont charmé la Cour tant de fois,
Sçavoir Mademoizelle Hilaire,
Qui ne sçauroit chanter sans plaire,
Et La-Barre, qui plainement
Dompte les coeurs à tout moment,
Par le rare et double avantage
De son chant et de son vizage,
Joüérent si bien leur rolet
Dans la Piéce et dans le Balet,
Remplis d’agréables mélanges,
Que, certainement, leurs voix d’Anges
Furent dans ces contentemens
Un des plus doux ravissemens.
Il ne faut pas qu’on me demande
Si la Compagnie êtoit grande :
Outre un frédon de Majestez,
J’y lorgnay cent et cent Beautez,
Dont les radieuzes prunelles
Eclairoient mieux que les chandelles ;
J’ay tort, il faut dire flambeaux,
Car en des spectacles si beaux
Chez les Reines, chez nôtre Sire,
On n’uze que de blanche cire.
C’est ce que de Fontainebleau
Je puis raconter de nouveau :
Car, pour vaquer à ma Gazette,
Le lendemain, je fis retrette,
Et je ne fus, chez un Amy,
Audit lieu, qu’un jour et demy.
Ce qu’illec je sceus davantage,
C’est qu’Othon, excélent Ouvrage,
Que Corneille, plein d’un beau feu,
A produit au jour depuis peu,
De sa plume docte et dorée,
Devait, la suivante soirée,
Ravir et charmer à son tour
Le Légat et toute la Cour :
Je l’apris de son Auteur mesme ;
Et j’ûs un déplaizir extresmes
Qui me fit bien des fois pester
De ne pouvoir encor rester
Pour voir, dudit sieur de Corneille,
La fraîche et derniére Merveille,
Que je verray, s’il plaît à Dieu,
Quelque-jour en quelque autre lieu.
Avant que partir, j’oüis dire
Aux Courtizans de nôtre Sire,
(Et j’en devins tout ébaudy)
Que Monsieur le Légat, Jeudy,
Revenant dans cette Contrée,
Feroit à Paris son Entrée ;
Et c’est dequoy, Grands et petits,
Tous nos bons bourgeois j’avertis,
Et je croy que cette nouvelle
Sera pour eux joyeuse et belle.