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Sommaire
Personnes
Personnes nb
Louis XIV 43
Marie-Thérèse d'Autriche 13
Leclerc, Sébastien 3
Lully, Jean-Baptiste 2
Molière, Poquelin Jean-Baptiste, dit 2
Vigarani, Carlo 2
Racine, Jean 2
Chauveau, François 1
Quinault, Philippe 1
Le Brun, Charles 1
Félibien, André 1
Mabre-Cramoisy, Sébastien 1

 

Personnages
Personnages nb
[apollon] 5
[hercule] 4
[captif] 4
[pallas] 4
[enfant] 2
[renommee] 2
[neptune] 2
[amalthée] 1
[hydre] 1
[serpent_python] 1
[nymphe] 1
[triton] 1
[berger] 1
[satyres] 1
[dragon] 1
[minerve] 1
[douze_heures] 1
[zephir] 1
[cloris] 1
[boree] 1
[orythie] 1

 

Lieux
Lieux nb
Versailles, Canal de Versailles 21
Versailles, Jardins de Versailles 28
Versailles, Château de Versailles 7
Versailles, Trianon 6
Versailles, Petit Parc de Versailles 5
Versailles, Ménagerie 4
Versailles, Bassin des Cygnes/Lac d'Alcine 4
Versailles 69
Versailles, Cour de Versailles 3
Versailles, Grotte de Thetis 2
Franche-Comté 1
Versailles, Bosquet de la salle du Conseil 1
Versailles, Allée et fontaine du Dragon 1
Versailles, L'Orangerie 1
Versailles, Grande Terrasse de Versailles 1

 

Techniques
Techniques nb
[lumieres] 66
[construction] 39
[feux-artifice] 18
Jeux d’eaux 17
[decor] 5
[machine_eau] 5
[machine_terre] 3
Animaux et créatures 2
[musique] 2
Machines Machines volantes Machines terrestres Machines aquatiques Machines musicales Machines du temps Trappes 1
Bruitages 1

 

Écriture
Écriture nb
Quatrain 1

 

 

Les Divertissemens de Versailles, donnez par le Roy au retour de la conqueste de la Franche-Comté, en l’année 1674. [Par A. Félibien.].

Félibien André (1619-1695)
Chauveau François (1613-1676)
Lepautre Jean (1618-1682)
Leclerc Sébastien (1637-1714)
Paris, Imprimerie royale, 1676.

Responsables : Mathilde Nicolas, Transcription et stylage — Marion Ignace, Balisage — Gaëlle Lafage, corrections et insertion des images.

LES DIVERTISSEMENS DE VERSAILLES DONNEZ PAR LE ROY A TOUTE SA COUR AU RETOUR DE LA CONQUESTE DE LA FRANCHE-COMTÉ EN l’ANNÉE M. DC. LXXIV.

np

LES DIVERTISSEMENS DE VERSAILLES DONNEZ PAR LE ROY A TOVTE SA COVR au retour de la Conqueste de la Franche-Comté en l’année 1674.

PREMIÉRE JOURNÉE.

LE ROY aprés la réduction de la Franche-Comté sous son obéïssance, pour donner à toute la Cour quelques momens de repos & de plaisir, en suite des longues fatigues d’un voyage que la saison avoir rendu tres-penible, ordonna aussi-tost qu’il fut arrivé à VERSAILLES, que l’on préparast des Festes & des Réjouïssances, & que de temps en temps il y eust quelques Divertissemens nouveaux.

Ceux de la premiére Journée commencerent par la Tragédie d’ALCESTE, qui est une piece en musique accompagnée p. 4 de Machines, que Sa MAJESTÉ voulut estre representée dans la cour du Chasteau le Mercredi quatriéme jour de juillet.

Une des choses que l’on doit beaucoup considerer dans les Festes & les Divertissemens dont le Roy regale sa Cour, est la promptitude qui accompagne leur magnificence : car ses ordres sont exécutez avec tant de diligence par le soin & l’application particuliére de Ceux qui en ont la principale Intendance, qu’il n’y a personne qui ne croye que tout s’y fait par miracle ; tant on est surpris de voir en un moment, & sans qu’on s’en apperçoive, des Théatres élevez, des Bocages ornez & enrichis de fontaines & de figures ; des Collations dressées, & mille autres choses qui semblent ne pouvoir se faire qu’avec un long-temps, & dans l’embarras d’un nombre infini d’ouvriers. Cependant le plus souvent la Cour ne s’apperçoit point des préparatifs que l’on fait pour toutes ces sortes de Festes ; & tant de personnes occupées à ces ouvrages, apportent si peu d’obstacle dans le lieu où on les dispose, qu’on ne les voit seulement pas.

Le ROY estant sorti du Chasteau à quatre heures du soir pour prendre la promenade, alla au Marais où la collation estoit préparée d’une maniére conforme à la situation de ce lieu. C’est un petit bois où il y a un grand quarré d’eau plus long que large, au milieu duquel est un gros arbre si ingénieusement fait qu’il paroist naturel. De l’extrémité de toutes ses branches sort une infinité de jets d’eau, qui couvrent le Marais. Outre ces jets d’eau, il y en a encore un grand nombre d’autres, qui jalissent des roseaux qui bordent les costez de ce quarré. Aux deux bouts & dans l’épaisseur des palissades sont deux enfoncemens de verdure, en maniére de cabinets, où l’on monte par deux marches de gazon. Dans chacun de ces enfoncemens il y a une grande table de marbre blanc, & sur chaque table une corbeille de bronze doré remplie de fleurs au naturel, de laquelle sort un gros jet d’eau, qui retombe dedans, & s’y perd sans mouïller la table. Au milieu des costez de ce quarré il y a aussi d’autres enfoncemens semblables à ceux des deux bouts, où sur des marches de gazon sont élevées de longues tables de marbre blanc & rouge, avec des gradins pour servir de bufets. De ces gradins, il sort de l’eau par des ajutages qui forment des aiguiéres, des verres, des caraffes, p. 5 & d’autres sortes de vases, qui semblent estre de crystal de roche garnis de vermeil doré.

Aux beautez de ce lieu on avoit ajoûté mille autres embellissemens, tant par un grand nombre d’orangers & de pots de porcelaines remplis d’une infinité de diverses fleurs, que par des festons aussi de fleurs, disposez d’une maniére qui les faisoit beaucoup paroître parmi les arbres ausquels ils estoient attachez. Une infinité de jattes & de cuvettes de porcelaine, pleines de toutes sortes de fruits, couvroient non seulement ces tables de marbre dont j’ay parlé, mais encore toutes les marches de gazon qui sont aux environs. Entre les jattes & les cuvettes il y avoit des corbeilles remplies de pastes & de fruits confits entremêlez de caraffes de crystal & d’autres petites porcelaines, où l’on avoit mis toutes sortes de liqueurs.

Les Officiers avoient aussi par une industrie toute particuliére, formé de grands vases de veritable glace, de figures differentes, & de diverses grandeurs ; & au travers de ces vases l’on voyoit paroître les fleurs & les fruits qu’on y avoit mis.

Pendant la Collation, l’eau qui jallissoit de tous les endroits de cette place, faisoit un bruit qui s’accordoit agréablement au son des violons & des hautbois.

Au sortir du Marais, environ sur les huit heures, le ROY & toute la Cour retournerent du costé du Chasteau, où les croisées, tant de la petite cour que la grande, & les balcons des faces estoient éclairez par deux rangs de bougies : l’Entablement estoit aussi éclairé d’autres lumiéres espacées à demi-pied l’une de l’autre.

Le Théatre qui se trouva préparé pour la Tragédie contenoit toute la petite cour pavée de marbre. Les deux costez estoient ornez de douze caisses de grands orangers, qui se terminant dans le fond de la cour, laissoient voir en face dans le point de la perspective les huit colonnes de marbre qui portent la balcon doré, & qui font l’entrée du Vestibule du corps de logis du milieu.

Entre ces caisses d’orangers il y avoit un pareil nombre de piedestaux de marbre de cinq pieds de haut, portans des vases de porcelaine remplis de petits orangers. Devant chaque piedestal estoit un gueridon d’or & d’azur, chargé de girandoles de crystal & d’argent, allumées chacune de dix bougies.

p. 6Derriére ces mesmes caisses s’élevoient encore vingt-quatre autres grands gueridons ornez de festons de fleurs, & portans chacun une girandole de crystal allumée comme les autres.

Comme les huit colonnes qui paroissoient au fond du Théatre sont accouplées, & separent les trois portes du Vestibule, on voyoit au milieu de chaque porte un grand lustre de crystal qui pendoit de dessous l’Architrave ; & contre les trumeaux entre les colonnes, il y avoit des guéridons dorez chargez de girandoles , avec deux caisses d’orangers de chaque costé.

La Fontaine de marbre qui est au milieu de cette cour, estoit environnée de girandoles & de vases pleins de fleurs ; & dans le bassin mesme, six grands Vases de porcelaine remplis de fleurs recevoient l’eau de six differens jets qui sortent d’une corne d’Amalthée, que soûtiennent trois petits Tritons de bronze doré. Ces Vases estoient ainsi disposez pour empescher que l’eau ne tombast dans le bassin où elle auroit fait du bruit ; & pour la mesme raison le groupe des Tritons estoit ornée d’une grande couronne de fleurs, qui recevoit aussi l’eau du gros bouillon que s’éleve au milieu des autres jets d’eau : de sorte qu’à la clarté de tant de lumiéres l’on voyoit briller toutes ces eaux, sans que leur chûte pûst par son bruit interrompre la voix des Musiciens, & la symphonie des Instrumens.

Ainsi l’Architecture de ces bastimens éclairez de tant de lumiéres, & la disposition ingénieuse de tant de lustres & de girandoles Musiciens entremeslez par l’agréable variété des arbres & des fleurs, faisoit un riche ornement à ce Théatre.

Le ROY estant placé, les Musiciens & les autres Acteurs de l’Académie Royale de Musique representerent la Tragédie d’ALCESTE, dernier ouvrage du sieur Quinaut, qui receût de toute la Cour la mesme approbation que cette excellente piéce en a toûjours eûë ; & la Musique receût aussi les mesmes applaudissemens qu’on donne toûjours aux productions du sieur de Lully.

En suite leurs Majestez furent prendre le souper de la Media-Noche, préparé dans le Chasteau.

[np]
Les Divertissemens de Versailles, donnez par le Roy au retour de la conqueste de la Franche-Comté, en l’année 1674. [Par A. Félibien.].
Première journée.

Alceste, Tragedie en musique, ornée d'entrées de Ballet, représentée à Versailles dans la cour de marbre du Chasteau éclairé depuis le haut jusqu'en bas d'une infinité de lumieres.

Dies Primus

Alcestes Tragaedia, perpetuo cantu et variis Saltationibus decorata, in marmoreo Palatii Versaliarum cauaedio, undequaque facibus accensis illuminati, acta.

p. 7

SECONDE JOURNÉE.

COMME dans le Chasteau & dans le Parc de VERSAILLES il y a des lieux où chaque saison de l’année semble avoir établi une demeure particuliére, on peut dire que c’est à TRIANON que l’on trouve toûjours le Printemps. Rien n’est plus agréable que la structure du Chasteau, ni plus délicat que les ornemens dont il est enrichi. Il semble estre le sejour ordinaire des Graces & des Amours. Les Parterres & les Jardins y sont toûjours verts. Tout ce qu’on y voit a des beautez particuliéres, & l’air qu’on y respire est parfumé des fleurs les plus odoriferentes. Le Mercredi onziéme juillet le ROY continuant de regaler la Cour, choisit cét endroit pour y passer la soirée ; & pour cét effet ordonna qu’on y préparast une place commode pour entendre l’EGLOGUE DE VERSAILLES.

Hors l’enclos du jardin de TRIANON, il y a un petit Bois enfermé dans le grand Parc, dont les arbres hauts & épais de feuïllages font un couvert admirable. La principale allée de ce Bois répond vis-à-vis le Palais, en sorte qu’en ouvrant une grille qui ferme le jardin, cette allée fait une perspective d’autant plus agréable, qu’on apperçoit un enfoncement d’arbres, & une fontaine au bout, dont l’ombre & la fraîcheur ont quelque chose de tres-délicieux.

C’est au bout de cette allée qu’on éleva un Salon de verdure de figure octogone, & d’environ huit toiles de diamétre. Les six faces des costez avoient chacune trois Portiques, au-delà desquels estoient dressez des Amphithéatres pour la Musique. Le haut du Salon s’élevoit en Dôme, ayant dans son milieu une grande ouverture. Sur la corniche qui regnoit au-dessus des Portiques estoient arrangez des Vases de porcelaine remplis de fleurs ; & du milieu des mesmes Portiques pendoient aussi de grands festons de fleurs attachez de part & d’autre contre les pilastres.

Ce Salon avoit deux grandes portes : par l’une on y entroit ; & par l’autre qui estoit vis-à-vis, on voyoit une longue allée formée des deux costez par de petites arcades ornées de pots de fleurs & de festons. Au bout de cette alléep. 8 estoit un bassin de fontaine environné de grands orangers & de pots de fleurs, au milieu desquels on voyoit élever un gros jet d’eau. Au-delà du bassin il y avoit une palissade qui formoit un demi-cercle, où dans cinq grandes niches paroissoient cinq Figures de Satyres de marbre blanc, assises, & joüant de divers Instrumens champestres.

Le ROY estant arrivé dans ce Salon avec toute sa Cour, s’assit en un endroit qu’on luy avoit préparé vis-à-vis de l’allée & de la Fontaine que je viens de dire, qui faisoient devant luy une décoration tres-agréable.

Après que la Musique eût chanté l’EGLOGUE, ce qui dura environ une heure & demie, Sa MAJESTÉ sortit de TRIANON pour prendre le divertissement de la promenade jusqu’à neuf heures du soir qu’Elle entre dans cét endroit du petit Parc qu’on nomme la SALE DU CONSEIL. C’est une place dans le bois, d’une fort grande étenduë. Sa figure est plus longue que large : le milieu est une Isle environnée de canaux, avec des ponts aux deux extrémitez, qui, par des machines secretes, reculent ou avancent, pour fermer le passage, ou pour donner entrée. Quand les ponts sont retirez il y a plusieurs jets d’eau qui forment comme une grille ; & de plusieurs endroits il sort soixante-treize jets d’eau d’une égale hauteur.

Lors que le ROY arriva dans cette place, il la trouva éclairée par plus de cent cinquante lustres attachez le long des palissades entre les arbres de la contr’allée. L’Isle estoit bordée de soixante-seize guéridons de fleurs portans des girandoles de crystal allumées de bougies. La table estoit dressée au milieu, & décorée d’une façon toute singuliére. Une maniére d’Edifice occupoit presque tout l’espace de cette table, ne laissant qu’un large bord tout au tour pour les couverts & le service des viandes. Cét Edifice estoit composé de toutes sortes de fruits ingenieusement arrangez dans cent douzaines de petites porcelaines, qui faisoient comme le corps solide de cét agréable bastiment. Il estoit divisé par seize arcades ; & chaque arcade avoit quatre colonnes torses & accouplées qui portoient la corniche. Ces colonnes estoient dorées & garnies de fleurs de mesme que leurs bases & leurs chapiteaux. Du milieu des arcades pendoient de doubles festons ; & au dessus des colonnes estoient des girandoles de crystal allumées de bougies. Cent petits vases d’orangers & de tubereuses posez sur la corniche luy p. 9 servoient d’amortissement. Mais la quantité presque incroyable de cuvettes & de jattes de porcelaine remplies de fruits, & le grand nombre de vases de crystal servans pour les glaces & les liqueurs, faisoit la somptuosité de cette table, sur laquelle les viandes furent servies avec une magnificence extraordinaire.

Pendant que le souper dura, les violons & les hautbois firent parmi le bruit des Fontaines, retentir ces lieux d’une harmonie tres-charmante.

PER ME QVOD ERITQVE FVITQVE ESTQVE PATET

Tout ce que le Passé cache en ses replis sombres
Tout ce que le Present produit de toutes parts
Tout ce que l'Avenir couure encor de ses ombres
Est decouuert par mes regards.
[np]
Les Divertissemens de Versailles, donnez par le Roy au retour de la conqueste de la Franche-Comté, en l’année 1674. [Par A. Félibien.].
Seconde journée.

Concerts de musique, sous une feüillée faite en forme de Salon, ornée de fleurs, dans le Jardin de Trianon.

Dies Secundus

Varii musicorum concertus sub frondea concameratione floribus intertexta, in hortis a Trianone dictis.

p. 11

TROISIÉME JOURNÉE.

LE dix-neuviéme du mesme moisle ROY alla se promenez à la MENAGERIE, où il donna la collation aux Dames de la Cour. C’est un lieu situé dans le Parc de VERSAILLES, à l’un des bouts du Canal, vis-à-vis de TRIANON. On y voit tout ce qui peut rendre la vie champestre agréable & divertissante par la nourriture des animaux de toutes sortes d’especes. Au bout d’une longue avenuë d’arbres est un petit Palais, dont la principale piéce est un Salon de figure octogone. Il est environné d’une balustrade tout autour, d’où l’on voit sept cours qui aboutissent à la cour du milieu, & qui en sont separées par des grilles de fer, qui formoient une figure semblable à celle du Salon. Toutes ces cours sont remplies d’une infinité d’oiseaux tres-rares, & d’une quantité incroyable d’autres animaux sauvages.

Après la collation qui fut tres-magnifique, Sa MAJESTÉ estant montée sur le canal dans des gondoles superbement parées, fut suivie de la musique, des violons & des hautbois qui estoient dans un grand vaisseau. Elle demeura environ une heure à goûteur la fraîcheur du soir, & entendre les agréables concerts des voix & des instrumens, qui seuls interrompent alors le silence de la nuit qui commençoit à paroître.

En suite de cela le ROY descendit à la teste du canal, & estant entré dans sa caleche, alla au Théatre que l’on avoit dressé devant la GROTTE pour la representation de la Comedie du MALADE IMAGINAIRE, dernier ouvrage du sieur Moliére.

L’aspect de la Grotte servoit de fond à ce Théatre élevé de deux pieds & demi de terre. Le frontispice estoit une grande corniche architravée, soûtenuë aux deux extrémitez par deux massifs avec des ornemens rustiques, & semblables à ceux qui paroissent au dehors de la Grotte. Dans chaque massif il y avoit deux niches, où sur des piedestaux on voyoit deux figures representant d’un costé Hercule tenant sa massuë, & terassant l’Hydre, & de l’autre costé Apollon appuyé sur son arc, & foulant aux pieds le serpent Python.

p. 12Au dessus de la corniche s’élevoit un fronton, dont le tympan estoit rempli des armes du ROY.

Sept grands lustrespendoient sur le devant duThéatre qui estoit avancé au devant des trois portes de la Grotte. Les costez estoient ornez d’une agréable feuïllée ; mais au travers des portes où le Théatre continuoit de s’étendre, l’on voyoit que la Grotte mesme luy servoit de principale décoration. Elle estoit éclairée d’une quantité de girandoles de crystal, posées sur des guéridons d’or & d’azur, & d’une infinité d’autres lumiéres qu’on avoit mises sur les corniches & sur toutes les autres saillies.

La table de marbre qui est au milieu estoit environnée de quantité de festons de fleurs, & chargée d’une grande corbeille de mesme.

Au fond des trois ouvertures l’on voyoit les trois grandes niches où sont ces groupes de Figures de marbre blanc, dont la beauté sujet, & l’excellence du travail sont une des grandes richesses de ce lieu.

Dans la niche du milieu Apollon est representé assis & environné des Nymphes de Thétis qui le parfument ; & dans les deux autres, sont ses chevaux avec des Tritons qui les pansent.

Du haut de la niche du milieu tombe derriére les Figures une grande nape d’eau qui sort de l’urne que tient un Fleuve couché sur une roche ; cette eau qui s’est répanduë au pied des Figures dans un grand bassin de marbre, retombe ensuite jusqu’en bas par grandes napes, partie entiéres & partie dechirées : Et des niches où sont les chevaux, il tombe pareillement des napes d’eau qui sont des chûtes admirables. Mais toutes ces cascades estant alors éclairées d’une infinité de bougies qu’on ne voyoit pas, faisoient des effets d’autant plus merveilleux & plus surprenans, qu’il n’y avoit point de goute d’eau qui ne brillast du feu de tant de lumiéres, & qui ne renvoyast autant de clartez qu’elle en recevoit.

Ce fut à la veûë d’une si agréable décoration que les Comédiens de la Troupe du Roy representent le MALADE IMAGINAIRE, dont leurs MAJESTEZ & toute la Cour ne receûrent pas moins de plaisir qu’elles en ont toûjours eû aux piéces de son Autheur.

[np]
Les Divertissemens de Versailles, donnez par le Roy au retour de la conqueste de la Franche-Comté, en l’année 1674. [Par A. Félibien.].
Troisiéme journée.

Le Malade imaginaire, Comedie representée dans le Jardin de Versailles deuant la Grotte.

Dies tertius

Dokesinoson, feu aeger imaginarius, Comoedia acta in hortis Versaliarum ad fores Cryptae.

p. 13

QUATRIÉME JOURNÉE.

LE Samedy vingt-huitiéme de juilletle ROY ayant donné ordre que la Feste de ce jour-là fust encore plus magnifique & plus décorée que les précédentes, commanda qu’on préparast la collation au THEATRE qui est dans un des bois du petit Parc.

C’est une grande place presque ronde, & separée en deux parties : la premiére qui sert l’Orchestre, contient un demi-cercle, autour duquel sont élevées trois marches en forme de siéges pour servir d’un Amphitéatre, dont la derniére marche fait une allée en terasse, couverte d’un rang d’ormes sur le devant avec des palissades de charmes par derriére. L’autre partie qui est trois à quatre pieds plus haute que l’Orchestre, compose le Théatre. Il s’éleve dans le fond par un petit talus de gazon qui laisse des passages pour les Acteurs ; & dans la palissade qui l’environne, il y a quatre grandes niches remplies de bassins de fontaines rustiquement travaillez.

Dans ces bassins on en voit d’autres plus élevez, où sont assis des Enfans qui se jouënt : les uns avec un Cygne, les autres tiennent un Griffon, les autres une Ecrevisse, les autres une Lyre de bronze ; & de tous ces bassins il sort de l’eau en abondance.

Entre ces quatre niches il y a trois allées qui s’enfoncent dans le bois, & dont la largeur diminuant peu à peu sans qu’on s’en apperçoive, aide à tromper la veûë, & les font paroître encore beaucoup plus longues qu’elles ne sont. Ces allées forment trois perpectives d’une beauté toute nouvelle. Car dans leur milieu il y a un canal de quatre à cinq toises de large, revêtu des deux costez de divers coquillages, qui d’un costé sont terminées par des palissades de charme, & de l’autre le long du canal, par de petits arbrisseaux verts avec des pots de porcelaine d’espace en espace. L’eau de ces canaux n’est pas une eau tranquille & paisible : ce sont plusieurs cascades qui tombent les unes sur les autres, & qui tirent leur source d’un grand bassin de p. 14coquillage élevé au bout du canal sur trois autres bassins. L’eau qui en sort par grandes napes vient enfin jusques sur le bord du Théatre, où après avoir passé par des coulettes, elle finit dans trois bassins qui sont vis-à-vis des cascades.

Il y a encore aux costez du Théatre joignant l’Amphithéatre deux bassins, d’où s’élevent deux lances d’eau ; & du bord du Théatre tombent deux napes d’eau l’une sur l’autre, qui separent l’Orchestre. Mais ce qui surprend davantage est la quantité des jets d’eau qui sortent du milieu de ces canaux & des costez des allées, lesquels forment une infinité de figures d’eau toutes differentes.

C’est dans cét agréable lieu que l’on avoit préparé une Collation d’une grandeur & d’une magnificence vrayment Royale. Il n’y avoit point de table dressée dans cette Place : il sembloit que le lieu mesme presentast à la Compagnie les differens mets dont elle devoit estre regalée. Car c’estoit sur les trois marches qui environnent la Place en forme d’Amphitéatre qu’on les avoit disposez dans un ordre qui charmoit les yeux de tout le monde, & avec une abondance presque incroyable. Sur le troisiéme & plus haut des degrez regnoit un ornement de fleurs, composé de vingt-quarte grandes bordures en forme de miroirs, qui renfermoient les chiffres du ROY. Entre chaque miroir il y avoit un grand oranger chargé de fleurs & de fruits ; & ces orangers & ces miroirs estoient joints les uns aux autres par des festons de fleurs agencez d’une maniére tres-galante.

Sur les deux autres degrez il y avoit dans de grands vases de porcelaine cent soixante tant pommiers, abricotiers, péchers, qu’autres differens arbrisseaux tous chargez de leurs fruits. Plusieurs vases remplis de lauriers-roses, & d’autres fleurs estoient agréablement placez parmi ces arbrisseaux ; & entre les arbres & les fleurs on voyoit sur de petits piedestaux de fleurs plus de trois cens ou jattes fruits de la saion, élevez en pyramide dans un arrangment de couleurs & de figures tres-agréables.

Six-vingts corbeilles remplies de diverses pastes & de confitures seches estoient entremêlées parmi les autres fruits. Quatre cens tasses de crystal pleines de glaces, & une infinité de caraffes de mesmes remplies de toutes sortes de liqueurs, & posées ou sur des soucoupes de crystal, ou dansp. 15 des cuvettes de porcelaine, contribuoient beaucoup à l’agréable variété de cette somptueuse Collation.

Quand leurs MAJESTEZ eurent commencé à prendre des fruits, le reste de la Cour choisit dans une si grande abondance de toutes choses ce qui luy plût davantage ; & durant ce temps-là chacun avoit le plaisir de voir jallir les eaux en cent maniéres differentes : car tantost tous ces canaux paroissoient de longues allées d’eau en forme de berceaux ornez de plusieurs jets d’espace en espace ; tantost c’étoit plusieurs palissades de lances de crystal, qui separoient les canaux & les allées en plusieurs autres allées ; tantost c’estoit des grilles d’eau accompagnées de petits chandeliers ; tantost des aigrettes qui s’élevoient à la hauteur des arbres ; enfin la grande quantité d’eau qui sort de ces lieux faisoit alors des effets qu’il est impossible de bien décrire.

Après que leurs MAJESTEZ eûrent demeuré dans ce lieu si charmant jusqu’à l’entrée de la nuit, Elles se rendirent au bout l’allée du Dragon du costé de la tour d’eau, où elles trouvérent un Théatre dressé pour l’OPERA des Festes de l’Amour & de Bacchus.

La face du Théatre representoit un grand morceau d’Architecture d’ordre Corinthien. Le milieu qui en faisoit l’ouverture estoit orné d’une grande corniche soûtenuë des deux costez par deux massifs formez en demi-cercle, & dont les extrémitez avançoient davantage du costé de l’Orchestre. Ces massifs estoient accompagnez de trois colonnes & de trois pilastres accouplez sous la corniche à l’ouverture du Théatre, & une colonne & un pilastre sur le devant proche de l’Orchestre. Au milieu de chaque massif il y avoit des niches, où sur des piedestaux estoient élevées deux statuës de bronze doré, l’une representant la Justice, & l’autre la Felicité du Regne : la premiére tenoit une épée & des balances, & l’autre portoit une corne d’abondance remplie de fruits & de fleurs. Les colonnes & les pilastres estoient de lapis, striez, & canelez : les bases, les chapiteaux, & les ceintes ou bandes qui environnoient le fust de la colonne, estoient enrichis d’ornemens de bronze doré.

Au-delà de cette face paroissoit un jardin fort délicieux : il estoit disposé par grandes allées bordées de part & d’autre de palissades d’arbres verts industrieusement taillez en diverses maniéres. Plusieurs figures representant des Thermes p. 16 portoient des consoles & des corniches taillées dans les palissades mesmes ; & entre ces Thermes il y avoit des bassins de fontaine, d’où sortoit de l’eau.

La décoration changea au dernier Acte : le Théatre s’estant ouvert des deux costez, l’on vit de part & d’autre une quantité Bergers du chœur de l’Amour assis des des portiques de verdure, & joüans de divers instrumens ; & le fond du Théatre s’estant aussi ouvert, il parut plus de cinquante Satyres du chœur de Bacchus ; & tous ensemble joignant leurs voix au son Instrumens, mirent fin à la piéce, dont la Musique est l’Ouvrage du sieur de Lully.

Au sortir de ce lieu leurs MAJESTEZ monterent dans leurs caleches, & à la clarté de cent flambeaux firent un tour de promenade dans le petit Parc. Elles passerent devant le bassin d’Apollon ; & estant remontées entre le parterre d’eau & le fer à cheval, virent les surprenans effets d’un Feu d’artifice qui tira sur le canal, où l’eau & l’air parurent éclairez de differentes sortes.

La teste du Canal estoit d’abord environnée de Figures d’illuminations, qui renfermoient cette piéce d’eau d’un ornement tres-riche & de lumiéres tres-douces : mais incontinent après il sortit de ces Figures une infinité de feux, qui couvrirent l’eau, & la firent paroître toute de flamme.

Mille fusées s’élevérent en l’air, qui le remplirent de lumiéres differentes, pendant que tout retentissoit du bruit des canons & des boëtes qui estoient dans le grand Parc.

Après cela, la Cour remplie de l’agréable idée de tant de magnifiques spectacles revint au Chasteau un peu après minuit, où leurs MAJESTEZ trouverent un nouveau sujet d’étonnement & d’admiration.

Ils embloit que tous les feux qui venoient de paroître en l’air au-dessus du Canal fussent venus se ranger dans la petite cour de marbre, où mille lumiéres qui paroissoient autant d’étoilles étincelantes formoient une colonne de feu.

On voyoit à l’entour de la Fontaine une grande table de figure octogone de Festons de fleurs d’orange, de tubereuses, & d’œillets, & décorée au-dessus d’une maniére toute extraordinaire.

Car cette table qui avoit au moins treize toises de tour, servoit de base à huit consoles de lapis enrichies d’or, qui posant sur les huit angles, s’élevoient à la hauteur de quatorzep. 17 pieds, & portoient un plafond de mesme figure octogone.

Chaque face du plafond répondoit au tailloir d’une des consoles, & les entredeux rentroient au centre par un demi-cercle ; en sorte que tout le contour de ce plafond estoit profilé de huit avances entre huit demi-cercles qui en faisoient la figure.

Sur la rampe de chaque console il y en avoit une autre plus petite, qui estoit d’or, & portoit une girandole de crystal allumée de plusieurs bougies. Plus bas & à l’endroit où commençoient les volutes, on voyoit huit Figures d’argent drapées d’or. Ces figures estoient assises & disposées en differenes attitudes, tenans toutes des flageolets & autres instrumens champestres, dont elles sembloient jouër.

Au dessous estoit une autre petite console, en forme de rose, qui avançoit sur la table, & portoit une girandole.

Au haut & du milieu des rouleaux qui estoient au dessous du tailloir, sortoient huit gros festons de fruits & de fleurs, qui pendoient entre chaque rouleau.

Le plafond qui posoit sur les consoles estoit divisé par differens paneaux d’or & d’azur, au milieu desquels & entre chaque tailloir il y avoit une rose d’or qui soûtenoit un lustre de crystal ; mais ce plafond n’estoit pas également plein : il estoit percé en rond dans le milieu, & avoit une ouverture de trois pieds & demi de diamétre au dessus de la fontaine.

Toute la corniche du plafond estoit entourée de bougies espacées à trois pouces l’une de l’autre, & au droit de chaque console il y avoit sur la mesme corniche un petit piedestal, qui portoit une girandole.

Au dessus de cette machine estoit une Colonne toscane de dix-huit pieds de haut, avec sa base posée sur un zocle de marbre enrichi d’or. Cette Colonne avec sa base & son chapiteau estoit percée à jour, & le fust n’estoit representé que par un feston de fleurs d’or, qui tournoit en forme de vis depuis la base jusqu’au chapiteau, de la mesme maniére que les festons qui environnent d’ordinaire les colonnes torses. Ce feston qui faisoit le seul corps de la Colonne portoit le long de toute son étenduë une rangée de bougies éloignées de trois pouces l’une de l’autre : ainsi sur toute la rampe de la vis il y avoit six cens bougies allumées. Le chapiteau & la base, c’est-à-dire le zocle, le pleinte, & le tore p. 18 portoient aussi des rangées de bougies espacées comme les autres. Le sieur Vigarani qui avoit disposé cette machine, avoit encore mis sur le haut de la Colonne un grand vase avec une couronne au dessus, le tout à jour, & formé de semblables lumiéres que le chapiteau, auquel le vase servoit d’amortissement. De-sorte que cette Colonne, toute percée à jour depuis le bas jusqu’en haut, paroissoit une Colonne de lumiére, se soûtenant d’elle-mesme en l’air au dessus de la fontaine, d’où l’eau jalissoit au travers du plafond à une hauteur extraordinaire.

Ce fut à l’entour de cette superbe décoration, & sur une table si richement ornée, que leurs MAJESTEZ, & les Dames que le ROY avoit nommées, souperent au bruit des eaux de la fontaine, pendant que d’un autre costé les violons & les hautbois remplissoient ce lieu d’une agréable harmonie, qui dura jusques sur les deux heures que le ROY & toute sa Cour se retirerent.

[np]
Les Divertissemens de Versailles, donnez par le Roy au retour de la conqueste de la Franche-Comté, en l’année 1674. [Par A. Félibien.].
Quatriéme journée.

Festin, dont la table estoit dressée autour de la fontaine de la cour de marbre du Chasteau de Versailles, au dessus de laquelle s'élevoit une Colonne toute de lumiere.

Dies Quartus

Caena, cujus mensa extructa erat circa fontem marmorei cauaedii Versaliarum, supra cujus apicem Columna ignea exurgebat.

p. 19

CINQUIÉME JOURNÉE.

LE Samedi dix-huitiéme d’Aoustleurs MAJESTEZ estant sorties du Chasteau sur les six heures du soir, firent un tour de promenade dans le petit Parc, suivies de toute la Cour, au nombre de plus de trente carosses à six chevaux. En suite elles entrerent dans un des Bosquets, qui est entre l’allée Royale & l’allée de Bacchus. Ces Bosquets sont composez par compartimens de plusieurs petites allées & cabinets. Au milieu de chaque Bosquet il y a un bassin de fontaine, d’où s’éleve un piedestal, qui porte un autre bassin en forme de table ronde, dont les bords sont de pierres congelées de differentes couleurs. L’eau qui sort du milieu de ce bassin par la bouche d’un gros masque de bronze doré, retombe par napes dechirées dans la bassin d’embas. C’estoit à l’entor de ce bassin qu’on avoit dressé une table de vingt-quatre pieds de diamétre pour la Collation. Elle estoit orée par devant de festons de fleurs ; & sur toute sa circonference il y avoit seize pyramides de fleurs chargées de fruits, de pastes, & de confitures, disposées d’une maniére ingénieuse & galante. Il y en avoit huit grandes & huit petites : celles-cy estoient massives, & les grandes estoient percées à jour. Au haut de chacune il y avoit une boule d’or, où estoient attachez de grands festons de fleurs, qui joignoient toutes les pyramides les unes aux autres. Sur la table, entre chaque pyramide, l’on voyoit de grands vases de veritable glace, remplis de fruits & de fleurs, & à costé d’autres petutes pyramides de confitures glacées, accompagnées de porcelaines pleines de diverses liqueurs à la glace. Le devant de la table estoit chargé de grandes cuvettes & de jattes de porcelaine remplies à fond de toutes sortes de fruits & de quantité de corbeilles pleines de conserves & de fruits confits.

Dans les quatre allées principales du Bosquets qui se terminent à cette fontaine, il y a quatre cabinets qui n’en sont éloignez que de vingt pas ou environ. Au milieu de chaque cabinet il y avoit une table de dix pieds en quarré aussi environnée de festons de fleurs, & sur laquelle estoit une pyramide de cinq pieds de haut sur cinq de large : dans sa p. 20base elle estoit composée de differentes sortes de fruits crus, qui s’élevoient par degrez. Dans les angles & sur chaque degré il y avoit un vase de porcelaine rempli de fleurs, & de petits orangers mis alternativement l’un sur l’autre. Quatre autres pyramides de moindre grandeur, & solidement faites de mesmes fruits, estoient aux quatre coins de la table, dont le reste estoit chargé de jattes, de cuvettes de porcelaine, & de corbeilles pleines de fruits & de confitures ; & sur des soucoupes de crystal il y avoit toutes sortes de liqueurs. Ces tables estoient destinées pour les personnes qui ne mangeoient pas à la table du ROY, laquelle surpassoit les autres par la disposition extraordinaire de tous les mets dont elle estoit servie, & par le beau jet d’eau qui sortoit du milieu avec un éclat & un bruit tres-agréable.

Après que leurs MAJESTEZ eûrent fait Collation au son des violons & des hautbois, toutes les tables furent abandonnées au pillage, ainsi qu’elles ont accoustumé de l’estre en ces sortes de rencontres ; & le ROY estant remonté dans la caléche, s’en alla suivi de toute la Cour au bout de l’allée qui va dans l’Orangerie, où l’on avoit dressé un Théatre.

La décoration estoit toute differente de celle des autres dont il a esté parlé, mais tres-agréable : elle representoit une longue allée de verdure, où de part & d’autre il y avoit des bassins de fontaine, & d’espace en espace des grottes d’un ouvrage rustique, mais travaillé tres-délicatement. Sur leur entablement regnoit une balustrade, où estoient arrangez des vases de porcelaine pleins de fleurs. Les bassins des fontaines estoient de marbre, soûtenus par des Tritons dorez ; & dans ces bassins on en voyoit d’autres plus élevez, qui portoient de grandes statuës d’or. Cette allée se terminoit dans le fond du Théatre par des tentes qui avoient rapport à celles qui couvroient l’Orchestre ; & au-delà paroissoit une longue allée, qui estoit l’allée mesme de l’Orangerie, bordée des deux costez de grands orangers & de grenadiers entremêlez de plusieurs vases de porcelaine remplis de diverses fleurs. Entre chaque arbre il y avoit de grands candelabres & des guéridons d’or & d’azur, qui portoient des girandoles de crystal allumées de plusieurs bougies. Cette allée finissoit par un portique de marbre : les pilastres qui en soûtenoient la corniche, estoient de lapis, & la porte paroissoit toute d’orfévrerie.

p. 21 Sur ce Théatre ornée de la méniére que je viens de dire, la Troupe des Comédiens du Roy representa la Tragédie d’IPHIGENIE, dernier Ouvrage du sieur Racine, qui receût de toute la Cour l’estime qu’ont toûjours eû les piéces de cét Autheur.

Lors qu’elle fut finie, leurs MAJESTEZ descendirent au bas de l’allée Royale, d’où elles virent la grande piéce d’eau qui fait la teste du canal, illuminée d’une maniére qui surprit tout le monde. Car horsmis la face de devant, le reste était environné d’une balustrade de six pieds de haut, ornée de fleurs-de-lis & des chiffres du ROY, le tout d’un artifice si rare, qu’il paroissoit un ouvrage fait d’or transparent & lumineux. Dans les premiers angles, où les faces droites des deux costez de l’octogone se joignent à celles qui sont en demi-cercle, il y avoit un massif en forme de piedestal de dix-huit pieds de large sur quatorze pieds de haut, qui sembloit estre d’albastre, ou d’un marbre aussi clair que le crystal. Ce massif avoit un avant-corps composé d’un zocle & d’un autre piedestal tracé en amortissement, sur lequel estoit une lyre, & au dessus une fleur-de-lis environnée d’une couronne de laurier, qui paroissoit dans le disque d’un Soleil, dont la lumiére se répandoit de toutes parts. Au bas de la lyre il y avoit deux globes, & plusieurs autres instrumens qu’on attribuë à Apollon, qui tous ensemble s’élevoient en maniére de Trophée à la hauteur d’onze pieds. Cét avant-corps & tous les ornemens n’estoient pas illuminez comme le massif. Il n’y avoit qu’une table de marbre qui estoit éclairée dans le milieu du piedestal, & où estoit écrit, NEC PLURIBUS IMPAR : & quant aux trophées d’armes qui estoient aux costez de la table, & à la lyre qui estoit au dessus, ils estoient d’or veritable, & faisoient un ornement particulier & détaché des illuminations. Au bas du piedestal il y avoit un grand bassin de fontaine de marbre en forme de coquille, d’où sortoit de l’eau en abondance.

Aux angles plus éloignez, & qui sont à l’embouchûre du Canal, on voyoit de chaque costé un corps d’Architecture de soixante-quatorze pieds de long, composé de plusieurs parties, qui faisant face sur la piéce octogone & sur le Canal, representoient comme un grand perron élevé de seize pieds, avec des rampes des deux costez. Chaque perron estoit divisé en trois piedestaux, qui avoient au devant de leur base une fontaine semblable à celle dont j’ay parlé : p. 22celuy du milieu avoit un autre piedestal en avant-corps d’un marbre jaspé, environné d’ornemens dorez, avec une table de lapis au milieu, où estoient les chiffres du ROY. Sur ce piedestal estoit un zocle chargé d’armes antiques, & au-dessus un globe orné de trois fleurs-de-lis, & surmonté d’une couronne éclairée d’un Soleil qui l’environnoit. Deux cornes d’abondance estoient passées en sautoir derriére le globe, qui estoit comme enchassé d’un feston d’or. Tout cét ornement s’élevoit de quatorze pieds au-dessus du piedestal.

Les deux autres piedestaux qui estoient aux costez avoient la mesme hauteur que celuy du milieu, & faisoient retour sur les faces du Canal & sur la piéce octogone. Leurs tympans estoient ornez de boucliers antiques, & pour amortissement chaque piedestal avoit une fleur-de-lis d’or. Derriére ces fleurs-de-lis estoient des Figures de douze pieds de haut, qui representoient des Victoires, ayant des aîles au dos, & tenant à la main des couronnes de laurier.

A quinze pieds de distance de ces piedestaux il y en avoit deux autres qui n’avoient que cinq pieds de large sur six pieds de haut. Au dessus estoit élevé en forme de trophée une fleur-de-lis entre deux boucliers antiques & un casque de front, dont elle estoit surmontée : c’estoit-là que commençoient les rampes du perron qui se joignoient au piedestal des Victoires, & dans l’espace de ces rampes on avoit representé de grandes Figures de fleuves, assises, & appuyées sur des urnes, d’où sortoit de l’eau.

Tout ce magnifique Ouvrage estoit illuminé, & paraissoit de marbre transparent, & de differentes couleurs, ou plûtost de lumiéres coloriées, horsmis les ornemens d’or & les avantcorps, qui estoient de vray or, & de matiéres solides.

Entre ces deux perrons & du milieu du Canal, sortoit un rocher de plus d’onze toises de face, sur lequel estoit un Obelisque tout de lumiére porté par deux Griffons d’or, posez sur un piedestal richement orné. A la pointe de l’Obélisque, qui estoit élevé à douze toises de haut, on voyoit un Soleil aussi tout brillant de pareilles lumiéres. Du rocher & sous la base du piedestal sortoit un Dragon les aîles déployées, qui sembloit à demi écrasé sous le faix de la machine.

Dans le milieu du piedestal estoit un grand bas relief d’or sur un fond de lapis, où le ROY estoit representé à la testep. 23d’une armée, traversant un large Fleuve. Les Divinitez de ce fleuve paroissoient couchées sur le devant, & appuyées sur leurs urnes. Ce bas relief estoit environné d’un quadre doré avec les armes du ROY au dessus.

Du bas du piedestal sortoient de part et d’autre deux grands rouleaux en forme de console, qui s’étendoient sur toute la face du rocher. Ces rouleaux estoient enrichis d’or & de pierreries ; & estant joints l’un à l’autre au dessous du bas relief par une maniére de frise, formoient une espece d’ornement, qui avoit la figure d’un jonc. Au dessous estoient, d’un costé un Aigle, & de l’autre un Lion. Le Lion sembloit abbatu sous le joug ; & l’Aigle qui estoit soûmis de mesme, paroissoit tout étonné, & dans une action de vouloir encore se défendre.

Sur ces rouleaux & proche de l’Obélisque estoient deux grandes Figures. Celle du costé droit representoit Hercule assis, & comme se reposant, appuyé d’une main sur des armes, & de l’autre tenant sa massuë. A ses pieds estoient deux Captifs attachez contre un trophée d’armes.

L’autre Figure qui estoit du costé gauche, representoit une Femme richement vestuë d’un corselet à l’antique, & d’un grand manteau de pourpre telle qu’on peint Pallas. Elle avoit un casque en teste, & tenoit un baston de commandement à la main : elle estoit aussi assise sur un monceau d’armes, & à ses pieds on voyoit un autre Captif contre un trophée d’armes.

Il y avoit parmi ces Figures plusieurs petits Enfans : les uns mettoient des couronnes de laurier & de fleurs sur la teste d’Hercule & de Pallas ; les autres sembloient vouloir arracher des mains de ces Divinitez le baston & la massuë qu’elles tenoient : d’autres environnoient cette mesme massuë de festons ; & d’autres encore s’occupoient à lier les Captifs de semblables festons, au lieu de chaînes. Quoy que toutes ces Figures fussent d’illuminations, elles representoient pourtant le naturel, mais elles paroissoient de couleurs agréables, & de lumiéres douces, au dessous de l’Obélisque & du Soleil qui brilloient de mille feux étincelans.

Cette machine estoit précedée de deux grandes Figures en l’air, qui tenant une trompette à la bouche, représentoit deux Renommées.

Toute cette décoration avoit un sens symbolique & mystérieux. Par l’Obélisque & le Soleil on prétendoit marquer p. 24 la Gloire du ROY toute éclatante de lumiére, & solidement affermie au dessus de ses ennemis, & malgré l’Envie representée par le Dragon. Les Figures d’Hercule & de Pallas marquoient, l’une la puissance invincible & la grandeur des actions de SA MAJESTÉ ; l’autre sa valeur & sa prudente conduite dans toutes ses entreprises, dont le Lion & l’Aigle ressentent les effets. Les Enfans signifient l’amour des peuples qui couronnent tant de généreux exploits, & qui en liant ces Captifs avec des festons de fleurs & de laurier au lieu de chaînes, sembloient leur vouloir apprendre combien la domination du Prince qui les a vaincus est glorieuse, & douce à supporter. Toutes ces differentes parties estoient éclairées d’une lumiére si égale & si bien disposée, qu’elles formoient un beau tout, dont l’esprit n’estoit pas moins charmé que les yeux.

Quand le ROY fut placé sous une grande tente qu’on avoit dressée entre le bassin d’Apollon & le Canal, le sieur le Brun qui estoit l’auteur de ces illuminations, ayant receû le signal, on entendit le bruit du canon & de plus de quinze cens boëtes qui tirerent autour du Canal ; & en mesme temps les bords de la pièce d’eau, qui avoient paru éclairez de fleurs-de-lis & de chiffres, furent environnez d’un ornement continu de mesmes fleurs-de-lis & de mesmes chiffres, mais brillans de vives clartez de plusieurs lances à feu qui se trouverent allumées en un moment. Les perrons & les piedestaux parurent ornez de semblables lumiéres, qui marquoient les chiffres & les armes du Roy ; & de toutes ces décorations il sortit un nombre infini de feux, qui remplirent l’air de cent figures differentes. Mais du Dragon qui estoit sur le Canal, l’on vit sortir par ses yeux, par ses naseaux, & par sa gueule comme des torrens de feu, d’où s’élevoit une épaisse fumée, qui montrant quelque chose de terrible, faisoit voir cependant d’autres beautez : car, formant comme de gros nuages rouges & bleuastres, tels qu’on en voit dans le temps des grands orages, il en sortoit mille éclairs & mille foudres, qui tantost faisant de longues traînées en l’air, tantost serpentant de part & d’autre, tantost s’élevant & se plongeant dans l’eau, faisoient mille differens effets. Un nombre infini de semblables feux partoient en mesme temps des environs du Canal, pendant que le Dragon en vomissoit une si grande quantité, que sa gueule sembloit un goufre, d’où sortoient mille Lutins enflamez, p. 25 qui se joûoient, ou qui se battoient ensemble. Toute la piéce d’eau en estoit couverte : ils entroient jusqu’au fond du Canal ; & aprés s’estre promenez, tantost sur sa surface, tantost entre deux eaux, ils s’élevoient par petits tourbillons de feu, & faisant en l’air mille tours, ils crevoient avec un bruit épouvantable, produisant en mesme temps une infinité d’autres feux qui faisoient de nouveaux effets. Tout ce que l’on voyoit dans cette grande étenduë de plus de trois cens toises, n’estoit plus ni du feu, ni de l’air, ni de l’eau. Ces Elemens estoient tellement meslez ensemble, que ne les pouvant reconnoistre, il en paroissoit un nouveau, & d’une nature tout extraordinaire. Il sembloit estre composé de mille étincelles de feu, qui comme une épaisse poussiére, ou plûtost comme une infinité d’atômes d’or, brilloient au milieu d’une plus grande lumiére. Parmi tout cela il s’élevoit sans cesse de toutes parts mille fusées, qui coëffoient le plus haut de l’air d’une infinité d’étoilles étincelantes, pendant que d’autres plus grosses s’élevant encore plus haut avec un bruit & une impetuosité épouvantable, sembloient attaquer les Astres mesmes par mille coups redoublez, & par mille autres feux qu’elles jettoient en l’air, qui retomboient en serpenteaux, ou sous d’autres differentes figures. Ce feu & ce bruit estoit continuel par la furieuse quantité des balons & des grenades d’eau qui se mesloient avec les balons d’air & les foucades d’un nombre infini de saucissons. Mille partemens de fusées s’étendoient, tantost en forme de queuë de Paon, tantost formoient autour du Canal des aigrettes & des gerbes de feu d’une grosseur & d’une clarté extraordinaire. Enfin toute cette grande piéce d’eau fut environnée du nombre de cinq milles fusées, qui estant parties toutes à la fois, s’éleverent en l’air, & composerent un dôme de lumiére qui couvrit toute la teste du Canal, sur lequel on vit tomber en forme d’une grosse pluye une infinité d’étoilles, d’une clarté qui surpassoit celles des veritables étoilles : ce qui mit fin à ce beau feu, dont l’on peut juger des effets extraordinaires, puis qu’il estoit composé de prés de trente mille differentes piéces d’artifice, dont il y en avoit plusieurs qui chacune en particulier en contenoit plus de vingt-cinq douzaines.

Mais comme on laissa aussi embraser toute la Machine qui estoit sur le Canal, avec les sept grands batteaux qui la portoient, cét embrasement fut encore un nouveau spectacle p. 26 qui surprit ceux qui ne s’y attendoient pas, & qui fit paroistre davantage la grandeur & la magnificence du divertissement.

[np]
Les Divertissemens de Versailles, donnez par le Roy au retour de la conqueste de la Franche-Comté, en l’année 1674. [Par A. Félibien.].
Cinquiéme journée.

Feu d'artifice sur le Canal de Versailles.

Dies Quintus

Incendium ludierum è pyrio puluere super Alueum Versaliarum.

p. 27

SIXIÉME JOURNÉE

APRES les magnificences des Festes précedentes, il sembloit qu’on ne devoit plus rien attendre d’extraordinaire. Cependant le sieur Vigarani qui avoit ordre de décorer d’Illuminations tous les bords du grand Canal, ayant disposé toutes choses pour le dernier jour d’aoust qui se trouva tres-favorable pour ce sortes de spectacles, surprit toute la Cour par la nouveauté & la grandeur de celui-cy.

L’on avoit ressenti dans les autres Divertissemens les plaisirs que peuvent donner les plus belles piéces de Théatre, les musiques les plus charmantes, les festins les plus somptueux, & les feux d’artifice les plus terribles & tout ensemble les plus agréables qui ayent jamais esté : mais le ROY voulant faire voir des beautez que l’on n’avoit point encore veûës, sembla pour cette fois avoir esté servi par la Magie mesme, tant les yeux & l’esprit se trouverent surpris par les differentes merveilles dont ils furent charmez.

Sa MAJESTÉ estant sortie du Chasteau environ à une heure de nuit, mais d’une nuit la plus noire & la plus tranquille qui ait esté depuis long-temps, l’on vit dans cette grande obscurité tous les parterres tracez du lumiéres. La grande terasse qui est devant le Chasteau estoit bordée d’un double rang de feux espacez à deux pieds l’un de l’autre. Les rampes & les degrez du fer à cheval, & généralement toutes les fontaines qui sont dans le petit Parc estoient environnées de pareilles lumiéres, qui reflechies dans les bassins, y faisoient encore autant d’autres clartez. Au milieu de ces bassins & de ces lumiéres, l’on voyoit élever mille jets d’eau violence, & dont il sortoit mille étincelles.

Ces lumiéres dont la terre estoit couverte marquoient de nouveaux parterres, & formoient des figures de feu au lieu de fleurs & de verdure. Au bout de la grande allée Royale, le bassin d’Apollon estoit éclairé de la mesme sorte ; & au-delà on voyoit le grand Canal, qui de loin paroissoit comme une glace de crystal d’une vaste étenduë. Il estoit borné de tous costez de corps lumineux, mais d’une lumiére douce & p. 28 privée du mouvement & de l’action que l’on voit dans le feu ordinaire. Ces corps ne portoient aucune ombre : ils representoient differentes figures qu’on avoit peine à discerner de loin, & dont les images paroissoient sur l’eau, qui n’estoit pas aloirs moins tranquille que la lumiére mesme ; de sorte que le profond silence & l’obscurité où l’on se trouvoit alors, ressembloit beaucoup à ce que les Poëtes ont écrit des Champs Elysées, qu’ils dépeignent comme un espace de païs éclairé d’une lumiére précieuse, & qui a un Soleil & des Astres tous particuliers.

Leurs MAJESTEZ estant arrivées au bassin d’Apollon, toute la Cour commença de voir plus distinctement la beauté de ces feux qui environnoient le Canal.

Ce qu’il y a de tres-considérable dans le grand Parc de Versailles est ce grand Canal. Il a tentre-deux toises de large sur neuf cens toises de long. Trois grandes piéces d’eau en marquent les extremitez & le milieu. La premiére est celle qui est au bout d’enhaut, & qui separe le petit Parc d’avec le grand : elle est de figure octogone, & a soixante-dix toises de diamétre. Quatre de ses costez sont tirez en ligne circulaire, & les autres en ligne droite. La seconde est au milieu du grand Canal, & dans l’endroit où il est traversé d’un autre de quarante toises de large, qui d’un costé conduit à Trianon, & de l’autre à la Ménagerie : & la troisiéme piéce, qui est tout au bas du grand Canal, a deux cens toises de long sur cent toises de large. Ces canaux dans l’étenduë que je viens de marquer, estoient environnez de part & d’autre de Figures illuminées, qui faisoient une décoration la plus magnifique & la plus extraordinaire qu’on se puisse imaginer. Il sembloit que les Nymphes des canaux & des fontaines de Versailles se fussent assemblées pour recevoir le ROY, & honorer son retour d’un appareil pompeux & triomphant ; & qu’en décorant elles-mesmes ces canaux, elles y avoient élevé des édifices & d’autres monumens d’une structure toute singuliére, & conformes à la nature & à la condition des Divinitez qui président sur les eaux.

Au devant de la piéce d’eau, qui fait la teste du grand Canal, l’on voyoit d’abord sur des piedestaux deux chevaux dans une action fougueuse & emportée : des hommes vigoureux les arrestoient, & par leur adresse s’en rendoient les maistres. Chacun sçait que le cheval est dédié à Neptune, qui le fit sortir de terre d’un coup de trident, dans cette p. 29 dispute celébre qu’il eût avec Minerve à qui donneroit le nom à la Ville d’Athenes. C’est apparemment pour cette raison qu’on avoit mis deux chevaux à l’entrée du grand Canal, dans cette posture fiére prise sur ceux qui sont à Rome à Montecaval.

Aux deux costez de la mesme piéce d’eau, joignant la grille de fer qui sert de closture au grand Parc, estoit une face de bastiment de vingt-deux pieds de haut sur huit toises de long. Quatre Termes rustiques de differentes couleurs en separoient toute l’étenduë en trois parties, en sorte que deux de ces Termes estoient aux deux extrémitez, & les deux autres dans le milieu. Ils portoient une corniche qui regnoit dans l’étenduë de tout l’édifice.

Aux deux costez il y avoit deux fontaines de douze pieds de haut : on y voyoit dans un grand bassin rustique trois Dauphins, dont la queuë élevée soûtenoit un globe de lapis. Au dessus estoit un autre bassin, d’où l’eau se répandant en forme de cloche, tomboit derriére deux jeunes enfans representez au naturel, & tenant à la bouche chacun une conque d’où sortoit de l’eau.

Plus loin & sur les deux faces de l’octogone qui se terminent en demi-cercle, paroissoient huit bassins de fontaines taillez en coquille, & disposez de telle maniére les uns au dessus des autres, que diminuant de grandeur à mesure qu’ils s’élevoient, ils formoient une pyramide de trente-six pieds de haut, à la pointe de laquelle estoit un Soleil, dont les rayons éclairoient l’eau des bassins qui tomboit de l’un dans l’autre. Le premier bassin qui faisoit le bas de la pyramide estoit posé sur un piedestal taillé rustiquement, & orné dans son milieu des armes du ROY. Deux grandes Figures de Fleuves estoient aux deux costez du piedestal, appuyées sur leurs vases, d’où sortoit de l’eau. A costé de ces pyramides il y avoit deux fontaines de douze pieds de haut, de mesme celles dont je viens de parler.

Lors que leurs MAJESTEZ eûrent consideré la beauté de ces Illuminations, Elles monterent dans des gondoles superbement parées, suivies du reste de la Cour, qui remplissoit l’eau du Canal auparavant tranquille & sans aucune agitation, comme s’enfler d’orgueïl de porter ce qu’il y a de plus grand & de plus auguste sur la terre. Tous les bords estoient éclairez par six cens cinquante Termes de lumiéres p. 30 de neuf pieds de haut, representant des figures toutes differentes par leurs actions & par leurs couleurs. Elles estoient espacées l’une de l’autre de six toises, & disposées de telle sorte, qu’il y en avoit pourtant deux accouplées ensemble, afin qu’on en pust toûjours voir une de face en allant & venant sur le Canal.

Entre chaque Terme on avoit representé avec la mesme industrie, & par des lumiéres differemment colorées, toutes sortes de Poissons, qui sembloient s’estre rangez au bord de l’eau pour voir passer sur leur Element, comme en triomphe, le plus grand ROY du monde.

Au milieu du Canal, & à l’endroit où il est croisé de celuy qui va à Trianon & à la Ménagerie, il y avoit aux quatre coins quatre gros pavillons quarrez de trente pieds de long chacun qur vingt-deux pieds de haut. Ils estoient ornez dans chaque face de quatre grands Termes representant des Fleuves & des Nymphes des eaux, d’âges differens, & de diverses couleurs, & entre chaque Terme il y avoit de grands vases remplis d’orangers.

A l’un des bouts du Canal, du costé de Trianon, Neptune paroissoit dans son char tiré par quatre chevaux marins, & sortant de l’eau avec quatre Tritons à costé de luy. Et à l’autre bout du costé de la Ménagerie, on voyoit Apollon en l’air tiré dans son char par quatre chevaux, à la teste desquels sembloient voler quatre femmes qui representoient des heures. Toutes ces Figures avoient vingt-deux pieds de haut, & estant de couleurs naturelles & toutes lumineuses, paroissoient encore mieux des Divinitez. Après que leurs MAJESTEZ eurent consideré ces riches décorations, Elles arriverent dans la grande piéce d’eau qui est au bas du Canal. A la veûë des somptueux édifices dont elle estoit ornée, toute la Cour fut encore plus surprise qu’elle n’avoit esté ; de si magnifiques ouvrages ne luy paroissant point un travail de la main des hommes. Cette piéce d’eau se termine par un demi-cercle, qui forme deux angles rentrant à ses deux extrémitez, & qui a dans son milieu un enfoncement quarré d’environ quarante toises de face. Les deux costez du demi-cercle estoient separez par moitié. Sur la premiére partie que l’on voyoit d’abord, & qui fait un angle, paroissoit dans l’atenduë de trente-quatre toises de long, une balustrade solidement bastie à hauteur d’appuy de toutes sortes de marbres. Sur dix piedestaux qui en p. 31 interrompoient la longueur, on avoit élevé sçavoir sur les quatre premiers, quatre grandes medailles de demi-Dieux, ornées de festons, & posées sur des zocles de marbre di differentes couleurs, taillez en amotissement ; & sur les six autres, six Statuës de quinze pieds de haut vestuës de diverses maniéres.

En suite & sur la mesme ligne circulaire qui avoit vingt toises d’étenduë, estoit une rangée de colonnes accouplées, d’un marbre verdâtre, posées sur un embasement divisé par compartiment de panneaux de marbre & de jasques differens. L’entablement estoit de marbre pareil à celuy des colonnes, & entre les colonnes il y avoit des figures & de grands trophées élevez sur des piedestaux. Tout cela paroissoit de differens marbres, ou d’autres matiéres transparentes, & de couleurs semblables à celles qui éclatent dans le corail, dans les nacres, & dans les autres coquillages que la mer jette sur les bords.

Tout au bout de la piéce d’eau paroissoit en face une terasse de trente-deux toises de long sur neuf pieds de haut, partagée par de grands panneaux rustiquement taillez en forme de glaçons de couleurs variées, & telles qu’on en voit paroistre sur les ondes de la Mer, lors que le Soleil en se couchant mesle avec le vert & le bleu des traits d’or & de pourpre.

Au dessus de cette terasse s’élevoit un Palais de magnifique stucture. Toutes les parties dont il estoit composé concouroient à representer un Palais de crystal basti dans l’eau, mais avec un tel artifice, & d’une si grande richesse, qu’il sembloit que les figures & les ornemens dont il estoit embelli fussent faits de pierres précieuses, disposées comme les ouvrages de Mosaïque : car non seulement l’on y voyoit les ives couleurs de la topase, des rubis, des émeraudes, & d’autres pierres les plus rares, mais l’on estoit ébloüi du feu & des éclats de lumiéres qui sortoient de toutes ces couleurs, & qui brilloient de telle sorte, qu’on avoit quasi de la peine à bien voir l’excellence de l’ouvrage ; ce qui rendoit cét édifice beaucoup plus riche & plus considerable que tous les autres qui l’environnoient.

Il avoit vingt toises de face sur trente-six pieds de haut, & cette face estoit divisée par cinq grandes portes quarrées. Devant chaque trumeau, au lieu de colonnes, il y avoit sur des piedestaux deux Termes de vingt-deux pieds de haut.p. 32Depuis la ceinture en haut ils avoient la form e de Vieillards, tels qu’on represente les fleuves, & sembloient estre de topase & de rubis. Ce qu’on appelle la guaine estoit comme d’un ambre jaune fort transparent : ils estoient ceints de roseaux qui avoient le verd des émeraudes. Sur leurs testes ils portoient des corbeilles remplis de roseaux & de feuïlles d’eau ; & au dessus estoit l’entablement de tout l’édifice, dont la frise representoient des glaçons de couleur d’émeraudes, mais brillansd’étincelles de feu, de mesme que les autres panneaux qui s e trouvoient dans chaque piedestal.

Le long de l’entablement regnoit une grande balustrade divisée par panneaux taillez en glaçons. Sur cette balustrade & au dessus du fronton qui ornoit le milieu de ce Palais, estoient assises deux grandes Figures representant deux Fleuves appuyez sur leurs urnes : ils estoient à demi couverts d’habits tres-riches, & ceints de roseaux de mesme que les Termes, versans de leurs urnes de l’eau en abondance. Sur la mesme balustrade & au dessus de chaque Terme, estoit posé un grand vase d’une matiére prétieuse, d’où sortoit un gros jet d’eau.

Dans les enfoncemens des portes, il y avoit de gros zocles taillez en glaçon, d’où couloit de l’eau de tous costez, & sur chacun de ces zocles on voyoit des Statuës de vingt pieds de haut. Celle du milieu representoit Nepture qui enleve une Nymphe : les autres Statuës estoient d’autres Nymphes de l’Ocean portées par des Chevaux Marins.

Aux deux costez de ce Palais estoient deux rochers de vingt-quatre pieds de long sur trente-six pieds de haut. Ils estoient percez à jour, & dans le milieu s’élevoit un gros jet d’eau, qui en retombant faisoit une double cascade. Sur les deux costez de chaque rocher estoient deux Fleuves assis, & tenant des urnes qui répandoient de l’eau. Derriére ces Fleuves l’on voyoit deux deux Chevaux Marins, portant une grande coquille, d’où l’eau sortoit de tous costez ; & sur la coquille estoit encore élevé un groupe de deux figures, representant d’un costé Zephire qui enleve Cloris, & de l’autre Borée qui enleve Orithie.

Ce fut à l’aspect d’un Bastiment si extraordinaire, accompagné de tant d’autre grand souvrages, qui par la sçavante disposition des lumiéres & des couleurs, faisoient un des plus beaux & des plus surprenans spectacles qu’on ait jamais veûs, que le ROY suivi de toute sa Cour se promena sur p. 33cette grande piéce d’eau, où dans le profond silence de la nuit l’on entendoit les violons qui suivoient le Vaisseau de SA MAJESTÉ. Le son des Instrumens sembloit donner de la vie à toutes les Figures, dont la lumiére moderée donnoit aussi à la symphonie un certain agrément qu’elle n’auroit eû dans une entiére obscurité.

Pendant que les Vaisseaux voguoient avec lenteur, l’on entrevoyoit l’eau qui blanchissoit tout au tour ; & les rames qui la batoient mollement, & par des coups mesurez marquoient comme des sillons d’argent sur la surface obscure de ces canaux.

L’on n’appercevoit alors que de l’eau renfermée par l’obscurité de la nuit ; & ces grandes piéces d’eau éclairées seulement de part & d’autre par tant de Figures lumineuses, ressembloient à de longues galeries & à de grands salons enrichis & parez d’une Architecture & de Statuës d’un artifice & d’une beauté jsuqu’alors inconnuë, & au dessus de ce que l’esprit humain peut concevoir.

Une si rare magnificence arresta long-temps avec plaisir les yeux de toute la Cour, qui ne pouvoit se lasser d’admirer les merveilleux effets de ces Illuminations, dont les images paroissoient encore dans le fond de l’eau comme d’autres palais & d’autres Figures plus grandes que les veritables. Une multitude de Poissons que l’on y voyoit, sembloient là comme les spectateurs muets de toute la pompe Royale, dont les canaux de Versailles estoient honorez pendant cette nuit.

Après que le ROY eût remonté le long du Canal, & que toute la Cour eût mis pied à terre, à l’endroit mesme où elle estoit entrée dans les gondoles, Sa MAJESTÉ retourna au Chasteau, où les lumiéres qui éclairoient les parterres & les fontaines, comme j’ay dit, offroient encore à la veûë une décoration d’une beauté singuliére.

D’autres personnes qui auroient voulu décrire la magnificence de toutes ces Festes avec un discours élégant & des figures choisies, en auroient fait des images encore plus belles que celles qu’on a tâché de crayonner icy : mais comme on veut s’assujetir à la parfaite ressemblance, & ne rien dire qui ne soit entiérement conforme à ce qui s’est passé, on se contente de rapporter les choses comme elles ont esté, sans y rien augmenter, ni leur donner de l’éclat par des termes plus forts & des narrations plus fleuries. Elles ont p. 34 d’elles-mesmes assez de grandeur pour causer de l’admiration ; & l’on auroit peine à croire tout ce qu’il y avoit de merveilleux, si l’on ne voyoit souvent dans Versailles de semblables merveilles.

Ce que l’on peut ajouster pour faire comprendre ce qui donnoit tant de jour à ces superbe décorations pendant une nuit si obscure, c’est qu’il y avoit plus de vingt mille lumiéres, sans compter plus de quatre milles autres feux qui éclairoient les fontaines & les parterres du petit Parc.

[np]
Les Divertissemens de Versailles, donnez par le Roy au retour de la conqueste de la Franche-Comté, en l’année 1674. [Par A. Félibien.].
Sixieme journée.

Illuminations autour du grand Canal de Versailles representant des Palais, des Pyramides, des Fontaines, des Statues, des Termes, des Poissons &c.

Dies Sextus

Nocturnae Illuminationes circa majorem Versaliarum Alueum, ceu variae Palatiorum, Pyramidum, Fontium, Statuarum, Terminorum, Piscium &c. figurae incluso igne fulgentes.